C’est avec une subjectivité pleinement affirmée que certains membres de l’équipe de la revue Les libraires et de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec, connue sous la bannière Les libraires, vous ouvrent une partie de leur intimité littéraire : leurs cinq livres favoris de l’année 2020. Force est d’admettre que les œuvres québécoises sont celles qui sont les plus nombreuses à avoir fait chavirer nos cœurs et nos méninges!

Les choix d’Isabelle Beaulieu
Rédactrice et créatrice de contenu

Fais de beaux rêves
Virginie Chaloux-Gendron (Boréal)

Fais de beaux rêves - Virginie Chaloux-GendronUne jeune femme raconte sa maternité, oscillant entre l’amour inconditionnel qu’elle éprouve pour son fils et le besoin impérieux de s’appartenir. Pour contrer les doutes et les peurs qui l’assaillent, elle imagine la mort de son enfant et les façons de survivre à sa disparition. En explorant les contours de l’inimaginable, la narratrice fait face à sa propre enfance, revient sur sa relation avec le père de l’enfant, aborde son rapport à l’écriture qui devient une manière de mettre à distance ses angoisses obsédantes. Constitué de plus ou moins longs fragments non chronologiques, ce roman ressasse les plus grandes craintes que nous portons et ose, sans censure, sonder la profondeur de leurs marques. Dans une traversée de l’intime qui parcourt les thèmes de l’écriture, de la perte, du combat et de la survivance, ce livre porte en lui une franchise qui brave nos périls et exorcise les fantômes.

Autobiographie de l’étranger
Marie-Ève Lacasse (Flammarion Québec)

Autobiographie de l'étranger - Marie-Eve LacasseLa narratrice, alter ego de l’écrivaine, explore la notion de l’exil à travers différents prismes, dont celui du pays natal et de l’écriture. Cette dernière est d’ailleurs une manière de survie qu’elle ne peut s’empêcher de pratiquer. En même temps que l’écriture représente l’ultime liberté où l’auteure trace les fondements de son identité, elle apparaît aussi comme un impératif qui la contraint à y revenir sans cesse. C’est tout de même dans la voie littéraire qu’elle trouvera sa terre d’appartenance où se vit l’amour, la maternité, le désir, l’enfance, les vacillements. « Il n’y a rien d’autre, après l’écriture. Il n’y a rien de plus important que cette vie parallèle qui avance avec la vie », écrit-elle. En faisant l’inventaire des souvenirs et des pensées, elle ouvre le chemin à des natures plurielles qui la rend de moins en moins étrangère à elle-même. Et comme l’autre n’est jamais très loin de nous, sa quête devient en quelque sorte la nôtre.

Hantises
Frédérique Bernier (Nota Bene)

Hantises - Frédérique BernierCe petit essai de moins de 100 pages est d’une densité délicieuse pour qui parcourt la vie à tâtons et qui étant effrayé par l’obscurité n’en continue pas moins de chercher dans les zones d’ombres une vérité qu’une pleine lumière aveuglante ne saurait lui donner complétement. L’auteure est accompagnée dans sa démarche par ses lectures qui l’ont justement lancée dans l’expérience du faillible et du dissonant. Beckett, Kafka, Lispector, Platon, Robert Lalonde, Woolf, Quignard sillonnent avec elle ce que c’est que de vivre, sans occulter ce qui nous inquiète, mais plutôt en tâchant d’y voir ce que cela nous révèle. L’auteure ne se complaît pas pour autant dans le malheur, elle tente au contraire de l’utiliser pour répondre à ses questions et regarder en lui ce qui pourrait nous en faire sortir. Du coup, se retrouver au cœur de la noirceur n’aura jamais été si lumineux.

Souvenir de Night
Mathieu Rolland (Boréal)

Souvenir de Night - Mathieu RollandUne femme d’affaires voyage à travers le monde et lors d’un de ses séjours au Japon, elle rencontre un homme avec qui elle passe la nuit. Elle se rendra compte qu’il s’agit d’un prostitué et après la surprise que lui provoque la nouvelle, elle sera tentée de le revoir encore et encore. Au fil de leurs aventures, l’homme finira par être une véritable obsession pour elle qui semble pourtant avoir acquis un flegmatisme qui se remarque tant dans la sphère professionnelle que privée. En parallèle, des passages de l’histoire nous ramènent à l’enfance de la femme et à sa relation trouble avec la mère. Porté par une écriture concise et mesurée, ce roman est fabriqué dans la subtilité, celle qui caractérise une eau presque dormante, mais qui en-dessous irrigue des soifs inassouvies. Plus la trame se déroule, plus les rets se resserrent autour de ce lien passionnel qui au fond fait état de nos amours perdus.

Maquillée
Daphné B (Marchand de feuilles)

Maquillée - Daphné B.L’auteure entreprend de démystifier à travers sa fascination pour le maquillage les tenants et aboutissants d’une industrie qui se nourrit de ses propres contradictions. Au-delà des thèmes de l’apparence et de la séduction qu’évoque le sujet, cet essai personnel, intelligent, pertinent, sensible et lucide, exprime le rapport émotionnel qui gouverne nos gestes et va jusqu’à fouiller les blessures qui sous-tendent nos actions. Étayé de nombreuses références, il hisse le maquillage au rang de rituel et de procédé d’affirmation de soi autant qu’il traite de son abîme quand il est question de mise en scène servant à remplir les coffres d’un conglomérat aux nombreux tentacules. Et comme Daphné B est aussi poète, elle réussit à sublimer son propos pour en faire une matière libre de s’imaginer en dehors des prédicats définis.

 

 

Les choix de Josée-Anne Paradis
Rédactrice en chef, revue Les libraires et directrice de contenu

Anaïs Nin sur la mer des mensonges
Léonie Bischoff (Casterman)

Anaïs Nin : sur la mer des mensonges - Léonie BischoffJ’adore l’œuvre d’Anaïs Nin et c’est justement pourquoi j’avais peur, en ouvrant cette BD, d’être déçue. Mais au contraire, je fus totalement envoûtée. En créant cette œuvre biographique impressionnante de 160 pages, Léonie Bischoff réussit un tour de force : elle s’inspire des journaux et des correspondances des années 30 d’Anaïs Nin, se les approprie puis les condense sous la forme d’une bande dessinée, tout en conservant leurs saveurs, leurs émotions fortes et leur essence. Empreinte de séquences oniriques fortes qui dévoilent la nature mouvante de l’écriture de Nin, cette BD a ceci d’original qui s’harmonise tout à fait avec son sujet : elle est dessinée avec un crayon à mine multicolore, mettant en évidence cette façon d’être multiple, de s’adapter à chacun, dont fait montre sa protagoniste. En adoptant l’angle de la constante multiplicité des facettes de la personnalité de Nin, Léonie Bischoff rend un hommage vibrant, coloré et sensuel à cette femme qui aura revendiqué la liberté de créer, et surtout, de se créer elle-même : « Si je ne me crée pas un monde par moi-même et pour moi-même, je mourrai étouffée par celui que d’autres définissent pour moi. »

Nos forêts intérieures
Julie Dugal (Marchand de feuilles)

Nos forêts intérieures - Julie DugalMarchand de feuilles a le don de dénicher des auteurs exceptionnels. Cette saison, parmi les premiers romans, la rivalité était forte entre Colibri de Natalia Hero et Nos forêts intérieures. Mais parce que j’affectionne particulièrement les histoires d’enfance, mon cœur a penché pour le roman de Julie Dugal. « J’ai toute une forêt qui pousse en moi, mais chaque jour, on essaie de me la couper. Le monde des adultes n’est pas fait pour les grandes forêts sauvages avec leurs branches cassées et leurs arbres morts. » Nathalie, son personnage, a grandi au cœur d’une forêt, là où les poupées jouent dans la boue, là où les Laurentide se boivent autour des feux même les soirs de semaine, là où les enfants croient dur comme fer à la sorcière du village et aux oiseaux-fantômes qui hurlent la nuit. Devenue mère et citadine, Nathalie ressent alors un vide, puis cet appel de la nature, ce besoin de briser ses chaînes pour retourner à l’état sauvage. Arrivera-t-elle à transmettre à ses propres filles ces valeurs transmises par la terre? Un roman fabuleux qui oscille entre souvenirs des années 70 et époque contemporaine, entre ode à la nature et récit d’amitié abîmée.

Faire la morale aux robots : Introduction à l’éthique des algorithmes
Martin Gibert (Atelier 10)

Faire la morale aux robots : une introduction à l'éthique... - Martin GibertL’informatique est loin d’être un de mes sujets de prédilection. Mais parce que ce livre est suffisamment vulgarisé et qu’il crée des ponts très concrets avec le domaine de la philosophie, Faire la morale aux robots a su se tailler une place parmi mes ouvrages favoris de l’année. L’auteur, philosophe et chercheur en éthique à l’Université de Montréal, répond à la question : « Avec quel genre de robots souhaitons-nous coexister? » Il y explique les bases des grands questionnements auxquels les éthiciens, programmeurs et gouvernements font face, en explorant l’utilitarisme, le déontologisme et l’éthique de la vertu. Comment souhaiterions-nous qu’une voiture autonome réagisse si, par exemple, elle doit choisir entre écraser un enfant ou un aîné? Quelle réponse doit donner un assistant virtuel à un enfant qui lui demande si le père Noël existe? Sa plume est rafraîchissante, contemporaine, humoristique même, et son propos, hautement passionnant.

Chasse à l’homme
Sophie Létourneau (La Peuplade)

Dans Chasse à l’homme, l’auteure revient notamment sur une partie de sa vie évoquée dans Chanson française (roman au « tu » que j’avais aussi adoré), mais elle nous entraîne surtout à la poursuite de son homme sur trois continents (au Québec, en France et au Japon), alors que sa narratrice écoute une cartomancienne qui lui prédit qu’elle rencontrera, grâce à un livre, l’homme de sa vie… Chasse à l’homme devient ainsi un ouvrage qui parle du pouvoir prophétique de l’écriture, de l’avenir qui se situe avant le passé, d’une écrivaine qui écrit un livre comme elle lancerait un sort pour faire venir à elle cet homme de sa vie, d’une constellation d’indices qu’elle s’efforce de voir et de suivre. « Une bague, une marraine, le bout du monde, un cœur brisé, une prédiction. Cette histoire est aussi un conte de fées » : et c’est Sophie Létourneau qui l’écrit.

Fin de combat
Karl Ove Knausgaard (Denoël)

J’ai longuement hésité à mettre à nouveau un Knausgaard dans mes favoris de l’année. Quand il fait triste Bertha chante de Rodney Saint-Éloi et Lola sur le rivage de Teresa Arroyo Corcobado jouaient fort du coude! Mais finalement, impossible de passer outre l’ultime volet de la grande aventure autobiographique de cet auteur norvégien, qui s’efforce constamment d’explorer ses émotions et les possibles de l’écriture réaliste pour décrire une vision du monde qui lui est propre (mais qui trouve justement dans cette authenticité du regard une universalité dont témoigne le succès mondial de son œuvre). Dans ce sixième tome, il parle énormément de l’écriture, de cette période où il allait publier le premier volet de Mon combat et de son oncle qui menace de lui intenter un procès. Il remet en question ses souvenirs, essaie de comprendre pourquoi écrire sur sa vie – et le publier! – lui est si important. Mais il y analyse aussi la montée du nazisme, par le biais de Mein Kampf, écrit par Hitler. Mon combat est vraiment une œuvre à part, qui fera date dans l’histoire de la littérature.

 

Les choix d’Elisabeth Arseneau
Responsable du service aux membres et de la réussite client

Croc fendu
Tanya Tagaq (Alto)

Chaque fragment de récit, lyrique ou descriptif, engendre une méditation sombre, un tremblement, un frisson d’inconfort, une envie de fuir l’asphalte et de se tourner vers la nature. Tanya Tagaq nous offre une fenêtre cristalline sur son village d’Extrême-Arctique. Elle nous présente sa candeur comme son obscénité; sa douceur comme son animalité; sa nature magique comme ses morceaux de plywood arrachés par le vent; sa beauté comme ses atrocités. Ses chroniques nous choquent parce qu’elles sont vraies et sa poésie nous hameçonne parce qu’elle est belle et terrible. Un premier livre saisissant et une ode dédiée bravement aux survivants des pensionnats ainsi qu’aux femmes autochtones abusées, volatilisées, assassinées, réduites à néant.

 

 

La femme cent couleurs
Lorrie Jean-Louis (Mémoire d’encrier)

Des mots limpides et conscients, des vers sobres et touchants, une poésie pleine de douceur, vide d’animosité : Lorrie Jean-Louis tient entre ses mains une recette infaillible pour traiter d’enjeux raciaux et féministes, des sujets qui écorchent souvent à vif et laissent un goût d’amertume au travers de la gorge. Son premier opus n’a pas fait mouche. Au contraire, il sait faire fleurir des convictions et inspire, auprès de ceux qui souhaitent y être sensibles, une résistance ferme et tranquille devant le racisme primaire et les injustices de la condition féminine. La qualité de sa parole poétique, quant à elle, se répercute sur tout un chacun.

 

 

Vous avez détruit la beauté du monde
Isabelle Perreault, André Cellard, Patrice Corriveau, Christian Quesnel (Moelle Graphik)

Une équipe d’experts et un bédéiste se regroupent autour d’un projet artistique et sociologique substantiel : lever le voile sur le malaise collectif que représente le suicide et rendre compte, avec délicatesse, de la mise en scène de suicides survenus au Québec à partir du XXe siècle. La démarche m’est spontanément apparue audacieuse et particulièrement à propos dans l’ère de solitude et de mélancolie que nous traversons. Vous avez détruit la beauté du monde fait de 20 000 dossiers du coroner un projet résolument artistique et extirpe du fait divers le suicide. Chapeau bas à ses créateurs d’être parvenus à accomplir ce tour de force si splendidement.

Les falaises
Virginie DeChamplain (La Peuplade)

Je me suis retrouvée devant un premier roman hypnotisant. Une mère recrachée sur les berges d’une plage de la Gaspésie; les cahiers d’une grand-mère émigrée d’Islande; une fille tentant de recoller les morceaux pour être en paix. Puis, les ellipses, nous faisant vriller d’une souffrance à une autre, les falaises et le vent qui hantent chaque image, les phrases abruptes, les mots, soigneusement immergés dans l’eau saline du Saint-Laurent. L’ensemble participant à ce roman-tempête, qui a pour dessein de faire valoir l’importance de la mémoire dans les luttes pour le droit des femmes. Enfin, Les falaises ne peut se lire que d’une façon : effrénée.

 

 

De parcourir le monde et d’y rôder
Grégory Le Floch (Christian Bourgois éditeur)

De parcourir le monde et d'y rôder, Maria MedemUn vigile de supermarché trouve dans la rue une chose innommable de forme ovale, dure, molle et visqueuse. Il se lance intuitivement dans un voyage surréaliste qui lui fera rencontrer une farandole de personnages possédant tous un avis sur la chose. Or, plus les réponses se multiplient, plus le doute s’installe et demeure. La chose est-elle le reflet de nos fantasmes? Une métaphore de l’écriture elle-même? Une sorte d’horizon kaléidoscopique de notre époque, saturée et sans cesse en proie à un déficit d’attention. Il faut accepter de se prêter au jeu de l’absurde et, plutôt que de comprendre, douter. Ce roman-ovni a remporté tout d’un bloc les prix Décembre, Wepler et Transfuge. Comme quoi le fait de n’appartenir à aucune catégorie n’est pas toujours une tare.

 

Les choix d’Ariane Lehoux
Coordonnatrice générale

Et arrivées au bout nous prendrons racine
Kristina Gauthier-Landry (La Peuplade)

Plusieurs perles sont parues en 2020 chez La Peuplade! La poésie de Kristina Gauthier-Landry m’a happée dans son incarnation du territoire, de la maison, des liens de filiation, des origines, des gourmandises pour les yeux, la panse, la peau, puis des bonheurs dits « disponibles ». « dans la constance / il y a une maison / un lieu sûr / où se déposer // souvent des joies nouvelles / un départ le retour des couleurs / la fumée d’un café / qu’on boira peut-être. » (p. 92) En 115 pages, j’ai habité ces foyers et lieux naturels hors de mon monde, m’y suis laissé bercer, sans jamais m’y imaginer seule. Nous avons gardé le goût du café et des confitures, les pieds dans l’herbe, le sable, près des récifs. « nous brisons le silence / pour nommer / les choses belles. » (p. 107)

 

 

Weedon ou la vie dans les bois
Thierry Pardo (Éditions du passage)

Difficile pour moi de parler autrement qu’au « je » d’un livre. Les livres marquent des moments de ma vie au même titre que l’odeur d’un baume ou d’un parfum peut me rappeler une période bien précise. Cet hiver, j’ai écouté le livre audio Walden ou La vie dans les bois. Plus de douze heures d’écoute en me rendant entre autres à Weedon! L’œuvre de Thierry Pardo s’est ainsi imposée comme un incontournable. Quelle synchronicité! Dans la foulée des réflexions du philosophe naturaliste Henry David Thoreau, cet essai écrit de la plume d’un écrivain voyageur, adepte avéré de la vie en marge, interroge notre rapport au monde, à la nature. « Participer au monde autour de son poêle à bois », savoir alimenter son petit feu du dedans, trouver la poésie dans les bois, dans le silence, tendre vers la simplicité.

 

Le consentement
Vanessa Springora (Grasset)

J’en ai débuté la lecture avec pour seule référence la quatrième de couverture, sans même avoir consulté les critiques ni la couverture médiatique. Plus je lisais et plus je pensais à l’affaire Matzneff. Il n’y a au départ que le M. et puis le G. Vlan! De mettre un visage sur ce célèbre écrivain ayant séduit, puis piégé, l’autrice à ses 14 ans m’a déconcertée comme lectrice. J’ai attendu quelques jours avant de reprendre ma lecture. Ce récit biographique est écrit avec tant de lucidité, de franchise et d’humanité. Le consentement est le premier livre de Vanessa Springora pour qui il fallait « prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre ». De le lire m’a donné l’impression de l’y enfermer aussi un peu plus, de condamner les dérives d’un certain milieu littéraire.

J’ai peur des hommes
Vivek Shraya (Remue-ménage)

J’ai hésité entre ce livre et A History of my Brief Body de Billy-Ray Belcourt. Mon choix s’arrête sur celui lu d’un souffle. Finement traduit de l’anglais par Arianne Des Rochers et Kama La Mackerel, ce livre m’a tiré des larmes et m’a suivie en cuisine au-dessus d’un chaudron tellement j’étais accrochée. Vivek Shraya y met ses tripes sur la table, avec tant de délicatesse; sans véhémence aucune envers les personnes lui ayant été si cruelles. Elle livre un témoignage qui prend au ventre, en décrivant notamment les violences de l’homophobie, de la transphobie et du cissexisme, de son enfance à sa vie de femme trans aujourd’hui. Cette question a eu sur moi l’effet d’une bombe : « Mais pourquoi reconnaît-on mon humanité seulement quand j’expose comment j’ai été victimisée et violentée? » (p. 69). Ouf!

Unapologetically Ambitious
Shellye Archambeau (Grand Central Publishing)

Si l’un de vos plaisirs coupables est d’en apprendre sur les hauts et les bas de la vie professionnelle dans la « Silicon Valley », ce livre est pour vous. Femme d’affaires afro-américaine, une des premières PDG dans « The Valley », Shellye Archambeau raconte sa carrière, avec sa montée des rangs dans l’entreprise IBM. Par ses témoignages marqués de women empowerment, elle prodigue leçons et conseils pratiques afin de réaliser ses ambitions. Créer sa propre chance, trouver ses cheerleaders et mentors, prendre des risques, laisser aller, embrasser ses limites, planifier, saisir les opportunités, oublier la balance travail/vie. Si le monde du travail — dans ce qu’il demande en productivité mais aussi en sérénité — est un sujet qui vous intéresse, lisez aussi Jason Fried et David Heinemeier Hansson.

Les choix d’Alexandra Mignault
Adjointe à la rédaction, revue Les libraires

Un beau désastre
Christine Eddie (Alto)

Abandonné par sa mère, M.-J. vit avec sa tante. Et contrairement à cette dernière, une grande optimiste, il ne perçoit pas les infinies possibilités de la vie; il voit tout en noir; il pressent le désastre. Jusqu’à ce que des éclaircies apparaissent et enjolivent sa vie, à l’adolescence, grâce aux couleurs qu’il peint dans son quartier et grâce aux yeux bleus d’une fille qu’il rencontre. L’amour, l’art et la solidarité sont ici des touches d’espoir à travers l’obscurité. Comme dans ses précédents romans, Christine Eddie fignole avec douceur un roman lumineux et poétique, qui émerveille et fait du bien.

 

 

 

À train perdu
Jocelyne Saucier (XYZ)

Après Il pleuvait des oiseaux, Jocelyne Saucier revient avec une autre œuvre magnifique, touchante, empreinte d’humanité et de beauté. Encore une fois, on y côtoie la solitude, la vieillesse et des êtres discrets en marge du monde. Gladys, une dame âgée, a pris le train, puis un autre et ses proches ne savent plus où elle est ni pourquoi elle a entrepris seule ce voyage ferroviaire. Pourquoi a-t-elle quitté Swastika? Et pour aller où? Un homme, activiste des chemins de fer, essaie de découvrir les secrets de son périple.

 

 

Em
Kim Thúy (Libre Expression)

Avec ce nouveau roman, Kim Thúy nous charme encore avec sa façon unique de broder les phrases. Dans Em, un récit tragique et beau à la fois, d’une tristesse infinie, les ravages et les atrocités de la guerre du Vietnam côtoient la bonté et l’amour. L’écrivaine tisse divers fils et crée une mosaïque poignante qui prend au cœur; elle s’attarde à l’opération Babylift, une mission qui a consisté à évacuer des milliers d’orphelins de Saïgon en 1975, tout en nous révélant le destin de plusieurs personnages qui s’entrecroisent et en abordant plusieurs autres sujets comme l’industrie du vernis à ongles et les plantations de caoutchouc.

 


Le lièvre d’Amérique

Mireille Gagné (La Peuplade)

Toujours à la course, Diane n’arrivait pas à tout faire dans le flot incessant du travail et du quotidien. Elle a donc subi une intervention qui devrait améliorer sa performance et lui permettre d’avoir moins besoin de sommeil. Mais cette opération entraîne aussi d’étranges effets secondaires. Pendant sa convalescence et sa transformation, ses souvenirs d’adolescence refont surface. Quinze ans auparavant, Diane a vécu un été mémorable à L’Isle-aux-Grues avec son nouvel ami Eugène. Un été qui a laissé des traces et des questions sans réponses. Avec cette fable, Mireille Gagné signe un premier roman audacieux, original et métaphorique sur la quête de perfection et de sens dans un monde obnubilé par le travail et la performance et dans lequel la vie effrénée impose un rythme souvent aliénant.

Pas même le bruit d’un fleuve
Hélène Dorion (Alto)

Après la mort de sa mère, Hanna découvre ses carnets et essaie de comprendre celle qui semblait souvent absente de sa propre vie. Pour ces retours dans le passé, qui font écho à son histoire et à celle de sa grand-mère également, Hanna longe la route qui borde le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Rimouski. Sur le chemin, elle s’attarde entre autres au premier amour de sa mère et au naufrage de l’Empress of Ireland en 1914. Ce roman intime et sensible explore les drames qui jalonnent une existence, les fils invisibles qui relient les générations entre elles ainsi que les mystères insondables de la vie.

 

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