Menu décapant pour écrivain déjanté

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Quand on interroge un auteur à propos de sa manière d’écrire, chacun y va de sa routine et de sa marotte. Pour les uns, l’écriture se fait à l’aube alors que le fumet du premier café appelle l’inspiration, d’autres doivent absolument créer dans un chaos qu’il nomme « ordonné » et dont ils sont les seuls à posséder la mémoire de l’emplacement des choses, et d’autres encore se retirent en campagne près de la vie sauvage là où la nature et la solitude permettent d’aborder franchement les sujets autrement contaminés par l’effervescence des nécessités quotidiennes.

L’écrivain américain Hunter S. Thompson, ne faisant pas exception à la règle, avait lui aussi une discipline personnelle très stricte. Elle nous est révélée par sa biographe E. Jean Carroll qui relate ainsi le train-train journalier de l’homme :

15h: Réveil.

15h05: Un verre de Chivas Regal (un bon whisky) avec les journaux du matin et des Dunhills (des cigarettes).

15h45: Un rail de cocaïne.

15h50: Un autre verre de Chivas, une Dunhill.

16h05: Première tasse de café, accompagnée d’une Dunhill.

16h15: Un autre rail de coke.

16h16: Jus d’orange, Dunhill.

16h30: Cocaïne.

16h54: Cocaïne.

17h05: Cocaïne.

17h11: Café, des Dunhills.

17h30: Plus de glace dans le Chivas.

17h45: Cocaïne, etc., etc.

18h00: Un peu d’herbe (marijuana) pour tasser les folies de la journée…

19h05: Direction le Woody Creek Tavern pour diner. Une Heineken, deux margaritas, salade coleslaw, un « taco-salade », double ration de rondelles d’oignons frits, un gâteau aux carottes, une glace, un beignet de haricots, des Dunhills, une autre Heineken, de la cocaïne, et pour le retour à la maison, un « snow cone » (trois ou quatre doses de Chivas dans un verre de glace pilée).

21h00: Se met à sniffer de la coke « sérieusement ».

22h00: Quelques gouttes d’acide.

23h00: Chartreuse, cocaïne, herbe.

23h30: Cocaïne, etc, etc.

Minuit: Hunter S. Thompson est prêt à écrire.

00h05 à 6h00: Chartreuse, cocaïne, herbe, Chivas, café, Heineken, cigarettes aux clous de girofle, pamplemousse, des Dunhills, un jus d’orange, du gin, des films pornos en toile de fond.

6h00: Jacuzzi-champagne, glace Dove, « fettuccine Alfredo » (pâtes au parmesan).

8h00: Béatitude.

8h20: Dodo.

Avec une telle énumération, on peut facilement pressentir que la recette spéciale d’Hunter l’invitait à filer en quatrième vitesse au pays de l’imagination hallucinée. Mais reste qu’il est difficile d’imaginer qu’un homme ait pu survivre à un régime si explosif. À lire ses écrits, on reconnaît cependant une parenté entre ce mode de vie et la vie trépidante de ses héros.

Même chose pour les articles qu’il a écrit pour différents journaux. Thompson est l’inventeur de la méthode Gonzo, un type de journalisme très subjectif qu’il créa le jour où il devait écrire un papier sur le Derby du Kentucky, au lieu de quoi il partit bambocher sans mesure avec Ralph Steadman, le dessinateur qui devait illustrer le reportage. Comme il n’a pas vu grand-chose de l’événement qu’il devait couvrir, Thompson s’inspira des frasques qu’il a vécues pour écrire un article très personnel de l’événement. Le terme Gonzo s’inspire du langage populaire irlandais du sud qui désigne le dernier buveur à tenir encore debout après toute une nuit à trinquer.

Pour justifier sa façon de faire, Thompson dira en entrevue à The Atlantic : « L’objectivité du journalisme est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles les politiciens américains ont été autorisés à être si corrompus depuis fort longtemps. Tu ne peux pas être objectif en parlant de Richard Nixon. »

Hunter S. Thompson fait même une immersion auprès du clan des Hell’s Angels afin de satisfaire une commande de livre sur le sujet. Mais les motards finissent par voir d’un mauvais œil la compagnie de Thompson, le jugeant opportuniste, et lui faisant comprendre leur point de vue d’une bonne raclée. Ce que Thomspson appellera plus tard une « querelle éthylique spontanée ».

La biographe d’Hunter aurait-elle inventé cet horaire dément afin d’en mettre plein la vue aux fans de l’auteur ? Pas si l’on considère un article écrit par Hunter J. Thompson lui-même et qui fait mention des ingrédients utiles à l’élaboration de ce qu’il titre Le petit-déjeuner des champions :

  • Quatre Bloody Marys
  • Deux pamplemousses
  • Une cafetière de café
  • Des crêpes Rangoon
  • Une demi-livre de saucisse ou de bacon ou encore de Corned-beef haché avec des dés de piments
  • Une omelette espagnole ou des oeufs Benedict
  • Un litre de lait
  • Un citron coupé pour assaisonner
  • Quelque chose qui ressemble à une part de tarte au citron
  • Deux margaritas
  • Six lignes de la meilleure cocaïne pour le dessert

À savourer au soleil, seul et nu.

À ce compte, on ne peut que regretter que Thompson n’ait pas eu le temps de son vivant de publier un livre de recettes!

Sources :

L’Express

Wikipedia

[email protected]

 

 

 

 

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