La maison d’édition Pow Pow, spécialisée en bande dessinée, célèbre cette année ses 10 ans d’existence. C’est avec un malin plaisir que nous nous sommes plongés dans une petite rétrospective de cette décennie, que nous vous présentons en toute camaraderie. Si nous ne nommons pas tous les livres publiés, c’est qu’ils sont au nombre de cinquante-quatre et que nous vous faisons confiance pour aller fouiner en librairie!
Luc Bossé

2010
Les débuts
Avant de fonder les éditions Pow Pow, Luc Bossé était designer graphique et faisait des fanzines comme passe-temps. C’est à force de côtoyer des bédéistes qu’il a réalisé à quel point ces petites bêtes étaient des êtres sympathiques. En 2010, il fonde donc les éditions Pow Pow. Son souhait : publier ses propres livres ainsi que ceux de ses amis. Ainsi donc voient le jour simultanément le 12 novembre Yves, le roi de la cruise (signé Alexandre Simard et illustré de la patte de l’éditeur) et Apnée (signé Zviane). De chouettes amis, donc, et surtout très talentueux! Et ce n’est pas que nous qui le disons, car ces deux premières publications ont récolté de beaux succès : Apnée a remporté le Bédéis Causa — Grand prix de la ville de Québec, en plus d’être nommée meilleur album de l’année aux Bédélys et meilleure couverture aux Joe Shuster Awards, alors qu’Yves, le roi de la cruise a quant à lui remporté le prix Expozine de la meilleure BD en français.

Pourquoi avoir choisi ce nom à saveur de phylactère? « J’avais une BD qui s’appelait Ninja Pow Pow. C’est un Ninja qui se sauvait de la police. Les policiers couraient après lui (elle?) en faisant “Pow Pow” avec leur bouche. […] Toujours est-il que quand le moment est venu de choisir un nom, c’est ça qui est resté. Je trouvais ça visuel comme nom, vivant. Et très Québec. Les Français disent “pô pô” et ils utilisent “Pan Pan” pour leur fusil. C’est une onomatopée qui fait BD aussi », explique l’éditeur.

2011
Pow Pow confirme sa place dans le milieu éditorial
Une histoire d’amitié, donc. Mais en faisant nos recherches, on a cependant appris que Francis Desharnais — qui a été publié comme troisième titre en 2011 — n’était pas encore ami — une connaissance tout au plus — avec Luc Bossé. Hum… ce dernier aurait donc élargi bien rapidement soit son cercle d’amis, soit son écurie! Quoi qu’il en soit, visiblement, l’éditeur a bien fait de publier Motel Galactic : illustré par Pierre Bouchard, ce livre s’est valu une nomination pour les Bédéis Causa ainsi qu’une autre pour les Joe Shuster Awards. L’année 2011 marque également la parution du premier album de Samuel Cantin, Phobies des moments seuls, en plus de celle de Mile End, de Michel Hellman (trois nominations à différents prix pour celui-là!). On n’a pas poussé notre enquête plus loin sur les liens amicaux : il est clair que la maison avait fait à ce stade ses preuves, qu’importe si les bédéistes étaient copains ou non avec l’éditeur.

Sophie Bédard

2012
Glorieuses séries
En 2012, Pow Pow ose montrer son vrai visage au grand public en louant son premier kiosque au Salon du livre de Montréal. Une belle occasion pour y présenter les deux premiers tomes de la série Glorieux printemps de Sophie Bédard — une incursion dans la vie adolescente avec des personnages d’une authenticité vibrante — qui, ensemble, cumulent plus de quatre nominations à différents prix. C’est également en 2012 que paraît le second tome — il y en aura trois au total — de l’absurde œuvre de science-fiction du terroir qu’est Motel Galactic, dans laquelle on peut notamment lire : « Ça fait qu’avec le temps pis la conquête de l’espace, ben c’est la culture québécoise qui s’est imposée dans toute l’univers. Pis on a nommé la langue le “spatio-joual”. »

2013
Pas de langue de bois
En 2013, on tombe sous le charme de Vil et misérable, signé Samuel Cantin. C’est que cette BD met de l’avant un libraire pour qui « c’est la plus belle journée de l’année… L’Halloween… » et qui considère que « Noël, ça suce ». Elle sera en lice, comme toutes les BD de Pow Pow (ça en devient ronflant à lire, on le sait!), pour une pléthore de prix dont on vous épargne ici les noms. En 2012 (oui, on revient un peu en arrière…), Guy Delisle a séjourné un mois à Québec, sa ville natale quittée depuis vingt ans. En est ressorti en 2013 (voilà, voilà) Croquis de Québec, des esquisses de ces lieux qui ont résonné en lui. Et finalement, en 2013, Zviane jette par terre tous ceux qui choisissent de se plonger dans Les deuxièmes, l’une des œuvres les plus magnifiques du catalogue de Pow Pow, qui met en scène une femme et un homme dans un chalet, leur vie entre parenthèses le temps de quelques instants suspendus.

2014
Déferlante de prix et ouverture sur le monde
Si c’est en 2013 que paraissait Les deuxièmes, c’est en 2014 qu’une déferlante de prix et de nominations s’abat sur Zviane, remportant le Bédéis Causa et le Joe Shuster Award. C’est également en 2014 qu’une grande campagne Kickstarter propulse Pow Pow sur la scène anglophone : grâce à 410 généreux donateurs, 24 301$ sont amassés pour traduire an anglais et mettre sur le marché Mile End, Vil et misérable et Les deuxièmes. Succès! Depuis, deux à trois BD par année sont traduites. La dernière en date est Little Russia (on y reviendra en 2019…) et la prochaine en lice est Lonely Boys (Les petits garçons).

2015
Du cœur aux planches
C’est en 2015 que Luc Bossé signe une entente avec L’Association, ce qui lui permet de publier certains albums de Lewis Trondheim et de Guy Delisle, des auteurs phares de cette maison française. On verra ainsi, à l’hiver de cette année-là, des planches de Trondheim orner la rue Saint-Jean à Québec. Autres occasions de réjouissances : Richard Suicide publie Chroniques du Centre-Sud et remporte le prix Marc-Olivier Lavertu, décerné par des étudiants en Outaouais, ainsi que le prix de l’Académie de la vie littéraire. Et finalement, Anne-Élisabeth Bossé et Lise Castonguay incarnent Camille et Frédérique, les protagonistes des Cousines vampires, sur les planches du théâtre Petit Champlain, à l’occasion de l’événement Parole de planches. Du 1er au 7 février de cette année-là a eu lieu la Semaine du développement international : six bédéistes de Pow Pow en ont profité pour créer une planche pour l’occasion, touchant ainsi à des sujets tels que les inégalités dans la distribution des richesses, la guerre et le climat. C’est toujours en ligne, et ça vaut absolument le détour. C’est qu’ils ont du cœur, ces auteurs « pow powains ».

Samuel Cantin

2016
La conquête du territoire
Si c’est en 2016 que le milieu du livre est soufflé par la parution de La femme qui fuit (ben oui, on parle encore de ce livre-là!), ce que l’amant de la bande dessinée retiendra, lui, c’est plutôt l’apparition de Julie Delporte dans la cohorte Pow Pow avec Je vois des antennes partout, récit sensible dont les crayonnés de couleurs savent adroitement faire passer l’émotion du papier au lecteur. Pour celui qui préfère les récits moins introspectifs, Nunavik de Michel Hellman est le livre à lire, à mi-chemin entre le documentaire et le roman graphique. Le bédéiste propose une balade au-delà du 55e parallèle et aborde, d’un regard de Blanc maladroit mais assumé et avec une grande curiosité, les habituels préjugés à l’endroit des peuples du Nunavik. Cette année marque également la première étape de la mainmise de Pow Pow sur le commerce mondial : les ouvrages de la maison sont dorénavant vendus dans toute l’Europe francophone!

Zviane

2017
Zviane sur tous les fronts
On vous l’avait mentionné précédemment : Zviane, elle a du talent. Et en 2017, cette aptitude à nous captiver avec ses BD déborde! En plus de voir le livre Les deuxièmes adapté en court métrage (allez vite googler ça!), elle est présidente d’honneur du Salon du livre de Trois-Rivières et va faire miroiter ses dons naturels en terres nipponnes, lors d’une exposition sur l’histoire de la bande dessinée québécoise qui s’est tenue au Musée international du manga de Kyoto, au Japon. Elle y était pour participer à l’inauguration de cette exposition et à différentes activités. Elle en tirera d’ailleurs un an plus tard un génial ouvrage, Zviane au Japon, où le choc culturel y est exposé avec un humour tordant. Parlant d’international, c’est également en 2017 que Pow Pow fait ses premiers achats de droits et traduit, de l’anglais au français, Longs cheveux roux et Titan.

2018
Angoulême, les voici
On aurait voulu vous citer un extrait de la BD lauréate du prix Réal-Fillion 2018, remis à l’auteur québécois s’étant le plus illustré avec son premier album professionnel, mais comme VII est une BD sans texte, on passera notre tour. Vous, par contre, devriez aller jeter un œil à cette histoire où un écrivain est en panne d’inspiration et dont la plus fidèle admiratrice, nulle autre que la Grande Faucheuse, s’impatientera. En 2018, Cathon publie Les ananas de la colère, une BD agréablement kitsch et déjantée qui pastiche les romans policiers. Le Devoir a même mentionné des corrélations entre son œuvre et Wes Anderson, tsé! Et finalement (on dit « finalement », car il fallait bien que ce jour arrive!), c’est en 2018 que Pow Pow se rend pour la première fois au prestigieux festival d’Angoulême, avec une délégation de six bédéistes de la maison. Assurément, certains éditeurs ont dû pâlir d’envie en les rencontrant!

Francis Desharnais

2019
Quand Francis Desharnais vole la vedette
Si c’est à l’automne 2018 qu’est publiée La petite Russie, c’est l’année suivante que les prix déferleront. Avec cette œuvre, Francis Desharnais rend certes hommage à son grand-père — car il s’inspire de sa vie —, mais également à un pan méconnu de l’histoire du Québec, soit la mise sur pied d’une colonie abitibienne fondée sur un modèle coopératif et dont le chantier est géré par les hommes qui l’habitent. Cette véritable BD du terroir a raflé tous les prix — du Prix des libraires au prix de la critique ACBD — et a poussé l’auteur à faire une tournée de promotion en Europe, en plus d’être choisi l’année suivante pour l’initiative Une ville, un livre, où tous les citoyens de Québec étaient invités à partager une même lecture, et de faire l’objet d’une exposition (malheureusement écourtée par la pandémie). Oh, mais il n’y en a pas que pour Desharnais en 2019 : l’excellent Les petits garçons de Sophie Bédard remporte le Bédélys Québec. Ses personnages hautement attachants et incarnés y sont soulignés, de même que l’humour qui y côtoie dans une juste dose le tragique. C’est aussi en 2019 qu’est paru un petit ovni dont on a peut-être trop peu parlé : Le mort détective de David B. Il est toujours temps de le lire!

Julie Delporte

2020
En 2020, Pow Pow réédite Journal de Julie Delporte (d’abord paru chez L’Agrume en France). Elle avait fait paraître quelques années plus tôt Moi aussi je voulais l’emporter : les lecteurs conquis par cette œuvre peuvent ainsi enfin se plonger à nouveau dans ce Journal où elle explore sa solitude et son passé. C’est comme ça que je disparais, œuvre de Mirion Malle (décidément, les Françaises adoptées par le Québec ont la cote chez Pow Pow et on ne peut que s’en réjouir!) paraît également en 2020, abordant avec une adresse déconcertante la question de la dépression. Et finalement, c’est aussi en 2020 que Luc Bossé dévoile au Journal de Montréal de grands scoops, notamment de quelle façon la nouvelle décennie s’amorcera pour sa maison. En effet, sous la plume de Jean-Dominic Leduc (également chroniqueur entre nos pages, en passant!), on apprend qu’Iris et Catherine Ocelot rejoindront le catalogue Pow Pow. On attendra aussi avec impatience Chroniques de jeunesse du bédéiste Guy Delisle, où ce dernier reviendra sur son emploi étudiant à l’usine de papier Daishowa de Limoilou. C’est à cette période qu’il découvrira la BD et son goût du dessin… On est aussi allé à la source pour avoir notre propre scoop : Alexandre Fontaine Rousseau — très chouette bédéiste à découvrir — travaillerait actuellement sur un nouveau livre avec Francis Desharnais, dans le même genre que Les premiers aviateurs. Oh! Et 2020 marque la présence, pour la première fois, d’un livre de Pow Pow dans la sélection Fauve Polar SNCF d’Angoulême avec L’affaire des hommes disparus!

 

Si rendu à ce stade de l’article, vous n’avez toujours pas envie de lire un livre de chez Pow Pow et pas encore saisi que La petite Russie et Les deuxièmes sont un détour obligé pour quiconque aime la littérature, voire l’histoire et les relations humaines, on devrait peut-être changer de tactique. Donc : pow pow! (On tire dans les airs — pour de faux, bien entendu! — pour vous secouer les puces.) Hop, chez votre libraire, et que ça saute!

Illustrations : autoportraits par les bédéistes

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