Ce n’est pas un mais bien deux prix Nobel de littérature qui ont été décernés ce jeudi 10 octobre 2019. On se rappellera que l’an passé, il n’y a pas eu de remise à cause d’un scandale sexuel qui avait secoué l’Académie suédoise qui octroie la récompense. C’est donc cette année que le Nobel 2018 est attribué à la Polonaise Olga Tokarczuk, en même temps que le Nobel 2019 qui lui a été remis à l’Autrichien Peter Handke.

Olga Tokarczuk, 57 ans, est la 15e femme sur 116 lauréats à recevoir l’honneur depuis la première remise qui remonte à 1901. Elle reçoit le prix Nobel de littérature pour son « imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, symbolise le dépassement des frontières comme forme de vie », a déclaré Mats Malm, le secrétaire perpétuel de l’Académie suédoise. Elle a écrit une douzaine de livres, pour la plupart des romans, quoique très différents les uns des autres.

Son livre Les pérégrins (2010 pour la traduction française), constitué de plusieurs récits de nomades, lui a valu le prix Nike, une récompense en Pologne aussi prestigieuse que le Goncourt en France, et le Man Booker International Prize. « On ne peut voir que des fragments du monde, il n’y a pas autre chose. Il y a juste des instants, des bribes, des configurations fugaces qui, à peine surgis dans l’existence, se désagrègent en mille morceaux. Et la vie? Cela n’existe pas. »

Quant à son livre Sur les ossements des morts (2012), il s’agit d’un roman policier écologiste aux accents métaphysiques. « Les matins d’hiver sont faits d’acier, ils ont un goût métallique et des bords acérés. Les mercredis de janvier, à sept heures du matin, on voit bien que le monde n’a pas été crée pour l’homme, et certainement pas pour son confort et son plaisir. »

Dans le foisonnant roman historique Les livres de Jakób qui contient plus de 1000 pages, le lecteur suit les déambulations de Jakób Frank, un personnage qui a réellement vécu de 1726 à 1791. Cet homme fascinant a parcouru sept territoires, s’est converti à trois religions et parla cinq langues. « Il arrive à Dieu d’être las de sa luminosité et de son silence, l’infinitude lui soulève le cœur. Alors, telle l’huître gigantesque et suprasensible dont le corps si dénudé et délicat perçoit la plus infime vibration des particules de lumières, Dieu se rétracte en lui-même et laisse un peu d’espace, où, du plus parfait néant, le monde apparaît aussitôt. »

Olga Tokarczuk est politiquement et socialement engagée. Écologiste, de gauche et végétarienne, elle s’oppose publiquement au gouvernement conservateur nationaliste de Droit et Justice actuellement en place. Ses livres sont traduits dans vingt-cinq langues.

Peter Handke, 76 ans, reçoit le Prix Nobel de littérature pour une œuvre qui « forte d’ingénuité linguistique, a exploré la périphérie et la singularité de l’expérience humaine ». Il a écrit plus de 80 livres, constitués principalement de romans, d’essais, de pièces de théâtre et de poésie.

Dans sa pièce Outrage au public (1966 pour la traduction française), le texte ébranle le spectateur qui est face à une non-représentation alors que les acteurs affirment « ce soir on ne joue pas ». À ce moment, Handke s’inscrit dans la foulée des réflexions que les artistes de théâtre soumettent, à savoir la nature de la représentation, le rôle du théâtre, la place du public, la notion de temps. « Le temps nous échappe. Le temps ne peut pas être joué. Le temps est réel. Il ne peut pas être joué comme une réalité. Puisque le temps ne peut être joué, la réalité ne peut être jouée. Cependant, si on joue en dehors du temps, il n’est pas nécessaire de jouer le temps. Cependant, si on joue en dehors du temps, le temps est sans signification. »

Dans son récit Le malheur indifférent (1972), l’auteur se penche sur le décès de sa mère, morte par suicide à l’âge de 51 ans. « […] je cherche avec un sérieux constant et obstiné à me rapprocher par l’écriture de quelqu’un qu’aucune phrase ne me permet cependant de saisir en entier… »

Peter Handke a un jour affirmé concernant le prix Nobel qu’ « il faudrait enfin le supprimer », que somme toute « c’est une fausse canonisation » et que cela « n’apporte rien au lecteur ». Heureusement pour lui, l’Académie suédoise n’a pas tenu compte de son commentaire.

 

 

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