Le temple des envies : un texte signé Philippe Girard

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Philippe Girard, illustrateur de la saison printemps-été 2017 pour Les libraires, signe le texte d'ouverture du tout récent Carnet BD, dont il a également illustré la couverture. Sur un ton intimiste, il nous plonge dans les années de sa jeunesse où les bandes dessinées se sont inscrites en lui, à jamais. 

En 1984, les prêtres du Petit Séminaire arpentaient les trottoirs du Vieux-Québec en toisant avec sévérité les adolescents qui s’embrassaient en face de la tabagie Giguère. Malgré leur insistance, ces réprimandes ne suffisaient pas à refouler le flot des hormones qui grouillaient dans nos corps bousculés. Depuis la nuit des temps, être jeune, c’est jouir du moment présent.

Moi, j’étais comme les autres garçons de 13 ans. Dès que la cloche sonnait, je me précipitais dans la rue et je dévalais la côte de la Fabrique en direction du carré d’Youville. Ma blonde (que je n’ai jamais osé embrasser) me rejoignait en chemin et nous arrêtions chez les marchands de livres qui nous ouvraient la porte de leur caverne d’Ali Baba. D’abord la librairie qui était en face de l’école, où j’ai découvert Alexis, Gotlib, Tabary et Fred dans des éditions bon marché. Puis les bandes dessinées de Cabu, Lauzier, Édika et Reiser, dont aucun commis ne m’interdisait la lecture en dépit de leur contenu scabreux. Alignés le long du mur, il y avait aussi les chefs-d’oeuvre de science-fiction dont les héroïnes ont accéléré la progression de ma puberté : Caza, Moebius, Druillet, Bilal, Mézières.

Mais il y avait pire. À un jet de pierre de la taverne Coloniale, sur la rue St-Jean, se dressait une autre librairie : le temple des envies, le sanctuaire des images, le Taj Mahal de l’art narratif séquentiel. On y trouvait tous les livres qui donnaient aux adolescents l’envie de s’embrasser en public. Au sommet de la pyramide des tentations trônait évidemment la bande dessinée, cette littérature subversive que je soupçonnais mes vieux professeurs de fréquenter en secret. Il suffisait de les entendre marmonner « Engagez-vous, qu’ils disaient! » ou « Rogntudju! » pour comprendre que ces beaux esprits ne passaient pas uniquement leurs soirées en compagnie de Teilhard de Chardin ou Saint Thomas d’Aquin. Lire, ce geste sacré qui donne accès à la vie éternelle, était un sacrement compatible avec Astérix et Gaston Lagaffe.

C’est ainsi que chaque jour, je traversais le Rubicon pour flâner en compagnie d’Achille Talon, Philémon, Gai-Luron et Lucky Luke. Plus tard, j’y ai fait la rencontre de Martin Milan, Spirou, Adèle Blanc-Sec, Monsieur Jean et Lapinot. Ce sont eux qui m’ont donné le goût des livres, de tous les livres. La littérature est entrée en moi par des phylactères, des onomatopées et des blagues de potaches.

 

Petit biographie de Philippe Girard

On aime Philippe Girard pour son style tout aussi vif que travaillé, ses personnages expressifs, ses univers très contrastés. On l’aime aussi parce qu’il ne se contente ni d’un seul public ni d’un seul thème. Il fait ce qu’il aime, passant du léger au grave, comme il le fait du clair à l’obscur. L’auteur de BD de Québec, qui signe également l’illustration de la couverture de ce carnet thématique, a publié depuis 1997 une vingtaine d’albums (Les Ravins, Tuer Vélasquez, Lovapocalypse, etc.), dont certains ont été traduits en anglais et en russe. Son travail a été récompensé au Canada, en France, en Serbie et au Japon. Ses récents albums (La Grande noirceur, La mauvaise fille) mettent en scène sa grand-mère, dans le Québec des années 30. Depuis 2014, il signe le dessin éditorial « Riton et Rita » sur le site de Radio-Canada Québec. En 2016, il a publié un premier roman pour adulte, Abba Bear. Sa toute dernière publication, Le couperet, est publiée chez Mécanique générale et nous invite dans une histoire surréaliste, où un homme, complexé par son vieillissement, perd une à une les parties de son corps, allant des cheveux jusqu’à… ses jambes. Oui, Philippe Girard sait jouer sur tous les plans!

Découvrez les 150 suggestions du carnet BD!

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