Les narrateurs enfants dans les livres pour adultes

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Certains vous diront qu’ils n’en peuvent plus de ces œuvres qui installent l’enfant comme narrateur du récit. Pourtant, lorsque l’auteur réussit à déployer une voix singulière portée par un enfant, le résultat est souvent touchant. Il nous renvoie à la part de rêve, de naïveté, de cruauté dont l’enfance est impartie. En voici quelques exemples.

1. Hugues Francoeur
Livre : Le souffle de l’harmattan
Auteur : Sylvain Trudel
Résumé : Voici l’histoire, racontée par Hugues, de son amitié pour Habéké, un camarade de classe d’origine africaine. Dans une prose inventive et chatoyante, ce récit recrée le monde enchanté de l’enfance, entre l’école et la famille, avec sa gravité et sa fantaisie, avec ses oscillations entre l’exaltation et le désespoir, avec ses rites inventés et ses cérémonies pour conjurer le sort et susciter les miracles. Premier roman d’un jeune auteur, Le souffle de l’harmattan a fait sensation à sa parution en 1986. Il a valu à Sylvain Trudel le prix Canada-Suisse et le prix de l’Académie des lettres du Québec.
Extrait : « Par exemple, dans mon assiette, un brocoli c’est un orme, les patates pilées font un château et la sauce brune c’est l’eau boueuse des fossés. Et les haricots dans la sauce sont des crocodiles qui font peur aux ennemis. Dans le château, il y a un radis qui règne sur le royaume, et une tour qui emprisonne une petite carotte marinée avec laquelle je suis en amour. Moi, je suis le Bien et la Justice, et je veux tuer le radis parce qu’il a beaucoup d’écus et que les paysans crèvent de faim. »

2. Sol, Randall, Sadie et Kristina
Livre : Lignes de faille
Auteure : Nancy Huston
Résumé : Sol est un jeune Californien du XXIe siècle, Kristina une petite Allemande des années 1940. Qu’ont-ils de commun, sinon le sang? Du petit garçon à l’arrière-grand-mère s’échelonnent les voix drôles, terribles, attachantes de quatre enfants, dont chacun est le parent du précédent. Voix de l’innocence? Un récit vertigineux, sur la violence et les mensonges, l’amour et la rage qui se transmettent de génération en génération, en guise de mémoire. Lignes de faille a reçu en 2006 le prix Femina.
Extrait : « Une fois je me suis caché dans leur cave au fond d’une énorme boîte en carton et quand les cousins sont descendus je les ai entendus m’appeler « Randall! Randall! » mais ma cachette était tellement bonne qu’ils ne mont pas trouvé et pour finir ils ont renoncé et sont sortis jouer au frisbee dans le jardin en m’oubliant complètement. Pendant ce temps j’étais encore dans la boîte, j’attendais, j’attendais et quand je suis sorti enfin j’étais frigorifié et ankylosé et, en me voyant, mes cousins n’ont même pas dit « Où étais-tu? On t’a cherché partout! » J’étais blessé de ne pas leur avoir manqué et je me suis dit que la mort devait être comme ça : la vie continue tranquillement sans toi. »

3. Tinamer de Portanqueu
Livre : L’amélanchier
Auteur : Jacques Ferron
Résumé : Léon de Portanqueu, esquire, a partagé le monde en deux : d’un côté, le sous-bois où fleurit chaque année l’amélanchier, se transformant l’espace d’une courte saison en feu d’artifice; et de l’autre, le monstrueux boulevard et ses gratte-ciels. Sa fille Tinamer, avant de traverser « du mauvais côté des choses », croisera, entre autres, Maître Petroni, soi-disant propriétaire des lieux, Monsieur Northrop, qui fut autrefois lapin, et Coco, l’éternel enfant prisonnier du Mont-Thabor. C’est du haut de ses vingt ans qu’elle retourne sur cette période bénie où l’innocence donnait à toute chose sa magie.
Extrait : « Un pays, c’est plus, c’est moins qu’un pays, surtout un pays double et dissemblable comme le mien, dont la voix ne s’élève que pour se contredire, qui se nie, s’affirme et s’annule, qui s’use et s’échauffe à lui-même, au bord de la violence qui le détruira ou le fera vivre. »

4. Oskar Schell
Livre : Extrêmement fort et incroyablement près
Auteur : Jonathan Safran Foer
Résumé : Oskar, 9 ans, est surdoué, ultrasensible, fan des Beatles et collectionneur de cactées miniatures. Son père est mort dans les attentats du World Trade Center en lui laissant une clé. Persuadé qu’elle expliquera cette disparition injuste, le garçon recherche la serrure qui lui correspond. Sa quête l’entraîne aux quatre coins de la ville où règne le climat délétère de l’après 11-Septembre.
Extrait : « Le truc hallucinant, c’est que j’ai lu dans National Geographic qu’il y a plus de gens vivants aujourd’hui qu’il n’en est mort dans toute l’histoire de l’humanité. Autrement dit, si tout le monde voulait jouer Hamlet en même temps, ce serait impossible parce qu’il n’y a pas assez de cranes! »

5. Janie Ryan
Livre : Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman
Auteure : Kerry Hudson
Résumé : Venue au monde sous une bordée d’injures, Janie Ryan file une jeunesse âpre dans l’Écosse en crise des années 80. De refuges en HLM minables, entre une famille aussi fêlée qu’aimante, l’alcool, les fins de mois à sec et les beaux-pères éclair, elle se raconte. Et se construit : armée d’un humour féroce et d’une rage d’en découdre, Janie rêve d’une vie à elle, et elle l’aura. Un fabuleux portrait de femme(s), et d’une époque à vif, rythmé par une langue insolente.
Extrait : « Maman comprenait l’importance des livres pour moi.
« T’es tellement intelligente. Ça doit venir de ton père. Il adorait la poésie.
– Et la gnôle.
– Et la gnôle, oui, mais t’es assez intelligente pour prendre les bons côtés et laisser le reste, Janie. »
Mais je n’ai jamais su si c’était vrai et, à part maman, ces deux bibliothécaires étaient les seuls à comprendre la quantité d’espoir qui s’accrochaient à ces livres. »

6. Ronce-Rose
Livre : Ronce-Rose
Auteur : Éric Chevillard
Résumé : Si Ronce-Rose prend soin de cadenasser son carnet secret, ce n’est évidemment pas pour étaler au dos tout ce qu’il contient. D’après ce que nous croyons savoir, elle y raconte sa vie heureuse avec Mâchefer jusqu’au jour où, à la suite de circonstances impliquant un voisin unijambiste, une sorcière, quatre mésanges et un poisson d’or, ce récit devient le journal d’une quête éperdue.
Extrait : « C’est beau, moi je trouve ça beau, les choses qu’on voit, ce qu’il y a partout, c’est beau. Certaines de ces choses font plutôt rire, ça ne les empêche pas d’être belles aussi. Leur forme surtout, j’aime surtout la forme des choses, vous avez remarqué les formes qu’elles prennent ! Je ne pense pas seulement aux nuages. Vous avez déjà regardé une chaise ? Mais les couleurs me plaisent aussi. Elles siéent aux choses de manière incroyable. Toujours la nuance qu’il fallait justement et parfois en plus la lumière vient se poser dessus. Je ne dis pas cela pour me vanter parce que je porte un nom de couleur. Ainsi parlerait l’orange, mais je ne suis pas un fruit. »

7. Denise Lesur
Livre :
 Les armoires vides
Auteure : Annie Ernaux
Résumé : « Ça suffit d’être une vicieuse, une cachottière, une fille poisseuse et lourde vis-à-vis des copines de classe, légères, libres, pures de leur existence… Fallait encore que je me mette à mépriser mes parents. Tous les péchés, tous les vices. Personne ne pense mal de son père ou de sa mère. Il n’y a que moi. »
Un roman âpre, pulpeux, celui d’une déchirure sociale.
Extrait : « Tout est donné en une seconde, la tête prise dans la boucle du bras, attirée, momifiée de peur, la bouche écrabouillée. J’étouffe, je suis bouffée à la tête, comme certains poissons, lesquels. Je regrettais tout, d’avoir voulu, de m’être laissé faire. »

8. Jean Louise « Scout » Finch
Livre : Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur
Auteure :
Harper Lee
Résumé : Maycomb, petite ville de l’Alabama, pendant la Grande Dépression. Atticus Finch élève seul ses deux enfants, Jem et Scout. Avocat intègre et rigoureux, il décide, envers et contre tous les préjugés moraux et politiques de son époque, de défendre un Noir accusé d’avoir violé une Blanche. Dénonciation audacieuse de l’Amérique de la ségrégation, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est aussi l’un des plus grands romans jamais écrits sur l’enfance, et le regard de la jeune Scout, plein de tendresse et de drôlerie, a su attraper le coeur de plusieurs générations de lecteurs au fil des années. Prix Pulitzer 1961.
Extrait : « Un papier d’aluminium était collé dans un trou d’arbre, juste à la hauteur de mes yeux, et accrochait le soleil de midi. Je me hissai sur la pointe des pieds, regardai à nouveau à la hâte autour de moi, tendis la main vers le trou et en tirais deux plaques de chewing-gum privées de leur papier d’emballage…
… Je les reniflai, elles avaient l’odeur qu’il fallait. Je les léchai et attendis un instant. Comme je ne mourais pas, je les enfournai d’un coup : d’authentiques Wringley’s double-mint. »

9. Momo
Titre : La vie devant soi
Auteur : Romain Gary
Résumé : Signé Ajar, ce roman reçut le prix Goncourt en 1975. Histoire d’amour d’un petit garçon arabe pour une très vieille femme juive : Momo se débat contre les six étages que Madame Rosa ne veut plus monter et contre la vie parce que « ça ne pardonne pas » et parce qu’il n’est « pas nécessaire d’avoir des raisons pour avoir peur ». Le petit garçon l’aidera à se cacher dans son « trou juif », elle n’ira pas mourir à l’hôpital et pourra ainsi bénéficier du droit sacré « des peuples à disposer d’eux-mêmes » qui n’est pas respecté par l’Ordre des médecins. Il lui tiendra compagnie jusqu’à ce qu’elle meure et même au-delà de la mort.
Extrait : « Mais je tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie. Le bonheur, c’est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre. On est pas du même bord, lui et moi, et j’en ai rien à foutre. »

10. Bérénice Einberg
Titre : L’avalée des avalés
Auteur : Réjean Ducharme
Résumé : Les enfants en mènent large. Ils peuvent dire pis qu’aimer, pis que pendre. Ils ont tous les droits Entre vingt et vingt-trois ans (l’âge de ce roman), on a toutes les lois, toutes en même temps. Si on est doué, on les apprend. Si on est pas content, on se déprend, en se souvenant, en imaginant.
Extrait : « Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. »

 

D’autres narrateurs-enfants à découvrir : Anna Ouellet dans Neurotica, Mélanie Gélinas (Leméac), Le fils dans En attendant Bojangles, Olivier Bourdeault (Finitude), Holden Caulfield dans L’attrape-cœurs, J.D. Salinger (Robert Laffont), Jacques Mailloux dans Mailloux, Hervé Bouchard (Le Quartanier), Aïcha dans Et au pire, on se mariera, Sophie Bienvenu (La mèche), Jack dans Room, Emma Donoghue (Le Livre de Poche), La petite fille dans La petite fille qui aimait trop les allumettes, Gaétan Soucy (Boréal), Hélène alias Joe dans La petite et le vieux, Marie-Renée Lavoie (BQ), Léon Doré dans C’est pas moi, je le jure!, Bruno Hébert (Boréal), Michele Amitrano dans Je n’ai pas peur, Niccolò Ammaniti (Robert Laffont).

Les résumés sont ceux des éditeurs.

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