L’équipe de Les libraires, à la revue comme à la coopérative, est composée, vous vous en doutiez sûrement, de grands lecteurs. Des livres, on en possède par milliers et on ne sait plus où les ranger; des livres, on en lit par centaines au courant d’une année; des livres, on en mangerait même pour le petit déjeuner. Et chaque année, nous aimons nous torturer un peu en nous soumettant au difficile exercice de ne choisir, chacun, que trois titres parmi nos préférés. Voici donc l’heureux résultat de cette saignée littéraire!

 

Les choix de Josée-Anne Paradis

Mon combat (t. 4) : Aux confins du monde
Karl Ove Knausgaard (Denoël)

Au risque de paraître répétitive en ajoutant à mon top 3 de l’année un titre de Karl Ove Knausgaard, encore une fois, j’ose placer ce quatrième volet de la saga « Mon combat » dans mes coups de cœur. C’est qu’elle fascine tellement, cette magistrale aventure d’écriture dans laquelle s’est lancé l’auteur norvégien, revenant sur son passé pour en extraire ce qui en fait le sel. Dans Aux confins du monde, il nous emmène dans ses débuts de vie adulte, alors qu’il part seul, dans le Nord, pour y devenir un jeune professeur. À 17 ans à peine, il passe ses journées dans un tout petit village à côtoyer des étudiants – et étudiantes – à peine plus jeunes que lui. Ni journal intime ni roman, cette entreprise romanesque autofictive passera à l’histoire pour sa totale mise à nu sans censure, mais aussi pour la sensibilité du regard que porte le narrateur sur le monde qui l’entoure. Et bien entendu, puisqu’il est aussi paru en 2017, mais en format poche, je ne peux passer sous silence le troisième – et excellent – volet de la série : Jeune homme.

 

Betty Boob
Véronique Cazot et Julie Rocheleau (Casterman)

Côté BD, 2017 a été riche de belles découvertes, passant de l’incroyable adaptation du Journal d’Anne Frank chez Calmann-Lévy par Ari Folman et David Polonksy au magistral Extases, de Jean-Louis Tripp (Casterman), avec un détour vers le sensible et unique Moi aussi je voulais l’emporter, chez Pow Pow. Mais, les couleurs chaudes, la richesse du scénario qui ne contient pourtant aucun mot, la profondeur de la réflexion sur l’identité et la qualité des illustrations ont eu le dessus : Betty Boob, le roman graphique sans texte illustré par Julie Rocheleau et scénarisé par Véronique Cazot est hallucinant. C’est l’histoire d’une femme qui, à la suite d’une ablation d’un sein atteint de cancer, cherche ses repères, cherche à redéfinir le sens qu’elle donne à la vie, à la sexualité, au couple, à ses amis. Elle se retrouvera, par un heureux hasard, sur la scène d’une troupe burlesque, qui l’acceptera, elle et son unique sein. Une ode à la vie qu’on doit savourer.

 

Les filles au lion
Jessie Burton (Gallimard) 

Comme troisième choix, la lutte a été difficile entre l’excellent Un astronaute en Bohême et Les filles au lion. Mais la plume de Jessie Burton l’a emportée. Celle qui a publié Miniaturiste (paru en format poche en 2017, roman que j’ai également adoré!) récidivait avec un roman d’époque, qui nous plongeait cette fois au cœur de deux récits, l’un se déroulant à Londres 1967, l’autre en Espagne en 1936. C’est l’histoire d’une toile, l’histoire d’un amour qui n’a pas existé tel qu’on l’aurait souhaité, c’est l’histoire qui se glisse alors que la guerre civile espagnole commence à gémir en arrière-plan, c’est l’histoire de femmes fortes, artistes dans l’âme, qui crient jusque par-delà les époques pour leurs libertés. Un roman si bien imbriqué qu’en dévoiler plus serait en gâcher le plaisir.

 

Les choix de Dominique Lemieux

Bienvenue au pays de la vie ordinaire
Mathieu Bélisle (Leméac)

La cuvée essais de l’année était particulièrement riche. J’ai d’ailleurs hésité avant de retenir ce recueil de textes. Il y avait bien les titres de Bernard Émond (Camarade, ferme ton poste, Lux), du duo Denys Delâge-Jean-Philippe Warren (Le piège de la liberté, Boréal), de Yuval Noah Harari (Homo Deus, Albin Michel) et de tous ceux qui patientent sur la table de chevet (Alain Vadeboncoeur, Rutger Bregman, etc.). Ce qui m’a particulièrement séduit chez Bélisle, que j’ai toujours lu avec bonheur dans les pages de L’inconvénient, c’est ce dosage parfait entre érudition et accessibilité; c’est ce regard solidement argumenté sur notre société – ses travers, bien sûr, mais aussi ses limites; c’est la force de ces textes dégourdis, parfois bien piquants, qui font grandement réfléchir. Bélisle déplore la force vive de la « vie ordinaire » – le concept rejoint celui du confort et de l’indifférence de Denys Arcand -, alors que l’engagement collectif ou la reconnaissance de l’importance des arts et de la pensée sont mis de côté. Parce que l’ordinaire n’est pas mal en soi, mais qu’il faut encore être en mesure de rêver et d’imaginer d’autres possibles…

 

Celui qui va vers elle ne revient pas
Shulem Deen (Globe)

Nul n’est outillé pour rompre avec une partie de lui-même. Issu d’une communauté hassidique parmi les plus ferventes d’Amérique, Shulem Deen grandit en ignorant tout du monde extérieur. On le suit dans cette enfance singulière – il étudie notamment à Montréal pendant une période –, puis dans cette vie adulte marquée par une dévotion complète, un mariage imposé et une vie familiale bien remplie. Celui qui va vers elle ne revient pas est surtout le fascinant récit d’une perte de foi, d’une remise en question profonde, d’une quête d’un nouveau sens à la vie. C’est un texte formidable pour comprendre la réalité des Juifs hassidiques et le difficile processus d’émancipation rencontré par ceux qui veulent s’évader de ce monde clos. Informatif et souvent déconcertant!

 

 

L’amie prodigieuse (t. 3) : Celle qui fuit et celle qui reste
Elena Ferrante (Gallimard)

Je m’incline : je ne fais preuve ici d’aucune originalité. Pour la troisième année consécutive, cette saga d’Elena Ferrante figure dans mon palmarès personnel. Bon, certains livres parus en 2016 l’auraient détrôné (Cartel de Don Winslow, N’essuie jamais de larmes sans gants de Jonas Gardell…), mais les consignes étaient claires : les livres de ce palmarès devaient être parus en 2017. Ce troisième tome de L’amie prodigieuse maintient vif l’intérêt autour de ce portrait de société en mouvement raconté par Elena Greco, maintenant femme adulte, bientôt mariée et mère de deux enfants. C’est par cette femme en quête d’une vie meilleure, d’une reconnaissance élargie, qu’on découvre l’Italie de la fin des années soixante, où luttes sociales et politiques, affirmation féministe et questionnements incessants rythment le quotidien d’Elena et de chaque personnage que nous avons pris plaisir à connaître au cours des romans précédents : d’abord, cette Lila, meilleure amie, âme soeur d’Elena, confidente parfois crainte et honnie, qui se donne la vie dure, mais qui persévère toujours, mais aussi Pasquale – révolutionnaire convaincu -, Enzo – fidèle allié de Lila -, le clan Solara, la famille Greco, les anciens amoureux d’Elena et tous les autres. Sérieusement, on ne peut que se laisser séduire par autant d’ingéniosité et de contrôle. Vraiment hâte à la prochaine et ultime étape. Ça fait mal de laisser certains titres derrière (Article 353 du code pénal de Tanguy Viel, La terre qui les sépare de Hisham Matar ou De bois debout de Jean-François Caron), mais le pouvoir Ferrante opère encore trop fort.

 

Les choix d’Alexandra Mignault

Le jeu de la musique
Stéfanie Clermont (Le Quartanier)

Des amis, à la fois désenchantés et follement vivants, cherchent un sens à leur existence, ont soif d’absolu. Ce livre mélancolique, d’une tristesse inouïe, va droit au cœur. L’espoir pointe aussi parce que la vie essaie toujours de reprendre le dessus. Une œuvre envoûtante, sublime, sensible et dure.

 

 

Les égarés
Lori Lansens (Alto)

Avec Les égarés, Lori Lansens nous entraîne dans une lecture inoubliable et émouvante, qui nous habite longtemps. Quatre randonneurs se perdent dans les bois et tentent de survivre, se dévoilant sous leur vraie nature, dans toute leur humanité. Personne ne ressortira indemne de cette excursion de survie.

 

 

Taqawan
Éric Plamondon (Le Quartanier)

Après la trilogie 1984, l’auteur signe un roman sombre et beau, empreint de fureur et de poésie. Campé en Gaspésie, près de la rivière Ristigouche et de la baie des Chaleurs, interpellant le présent et le passé, entremêlant la petite et la grande histoire avec brio, Taqawan dépeint une histoire d’affrontements, de survie et une descente dans la réserve mi’gmaq en juin 1981 qui chamboule tout. 

 

Les choix d’Isabelle Beaulieu

Le jeu de la musique
Stéphanie Clermont (Le Quartanier)

L’auteure n’hésite pas à nommer le désespoir et pour cette vérité qui n’essaie pas de se défiler, cela fait de ce livre un précieux morceau. Décliné en cinq parties et trente-trois nouvelles, ce recueil est pourtant formé d’une unité organique qui ne provoque e cassure entre les récits. Chacun des personnages possède une dimension unique et évoque en même temps la possibilité qu’il puisse s’agir de nous. Ce livre dur, violent, aux abois, tendre, sensible, amoureux a un profond pouvoir de sublimation qui nous console de presque tout.

 

 

L’amie prodigieuse (t.3) : Celle qui fuit et celle qui reste
Elena Ferrante (Gallimard)

J’aurais voulu choisir autre chose que cette série dont le tome 2 faisait partie de mes choix de l’an dernier et laisser la place à quelqu’un d’autre. Mais si je veux répondre honnêtement à l’exercice qui m’ait demandé, à savoir mes trois livres préférés cette année, je dois inclure encore cette « amie prodigieuse » qui non seulement ne déçoit pas, mais nous dévore d’avidité. On suit toujours les Elena et Lila, maintenant adultes et mères, avec en arrière-plan les importants changements sociaux et politiques de l’Italie des années 60 et 70. Et encore une fois, la fin nous assène un violent coup que seule la perspective du prochain tome peut apaiser.

 

 

Manuel à l’usage des femmes de ménage
Lucia Berlin (Grasset)

Serti de quarante-trois nouvelles, ce livre très personnel de l’Américaine Lucia Berlin nous entraîne dans une vie faite de nombreuses péripéties. En fait, nous avons plutôt l’impression que plusieurs vies ont été vécues en une seule tant est remplie l’existence peu banale de cette écrivaine décédée en 2004 et que l’on ne découvre que maintenant. Trois mariages, quatre enfants, des dizaines de petits boulots, une dépendance à l’alcool, un humour pétillant et un don notoire pour l’écriture donnent largement matière à la construction d’une œuvre qui fera dire à juste titre au magazine Publishers Weekly que « Lucia Berlin est sans doute le meilleur écrivain dont vous n’avez jamais entendu parler ».

 

Les choix de Vanessa Bell

Quelque chose continue d’être planté là
Maude Pilon (Le lézard amoureux)
 

Brillante exploration de la sémiotique dans une narration qui emprunte autant à la géographie qu’à la poésie. J’ai été soufflée par la ramification des diverses sources citées/empruntées et autres verbatims généreusement partagés qui forment un corps cohérent et, disons-le, magnifique. Une forme d’hommage à la liberté qu’offre la poésie actuelle, mais aussi et surtout aux savoirs et langues des peuples des Premières Nations.

 

 

Un long soir
Paul Kawczak (La Peuplade)

Quand l’envie de voyager me prend le corps, je lis de nouveau ce livre, et alors, je n’ai plus besoin de partir. Tout y est : les faits, le cœur, les effluves.

Ces microrécits forment un « ensemble hybride, fait de littérature, de savoirs historiques et de données ethnogéographiques, qui baigne dans une délicate érudition portée par une sensibilité de philosophe ému ». – Sébastien Dulude, Zone occupée [en ligne].

Ce livre est une preuve de confiance aux lecteurs. C’est beau, d’une beauté immense et couchante. Un grand livre.

 

 

Les adieux
René Lapierre (Les Herbes rouges)

L’amour n’est pas une affaire personnelle.
C’est un désastre, une impudicité, un chaos, une détresse, une bonté.

Aimer est effrayant, mais c’est notre seule chance.

Notre dernière, je veux dire.

Qu’est-ce que l’amour et que fait-il de nous à la fin? Question habilement fouillée où l’auteur, couvrant une période de cent années d’Histoire, trace un portrait lucide, amoureux et politique du monde. Une écriture savoureusement frondeuse qui porte un aplomb, une sagesse, une extase. Une poésie maîtrisée, habitée, d’une maturité qui force l’admiration.

Pendant plusieurs mois, je n’ai pas eu la force de le finir, refusant cet adieu.
Ce livre offert par le poète « comme une bienveillance » est un legs immense, de ces œuvres qui marqueront notre littérature nationale.

À lire, que vous aimiez ou non la poésie.

 

Curieux de connaître ce que nous avions aimé l’an dernier? C’est par ici! 

 
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