12 livres québécois qui nous font craquer

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Encore une fois cette année, les libraires donnent rendez-vous aux lecteurs de tous genres pour la troisième édition de l’événement Le 12 août, j’achète un livre québécois! Rappelons que cette initiative a été lancée par les auteurs Patrice Cazeault et Amélie Dubé via Facebook. Cet appel a eu un succès retentissant et depuis, libraires et lecteurs se préparent pour participer massivement à cette journée. Du 1er au 12 août inclusivement, nous vous proposerons chaque jour 12 titres québécois que vous pourrez voir apparaître sur notre site. N’hésitez pas à vous en inspirer et à ajouter des titres à ceux suggérés.

Le choix ne s’est pas fait sans douleur, mais l’équipe de la rédaction de la revue Les libraires s’est quand même prêtée avec joie à l’exercice de choisir trois, et seulement trois, titres québécois tant aimés. Évidemment, chacun de nous a plus de trois coups de cœur québécois en mémoire. Disons alors qu’il s’agit de trois livres parmi nos nombreux préférés. Et comme c’est le rôle et le plaisir du libraire de conseiller les personnes en mal de lecture, libre à vous de vous laisser inspirer. Voici ce que ça donne.

Les choix d’Alexandra

Il pleuvait des oiseaux
Jocelyne Saucier (Éditions XYZ)

Extrait : « Il était fier de me raconter ses histoires d’ours dévorés par les tiques et la faim qui vous attendent au pas de votre porte, de ces bruits qui geignent et grincent au vent la nuit, et les moustiques, je ne t’ai pas parlé des moustiques, en juin, ils y sont tous, les maringouins, les mouches noires, les brûlots, les taons, mieux vaut ne pas se laver, y a rien comme un cuir épais pour se protéger contre ces petites bêtes-là, et les froids de janvier, ah! les froids de janvier, il n’y a pas plus grand objet de fierté dans le Nord, et mon logeur n’allait pas manquer de s’en plaindre pour que j’admire discrètement son courage. »

Je suis là
Christine Eddie (Éditions Alto)

Extrait : « Pour éviter de rester sur le mauvais pied, j’ai développé un truc que j’ai emprunté à mes cours de tai-chi: je me mets en suspens. Comme le chat avant de sauter sur l’étagère du haut. Comme un caillou qui attend la vague pour se déplacer sur le sable. Ce n’est pas donné à tout le monde. J’ai d’ailleurs remarqué qu’il suffit de tout interrompre pour que quelque chose se produise. Une voix. Une odeur. Des pas. »

La femme qui fuit
Anaïs Barbeau-Lavalette (Éditions Marchand de feuilles)

Extrait : « Ma mère venait d’accoucher de moi. Sa fille, son premier enfant.
Je t’imagine qui entres. Le visage rond, comme le nôtre, tes yeux d’Indienne baignés de khôl.
Tu entres sans t’excuser d’être là. Le pas sûr. Même si ça fait 27 ans que tu n’as pas vu ma mère.
Même s’il y a 27 ans, tu t’es sauvée. La laissant là, en équilibre sur ses trois ans, le souvenir de tes jupes accroché au bout de ses doigts.
Tu t’avances d’un pas posé. Ma mère a les joues rouges. Elle est la plus belle du monde.
Comment as-tu pu t’en passer?
Comment as-tu fait pour ne pas mourir à l’idée de rater ses comptines, ses menteries de petite fille, ses dents qui branlent, ses fautes d’orthographe, ses lacets attachés toute seule, puis ses vertiges amoureux, ses ongles vernis, puis rongés, ses premiers rhums and coke?
Où est-ce que tu t’es cachée pour ne pas y penser? »

Les choix de Dominique

 
Mailloux
Hervé Bouchard (Éditions du Quartanier)

Extrait : « Je me suis échappé d’un traîneau. Les parents le tiraient, prenant plaisir à pied dans une avenue large qui n’était pas la leur, rêvant d’années et de dollars, grisés par la modestie des nombres qu’il leur fallait pour arriver là où ils voulaient arriver. Regards légers qui les atteignaient l’un l’autre au ventre, l’enfant léger dans le traîneau derrière, ils avaient en eux la joie d’être deux tirant l’enfant dans le traîneau derrière. Le pays couvert en novembre de neige, c’était une joie aussi, une joiede commencement. Je me suis débarrassé de la couverture et j’ai roulé dans la neige, les parents tiraient le traîneau, j’allais à quatre pattes dans la direction opposée. Une tache bleue minuscule au loin quand ils se sont retournés et ont vu le traîneau vide si léger qu’ils tiraient dans la joie d’être deux. Ils ont couru sans inquiétude dans l’avenue large qui n’était pas la leur, laissant là le traîneau, les deux courant vers leur petit, regards légers encore au ventre et la joie qu’on appelle l’amour. Ç’aurait pu être le contraire. Des regards inquiets, une rue étroite, le petit disparu, une horreur bien à eux. »

Du mercure sous la langue
Sylvain Trudel (Éditions Les Allusifs)

Extrait : « Personne comprend que des fois j’ai le goût d’assassiner tout le monde, que j’ai souvent besoin de cracher sur tout ce qui bouge, d’être plus cruel que jamais, je veux dire quand je sens que je suis fait comme un rat, que la gueule du loup se referme sur une nuit fatale et que je ne peux plus supporter la vie des autres, ces inconscients tout boursouflés par l’espérance de vie qui est la mesure du possible – mais c’est rien, c’est rien, c’est juste mes aigreurs de moribond qui me remontent du fond des tripes avec ma mauvaise fois. Ne t’en fais pas, ne t’en fais pas, répète comme un perroquet l’abbé chauve qui boitille dans les corridors sur sa canne à tête de bouc, sans savoir que c’est le démon lui même qu’il réchauffe ainsi dans sa main, l’abbé Guillemette qui me dit toujours hypocritement que j’ai de la jarnigoine, pour pouvoir ensuite mieux me tromper avec ses enseignements fumeux – ne t’en fais pas, la vie est plus belle que tu crois, la mort est moins dure que tu penses, blablabla. Mais c’est une vraie manie d’imbéciles : parce que je refuse de croire en leur monde artificiel et endormeur, ils insinuent tous que je suis dans l’erreur et que j’ai la berlue, ce qui est doublement impossible, vu que, l’erreur, nous nous enfonçons tous dedans comme des enclumes, et que, la berlue, je l’ai déjà eue à sept ans. »

 
Petit cours d’autodéfense intellectuelle
Normand Baillargeon (Éditions Lux)

Extrait : « Mais s’il est vrai, comme je le pense, qu’à chacune des avancées de l’irrationalisme, de la bêtise, de la propagande et de la manipulation, on peut toujours opposer une pensée critique et un recul réflexif, alors on peut, sans s’illusionner, trouver un certain réconfort dans la diffusion de la pensée critique. Exercer son autodéfense intellectuelle, dans cette perspective, est un acte citoyen. C’est ce qui m’a motivé à écrire ce petit livre, qui propose justement une introduction à la pensée critique.
Ce qu’on trouve dans les pages qui suivent ne prétend pas être neuf, ni original. Ce que j’y expose est bien connu, au moins des personnes qui fréquentent de près la littérature scientifique ou les écrits concernant la pensée critique et sceptique. Je me suis toutefois efforcé d’en faire une synthèse accessible en présentant, le plus simplement et le plus clairement possible, ces concepts et habiletés dont la maîtrise me paraît être un talent nécessaire à toute citoyenne et à tout citoyen.»


Les choix d’Isabelle

L’éternité en accéléré
Catherine Mavrikakis (Éditions Héliotrope)

Extrait : « Un matin, mon père, qui avait encore décidé de mettre fin à ses jours, lança, en la sortant à toute vitesse du garage, la voiture contre un lampadaire devant chez nous. Mon frère et moi à l’intérieur du véhicule n’eûmes par miracle que des contusions. La voiture fut pas mal cabossée. Mon père prétendit alors que la Cadillac avait un défaut de fabrication, que lui n’avait rien fait, n’avait appuyé sur aucune pédale. La bagnole serait devenue folle toute seule… Je ne sais s’il a réussi à faire gober cela aux assureurs. Peut-être. Mais pas à nous. Nous avions l’habitude des « suicides » de mon père. Il mettait souvent le feu à la maison et mon frère et moi devions arrêter l’incendie naissant et « accidentel » qui menaçait de tous nous emporter. […] Je ne sais pas conduire. Cela n’a rien d’une prise de position écologique ou encore d’une excentricité d’intellectuelle. Je ne peux pas conduire. Je suis restée la copilote, le bras droit des pères et des autres sur la route de la vie. »

Fugueuses
Suzanne Jacob (Éditions du Boréal)

Extrait : « Ma mère s’est évanouie dans le jardin un soir, c’est facile de se souvenir de quel soir puisque c’était le soir deux jours après le jour où elle avait passé la journée plantée devant la télé à regarder les avions percuter les tours jumelles du World Trade Center à New York et à répéter « Non, non, non, ce n’est pas possible » en serrant sur son coeur le téléphone sans fil. Ma mère ne se déplace jamais dans une pièce avec un sans-fil. Elle ne quitte pas le socle des yeux. Son psychisme n’arrive pas à assimiler la disparition du fil. Pareil pour mon père, mais ça se manifeste autrement. Il ne cesse pas de ne pas se rendre compte qu’il marche à grandes enjambées à travers les pièces et jusqu’au jardin, et du fond du jardin en faisant le tour du garage, et en se retournant sans cesse pour vérifier le miracle qu’est cette disparition du fil, ce qui a pour effet de me prouver, à moi qui l’observe, qu’il ne s’adapte pas plus rapidement que ma mère aux innovations technologiques. »

« De remarquables oubliés » (t. 1) : Elles ont fait l’Amérique 
Serge Bouchard, Marie-Christine Lévesque (Éditions Lux)

Extrait : « Elles ont fait l’Amérique. Faire, dans le sens de parcourir, faire dans le sens de tisser. Faire est un bien grand mot, l’Amérique est si vaste. Elles ont fait, dans le sens d’avoir été, d’avoir survécu, d’avoir surnagé. Elles sont si nombreuses à ne pas avoir fait les manchettes de l’histoire. Elles sont si nombreuses au peloton des sacrifices, au foyer de la résisatnce, sur le palier de l’invisible exploit. Les femmes sont absentes de l’histoire, ne le dit-on pas assez? Les Amérindiennes certainement, mais aussi toutes les autres, sans distiction culturelle : Canadiennes, Anglaises, Noires, Françaises, Métisses. Ici, dans ce livre, vous les verrez apparaître, ces femmes de tous horizons. Elles nous reviennent comme un écho puissant, comme de profondes impressions, elles nous reviennent en des portraits bouleversants, de touchantes esquisses. Pourquoi, mon Dieu, avons-nous oublié de si belles parties de nous-mêmes? »

Les choix de Josée-Anne

 
Cookie
Sophie Bouchard (Éditions La Peuplade)

Extrait : « J’ai pris une feuille blanche et j’ai calculé le nombre de mots doux que j’aurais dû entendre depuis sept ans. À chaque tranche de cent, j’ai fait un trait sur le mur de ma chambre comme une prisonnière dans sa cellule. Cent mots doux en moins égalent un amant nouveau. Comptant qu’en une semaine, on devrait murmurer une vingtaine de petites douceurs (minimum) à l’être aimé. J’ai fait le calcul. J’arrive au nombre de soixante-douze. »

La nuit des princes charmants
Michel Tremblay (Éditions Leméac)

Extrait : « J’avais dix-huit ans, j’étais vierge et j’en avais assez de sublimer en rêvant dans mon lit à des êtres inaccessibles ou en tripotant dans l’ombre des parcs publics des corps fugitifs qui n’étaient pas là pour l’amour mais pour la petite mort qui dure si peu longtemps et qui peut être si triste quand elle n’est agrémentée d’aucun sentiment. »

Voyage en Irlande avec un parapluie
Louis Gauthier (Éditions BQ)

Extrait : « J’exposai ma théorie du moment : la vie était une fiction, de toute manière. La réalité ne nous concernait pas. La réalité concernait la matière et l’esprit et nous étions entre les deux, nous étions à la fois les créateurs de la fiction humaine et ses produits. La littérature, si on ne trichait pas, ne pouvait que conduire au silence. »

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