L'initiative Les libraires conseillent répond à la demande des lecteurs avides de suggestions. Chaque mois, un comité formé d’une quinzaine de libraires établit, après moult discussions passionnées et passionnantes, une sélection de cinq livres. Essais, BD, romans jeunesse ou pour adultes, d’ici comme d’ailleurs, ces cinq livres sont mis de l’avant dans les librairies membres de notre réseau. Cette initiative est une belle occasion de promouvoir des livres jugés particulièrement remarquables, ainsi que de valoriser le rôle primordial de votre libraire. Voici la sélection de novembre.


Perdre la tête
Heather O’Neill (Alto)

Les jeunes Marie et Sadie n’avaient en apparence rien pour les réunir. La première est issue d’une famille respectée qui a fait fortune dans le sucre et attire l’attention partout où elle passe; la seconde est une enfant taciturne, mal aimée et redoutablement intelligente. De leur rencontre improbable naîtra une amitié ravageuse, pleine de désirs, de contradictions, de pertes. Heather O’Neill sublime nos sens avec son roman Perdre la tête, valsant habilement entre innocence et perdition. Cette plongée baroque et sensuelle dans un Montréal où s’activent les luttes de classe est envoûtante!
Cassandre Sioui, Librairie Hannenorak (Wendake)

 


Corps vivante
Julie Delporte (Pow Pow)

Dans une alternance passé-présent, Julie Delporte nous offre un récit autobiographique empreint de douceur entremêlant toujours avec harmonie les couleurs pastel. L’autrice expose des éléments importants de son histoire personnelle, sans jugement, et en défaisant les normes sociales entourant l’hétéronormativité. La correspondance des temps permet de prendre conscience de certaines composantes troubles appartenant au passé et d’en faire le constat et la réflexion dans un discours immédiat, s’ouvrant ainsi sur de nouvelles perspectives. Corps vivante est un acte d’amour directement relié à la connaissance de soi, une évolution avec indulgence par rapport à un passé embrumé.
Susie Lévesque, Librairie Point de suspension (Chicoutimi)

 


L’été où tout a fondu
Tiffany McDaniel (Gallmeister)

Après l’inoubliable Betty (Prix des libraires du Québec, 2021), voici que l’extraordinaire Tiffany McDaniel nous revient avec son premier roman. Tout aussi puissant, L’été où tout a fondu s’intéresse à la nature du mal tapi au fond de chacun d’entre nous, prêt à surgir dès que le seuil critique de peur ou de désespoir se trouve franchi. La prémisse à elle seule convaincrait les lecteurs et lectrices les plus blasé.es. Un bon été, un procureur du fin fond de l’Ohio, obsédé par l’idée du mal, publie dans le journal local une annonce invitant le diable à venir le rencontrer. Or, ce n’est pas un grand démon cornu et écarlate qui se matérialise en un nuage de fumée, mais bien un petit garçon noir aux yeux particulièrement verts et qui parle avec l’éloquence des livres. Dès lors, tel un survenant d’un genre nouveau, ce petit nommé Sal va agir comme un révélateur des hantises, des haines et des obsessions de chacun.es. Pour que Dieu puisse demeurer immaculé, il a bien fallu que quelqu’un se salisse en devenant son antagoniste. Au fil des images et des sombres historiettes imbriquées dans le récit de la descente aux enfers de la famille de Fielding (le fils du procureur), une poésie des profondeurs émerge, comme une lame de fond trop longtemps contenue, pour tout balayer sur son passage. Un livre important construit en suivant la cartographie des failles et faillites de la société américaine, comme une stèle à la mémoire de tous les martyrs du racisme et de l’homophobie. McDaniel fait décidément partie des grandes!
Thomas Dupont-Buist, Librairie Gallimard (Montréal)

 


Toute une moitié du monde
Alice Zeniter (Flammarion)

Une lecture exquise que celle de cet ouvrage! Alice Zeniter, cette autrice à la plume si fine et sensible, nous confie sa vie en lectures. Les lectures qui l’ont façonnée, inspirée, transformée; les remises en question que celles-ci suscitent, et le chemin que prennent ces doutes dans son travail d’autrice. Ce faisant, elle met en lumière la puissance de la fiction qui permet ces réminiscences, celles qui nous habitent et nous accompagnent. Un livre fascinant, disais-je, qui s’adresse aux lecteurs que nous sommes et qui honore cette immense tapisserie de personnages, de récits et de vies rencontrés au fil de toutes ces pages lues.
Chantal Fontaine, Librairie Moderne (Saint-Jean-sur-Richelieu)

 


L’angoisse d’être à jeun
Sara Robinson (Triptyque)

Dans ce premier roman qui transpose les personnages du Notre-Dame-de-Paris de Hugo au cœur de la vie nocturne du Vieux-Hull et de Gatineau, le bagou de la narratrice, laquelle entre autres mérites peut se targuer de celui de réinventer joyeusement la pertinence des notes de bas de page, est aussi original que fascinant. De Phoebus le bassiste à Frollo le jeune éphèbe en passant par quelques Quasimodos, l’épopée outaouaise de l’incandescente Esmeralda est un tour de force littéraire où l’assurance ironique de la narratrice est sans cesse remise en perspective au long d’un récit où l’intertextualité, davantage qu’un procédé, prend l’allure d’une métaphore dont le filage fibreux s’apparente aux reflets trompeurs des souvenirs plaqués or qui peuplent les jeunesses plus ou moins dorées de celles et ceux ayant eu la chance d’en avoir une.
Philippe Fortin, Librairie Marie-Laura (Jonquière)