Les libraires conseillent répond à la demande des lecteurs avides de suggestions. Chaque mois, un comité formé d’une quinzaine de libraires établit, après moult discussions passionnées et passionnantes, une sélection de cinq livres. 

Essais, BD, romans jeunesse ou pour adultes, d’ici comme d’ailleurs, ces cinq livres sont mis de l’avant dans les librairies membres de notre réseau. Cette initiative est une belle occasion de promouvoir des livres jugés particulièrement remarquables, ainsi que de valoriser le rôle primordial de votre libraire. 

Voici la sélection de mars :

Payer la terre
Joe Sacco (Futuropolis)

Au moment où j’écris ces lignes, le CP et le CN ont obtenu des injonctions contre les barricades ferroviaires élevées à Kahnawake et à Kanesatake. Celle de Tyendinaga, en Ontario, vient d’être démantelée. Je termine à peine ma lecture de Payer la terre de Sacco et cette phrase de Stephen Kakfwi, ancien premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, me revient en tête. « […] il ne faut jamais oublier que la colonisation de notre peuple se poursuit. » La preuve est là, placardée partout dans l’actualité. C’est tout de même fou à quel point un livre à peine paru ici peut tomber à point et cristalliser un enjeu de société déterminant pour la suite du monde. Comme à son habitude, Sacco nous offre une œuvre d’une très grande qualité documentaire. Tout au long des 264 pages, la parole est laissée aux Dénés, peuple établi dans les Territoires du Nord-Ouest; il y est question de leur mode de vie traditionnel, de leurs coutumes, mais aussi de leur rapport au capitalisme, à la technologie et au développement du territoire. À cet égard, les lecteurs soucieux de toujours avoir les deux côtés de la médaille seront ravis de constater que Sacco interviewe aussi bien les gens qui sont contre le développement pétrolier et ceux qui jamais, ô grand jamais, ne cracheront sur ces jobs. Cette façon de faire a le mérite de nous présenter un portrait global de la situation. S’il y est beaucoup question des combats des anciens pour reprendre le contrôle de leur territoire et de leurs vies malgré le traumatisme des pensionnats, Sacco laisse également la parole aux femmes et aux plus jeunes générations désireuses de s’impliquer politiquement. Bien entendu, en tant qu’Américain blanc, la compréhension de Sacco sur les enjeux autochtones est plus que parcellaire; lui-même le constate assez rapidement et c’est chaque fois avec beaucoup d’humour qu’il nous montre à quel point il est largué par le Grand Nord canadien. À peine débarqué en sol québécois, Payer la terre s’impose déjà dans mon palmarès personnel comme une des BD de l’année. Un livre à mettre dans le plus de mains possible, accompagné si possible de Shuni, de Naomi Fontaine et de Je suis une maudite sauvagesse, d’An Antane Kapesh.
Gabriel Guérin, librairie Pantoute (Québec)

Perdre haleine
Anne Archet et Arielle Galarneau (Remue-ménage)

Avertissement : ce livre est un piège! Comme le précise le sous-titre, cet ouvrage n’est constitué que d’une longue phrase d’un bout à l’autre. On se dit, bon, encore un petit bout et je déposerai le livre un moment… Que nenni! Dix pages plus loin, on y est encore! Il faudrait bien que j’aille préparer le souper. Mais je poursuis plutôt ma lecture… J’ai presque lu la moitié. En plus, le sujet pourrait être choquant. Mais non! Je m’esclaffe, suis impressionné par toutes les images utilisées pour représenter l’onanisme. Eh oui, par la bande, on dénonce, constate, décrie ou souligne combien notre société peut être arriérée parfois… Bon… J’ai terminé… Merde, ça me manque… Je crois que je suis mûr pour ouvrir Amants. Bonne lecture!
Shannon Desbiens, librairie Les Bouquinistes (Chicoutimi)

Absence d’explosion
Thomas O. St-Pierre (Leméac)

Le cinquième et tout dernier livre de Thomas O. St-Pierre nous plonge au sein d’une faculté universitaire où des personnages stéréotypés ou presque plus grands que nature s’y côtoient. Sous forme de courts textes, tous ces êtres névrosés sont analysés sous la loupe de la philosophie et plus spécifiquement de la pensée d’Emil Cioran. Un livre fascinant qui réfléchit sur le système universitaire d’une façon divertissante et absurde, qui ne nous laisse pas indemnes.
Marika B. Drapeau, librairie Le Fureteur (Saint-Lambert)

Paz
Caryl Férey (Gallimard)

Tout à fait dans la lignée du très réussi Condor, ce nouveau roman noir de Férey est aussi consacré au sordide, aux inégalités sociales et au crime qui minent l’Amérique du Sud. Centrée cette fois-ci sur la Colombie, l’intrigue nous entraîne au cœur des séismes politiques qui ont mené à un conflit armé qui semble encore aujourd’hui bien trop vif pour que l’on puisse durablement y mettre fin. Divisée par des idéologies et des traumatismes, une famille va se retrouver au cœur d’un grand complot visant à torpiller les efforts du fragile camp de la paix. Guérilleros, narcos et sicarios pullulent sur cette terre que le sang irrigue depuis de trop nombreuses années, laissant des épaves d’hommes et de femmes flotter au gré des vagues carminées. Un livre sombre comme l’esprit d’un père à la recherche de sa fille, mélancolique comme la contemplation d’une beauté s’apprêtant à disparaître.
Thomas Dupont-Buist, librairie Gallimard (Montréal)

Pokko et le tambour
Matthew Forsythe (Comme des géants)

Pokko, c’est cette petite grenouille qui reçoit de ses parents un tambour. Bien vite, son père l’invite à aller en jouer dehors, sans faire trop de bruit pour ne pas déranger. Dans la forêt, elle se sent bien seule et se met donc à tambouriner avec joie. S’ensuit toute une cohorte d’animaux qui eux aussi, jouent d’un instrument ou participent à la folle fanfare simplement pour le plaisir. Dans cet album aux teintes chaudes et aux décors enchanteurs, aux pleines pages magnifiques et au texte évocateur, Matthew Forsythe brille par son talent pour offrir des histoires où tout devient possible.
Chantal Fontaine, librairie Moderne (Saint-Jean-sur-Richelieu)