Malgré une pénurie mondiale de papier en cours et un certain ralentissement éditorial post-pandémique, le 9e art n’est pas en reste, tant s’en faut! Voici les séries et titres qui ont retenu notre attention pour cette rentrée automnale.

À surveiller

L’homme à la tête de lion 
Xavier Coste (Sarbacane)
Après sa fulgurante adaptation de 1984 du romancier George Orwell, Xavier Coste enchaîne avec une fable d’une criante actualité. Né dans un cirque à la fin du XIXe siècle, un homme-lion impressionne les foules aux quatre coins du continent européen avec un numéro littéraire, avant de le transporter sur le Nouveau Continent. La bête de cirque se mesure alors à l’illusion du rêve américain et à un monde en transition où tirer profit de sa différence n’est plus possible. Magistralement mis en images, ce poignant récit nous fait nous questionner sur notre société spectacle, les diktats de l’image, le rejet de la différence et l’importance d’embrasser notre vraie nature.

Père fictif
Joe Ollmann (trad. Luba Markovskaia) (La Pastèque)
Lorsqu’il est question des grands bédéistes canadiens qui publient en anglais, les noms de Seth, Chester Brown et Julie Doucet sont — avec raison — invariablement évoqués. Pourtant, il manque à cette liste un créateur majeur : Joe Ollmann. Voilà que les éditions de La Pastèque remédient à cette déconvenue en proposant une traduction de Fictional Father paru l’an dernier chez l’éditeur montréalais Drawn & Quarterly. Père fictif met en scène un ex-alcoolique et artiste frustré vivant dans l’ombre d’un père impitoyable, un bédéiste adulé signant un strip quotidien racontant ironiquement une relation père-fils idyllique. Un pur chef-d’œuvre dont émane un amour contagieux pour le 9e art.

Spirou, l’espoir malgré tout (T. 4)
Émile Bravo (Dupuis)
Ayant à peine effleuré le totalitarisme dans Le dictateur et le champignon (1954), voilà que Spirou se retrouve plongé au cœur de la Seconde Guerre mondiale, d’abord dans le génialissime album Le journal d’un ingénu publié en 2008, puis dans L’espoir malgré tout, extraordinaire tragi-comédie humaniste de 300 pages déclinée en quatre albums que conclut magistralement Émile Bravo. Sous ses pinceaux, le conflit mondial forge l’aventurier vertueux que façonna Franquin. C’est d’ailleurs ainsi que nous quittons Spirou, Fantasio et Spip dans cet ultime chapitre : prêts à faire la rencontre du compte de Champignac, du Marsupilami, et d’en découdre avec Zantafio et un certain Zorglub. Jamais nous n’avions vu une réinterprétation à ce point pertinente et incarnée d’un héros classique!

La fin du commencement
Anne Villeneuve et Fadi Malek (Nouvelle adresse)
Fadi naît au Liban en 1970. À l’adolescence, il vit sous d’incessants bombardements. Ce n’est toutefois pas la guerre qui le terrorise. Sur un second front, plus intime, il se bat pour cacher son homosexualité, de peur de décevoir sa famille, qui fonde beaucoup d’espoir en lui. Devenu adulte, le jeune architecte fraîchement émoulu de l’université, à qui on ne connaît aucune copine, quitte son pays pour Montréal, une contrée lointaine dont il ne connaît rien, afin de devenir ce qu’il souhaite plus que tout : Fadi. La fin du commencement est un superbe récit sur la construction identitaire, qui nous enseigne avec bienveillance qu’il n’y a pas de véritable exil dès lors que l’on trouve une terre d’accueil en soi-même.

Revue Planches (hors-série)
Collectif (Planches)
À l’origine publiée dans les pages du magazine suisse allemand Strapazin en collaboration avec le Festival BD de Francfort, dont l’édition n’eut jamais lieu et auquel une délégation québécoise devait participer, l’anthologie de bédéistes provinciaux verra finalement le jour en traduction française grâce à l’initiative de la revue Planches. Composé de 23 artistes d’horizons variés, ce collectif propose rien de moins qu’un kaléidoscope de la production actuelle québécoise, témoignant avec éloquence de sa richesse et de sa pluralité. Un album idéal pour initier de nouveaux lecteurs au 9e art québécois.

Classiques d’hier et d’aujourd’hui
Il y a vingt-deux ans s’éteignait Charles M. Schultz, emportant avec lui Charlie Brown et sa bande. Chef-d’œuvre absolu du XXe siècle, l’entièreté des vignettes produites durant cinquante années fait l’objet d’une publication d’intégrales, dont le 26e et dernier Snoopy et les Peanuts (Dargaud) paraît enfin, contenant les touchants adieux du créateur à ses lecteurs. Après avoir pastiché Spirou et Fantasio dans sa première série de Lapinot, Lewis Trondheim revient à la charge avec le panache et la drôlerie qu’on lui connaît, alors qu’il envoie son sympathique personnage dans l’univers d’Astérix. Les nouvelles aventures de Lapinot : Par Toutatis (L’Association) nous présente un Lapinot désemparé qui, conscient d’être dans la mauvaise BD, tentera par tous les moyens d’en sortir. Quant à la série culte franco-belge Spirou et Fantasio, une nouvelle équipe de créateurs composée de Benjamin Abitan, Sophie Guerrive et de l’émérite illustrateur au trait élégant Olivier Schwartz succède au tandem précédent, envoyant l’aventurier dans la cité sous-marine de Spirou et les hommes-bulles. Intitulé La mort de Spirou (Dupuis), ce 56e tome renoue avec un certain traditionalisme, rappelant les grandes années d’André Franquin. Autre infatigable héros, Corto Maltese vit une nouvelle aventure grâce aux bons soins des repreneurs Juan Díaz Canales et Rubén Pellejero. Dans leur quatrième album intitulé Corto Maltese (t. 16) : Nocturnes berlinois (Casterman), le tandem plonge le marin aventurier dans un Berlin d’entre-deux-guerres, où il doit élucider l’assassinat d’un ami très cher. Il aura fallu dix ans et un détour par le cinéma pour que la sympathique bande du quartier Abidjan se réunisse à nouveau dans le septième chapitre d’Aya de Yopougon (Gallimard), une comédie romantique aux tonalités sociales qui lève le voile sur une certaine Afrique des années 1970-80.

Des BD qui feront jaser
Stéphane Lemardelé, Français installé au Québec depuis 1995, œuvre comme storyboarder au cinéma. Dans Le storyboard de Wim Wenders (La Boîte à Bulles), il revient sur son expérience professionnelle sur le film Every Thing Will Be Fine, par Wim Wenders. Une plongée dans les dessous du cinéma, dans les échanges riches entre le réalisateur et le dessinateur; une BD dessinée avec soin qui met en lumière l’importance d’un storyboard dans la réalisation d’un film. On se réjouit également du retour du regard sensible de Fabien Toulmé, cette fois dans la série Les reflets du monde (Delcourt), dont le premier volet, En lutte, présente trois femmes qui mettent leur énergie à défendre des luttes citoyennes : au Liban, Nidal est impliquée dans la révolution citoyenne; au Brésil, Rossana se bat pour préserver sa favela devant le déploiement de projets immobiliers de l’État; et au Bénin, Chanceline s’engage auprès des adolescentes pour prévenir les grossesses précoces. Richement documentée et empreinte d’une grande humanité, cette série fera mouche.

Pour vos zygomatiques
Les amateurs de comédie ne seront pas en reste avec la troisième et ultime livraison de Thérapie de groupe (t. 3) : La tristesse durera toujours (Dargaud) de Manu Larcenet, alors que son alter ego de papier tente de se sortir de l’abyssale panne d’inspiration qui le paralyse. L’inénarrable Tom Gauld propose quant à lui La revanche des bibliothécaires (Alto), une série de strips jubilatoires à l’humour pince-sans-rire ayant pour thème la littérature. La Québécoise Axelle Lenoir nous livre le second tome de Si on était… (Front Froid), alors qu’on retrouve avec un immense plaisir Marie et Nathalie, deux amies déjouant l’ennui en jouant à un jeu bouche-trou — pas aussi simple qu’il en a l’air — où elles doivent s’imaginer dans la peau d’une superhéroïne, d’un fruit ou encore d’une conseillère en relations amoureuses.

À lire aussi
Éléments de langage : Cacophonie en Francophonie, Bertin Leblanc et Paul Gros (La Boîte à Bulles)

Mangamania
Les amateurs de manga ne seront pas en reste avec la réédition de Planètes (Panini), un seinen signé Makoto Yukimura mettant en scène des éboueurs de l’espace travaillant à dégager les voies navigables en orbite. En cette ère où des milliardaires insouciants se payent des voyages spatiaux, ce classique prend hélas des allures prophétiques. Côté horreur, les maîtres du genre, Junji Ito et Gou Tanabe, récidivent pour notre plus grand bonheur : l’un avec la relecture de Frankenstein de Mary Shelley (Mangetsu) et l’autre avec Le molosse, adapté de H. P. Lovecraft (Ki-onn). Quant à la passionnante série Intraitable du Sud-Coréen Choi Kyu-Sok (Rue de l’Échiquier), la parution des tomes 5 et 6 conclura la fable moderne abordant les droits des travailleurs face aux multinationales avaricieuses. Le Québécois d’adoption Tony Valente lancera le 17e tome de Radiant (Ankama), un enlevant shonen aux accents fantastiques qui nous rappelle que la richesse de l’humanité réside dans la différence.

À lire aussi
Happy Land (t. 1), Shingo Honda (Okame Books)
Jujutsu Kaisen Guidebook, Gege Akutami (Ki-oon)
Clevatess (t. 1 et 2), Yuji Iwahara (Ki-oon)
Spy x Family (t. 10), Tatsuya Endo (Kurokawa)
La bible de Goldorak, Go Nagai et Pierre Giner (Kurokawa)
Bofuri (t. 1), Yuumikan et Fumihiko Shimo (Mana Books)

Pépites jeunesse
En attendant la diffusion très attendue de l’adaptation animée du Facteur de l’espace (La Pastèque), Guillaume Perreault livre une délectable nouvelle aventure de Bob, as de la livraison intergalactique, qui, malgré son estomac dans les talons, doit distribuer des colis aux confins de la galaxie. Cathon, championne incontestée des univers adorables, revient avec un quatrième opus de Mimose et Sam (Comme des géants), également sous le signe de la gourmandise. Dans une tout autre tonalité, Sophie Bédard traite de la question épineuse de la tristesse et du deuil avec beaucoup de doigté, d’imagination et de douceur dans Félixe et la maison qui marchait la nuit (La ville brûle).

À lire aussi
Marco bleu, Larry Tremblay et Julien Castanié (La Bagnole)
Vinyasa Ninja (t. 2) : La voie du samouraï, Olivier Hamel et Olivier Carpentier (Presses Aventure)
Aube, le monde des rêves (t. 2) : Le festival des esprits, Patrick Blanchette (Presses Aventure)
L’école des superhéros (t. 2) : Musée et gomme balloune, Carine Paquin et Mathieu Benoit (Éditions Michel Quintin)

Perspectives autochtones
Trop longtemps furent occultées les différentes cultures autochtones. Tranquillement, une réconciliation s’opère, levant le voile sur un imaginaire unique et des réalités inconnues. Ainsi découvrons-nous Le redresseur (t. 1) (Glénat Québec) de David A. Robertson, Scott B Anderson et Donovan Yaciuk, un superhéros tentant de porter secours aux habitants de la Première Nation de Wounded Sky à Winnipeg, menacée d’éradication par une entreprise aux sombres desseins. Cette même équipe de créateurs lance également Sugar Falls : Une histoire de pensionnat (Glénat Québec), un devoir de mémoire levant le voile sur un des pans les plus sombres de l’histoire du Canada. Ayant pour objectif de produire un album sur les coulisses de la production d’un film à Schefferville, Caroline Lavergne voit rapidement son carnet de tournage intitulé Le film de Sarah (Nouvelle adresse) devenir une cartographie de la communauté Innu et Naskapi, y confinant peu à peu leur réalité, leur héritage, leur culture.

Les mondes de l’imaginaire
Sociofinancé en 2013, l’étonnant récit fantastique poético-érotique Dryade (t. 1) : Les envoûteurs (Moelle graphik) de Stéphanie Leduc jouit enfin d’une réédition et d’une distribution conséquente, suivi de quelques semaines par la parution du second volet, inédit à ce jour. Dans des tonalités résolument plus sombres et anxiogènes, le scénariste québécois Tristan Roulot nous convie dans le troisième chapitre de sa captivante dystopie Le convoyeur : Ces ténèbres qui nous lient (Le Lombard), alors que le héros prend des allures de vilain. Anticipation écologique et terrorisme vert, voilà ce qui est au menu de Vega (Albin Michel), un polar SF signé Serge Lehman. Porté par le graphisme unique et inspiré de Yann Legendre, ce récit trouve évidemment écho dans les problématiques environnementales actuelles. Bien que sensible, la thématique conspirationniste s’avère être un terreau riche, où la réalité cède momentanément sa place à la fiction. Les éditions de La Pastèque proposent Les héritiers de Pierre-Yves Cezard, un enlevant et non moins troublant récit sur la recherche de vérité.

Les territoires de l’intime
L’acte de lecture en est un intime, sensuel. C’est tout particulièrement le cas de la bande dessinée, qui, par le truchement de son apport graphique et de la pléthore de formats et d’essences de papier, n’a pas son pareil pour nous convoquer dans des contrées personnelles. C’est dans cet esprit que Julie Delporte a concocté Corps vivante (Pow Pow), son bouleversant cheminement identitaire amorcé dans Décroissance sexuelle (L’Oie de Cravan) où l’autrice fait la paix avec sa sexualité et certains traumatismes du passé s’y rattachant. L’identité sexuelle est également au cœur de Journal (Delcourt), dont la réédition du quatrième et dernier tome du classique de Fabrice Neaud, qui a façonné l’autofiction durant la décennie 1990, demeure d’une indélogeable pertinence. La regrettée Geneviève Castrée voit quant à elle l’intégralité de son extraordinaire corpus empreint de douceur et de poésie enfin assemblée dans Geneviève Castrée : Complete Works 1981-2016 (Drawn & Quarterly). L’iconoclaste Ludovic Debeurme propose l’étonnant La cendre et l’écume (Cornélius), un premier récit autobiographique déroutant et enivrant qui propose quelques clés afin de mieux comprendre son univers bédéesque « lynchien ». Jamais en reste, le surdoué Bastien Vivès nous offre Dernier week-end de janvier (Casterman). Sur fond de Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, un illustre dessinateur et l’épouse d’un collectionneur de BD vivent une idylle qui bouleversera à jamais leurs vies. Chez Dargaud, Vanyda clôt sa trilogie intitulée Un petit goût de noisette sur une belle note, avec quatorze histoires d’amour, tissées entre elles avec brio et tendresse.

À lire aussi
Bienvenue en Amérique, Jake Halpern et Michael Sloan (XYZ)
Caboche, Joshua Hale et Noel Tuazon (Sonatine)
Manifestante, Hélène Aldeguer (Futuropolis)

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