« Quand on aime lire, on est plus libre et plus puissant. »
Dominique Demers

Dominique Demers a commencé à écrire il y a 40 ans en publiant entre autres des contes dans le magazine Vidéo-Presse destiné aux 9 à 16 ans. La sortie de son premier livre, Valentine picotée, remonte à 1991 et depuis, sa bibliographie n’a cessé de se garnir, comptant maintenant des dizaines de titres. En 2009, elle publie Au bonheur de lire, un livre qui rappelle l’importance de la lecture chez les jeunes : « Si tous les parents consacraient dix minutes par jour, à peine plus d’une heure par semaine, à transmettre le goût de lire à leur enfant, on changerait le monde. Ou presque… » Toujours fervente de ce postulat, elle nous parle de son projet pour y parvenir.

Avec votre personnage du petit Gnouf, vous dites que vous souhaitez faire lire pour « emmieuter le monde ». Cette vocation sociale, pourquoi est-elle importante pour vous?
C’est plus important que je parle de la lecture que j’écrive. Des bons livres, il y en a plein. Il ne faut pas arrêter d’écrire, mais l’urgence c’est de faire des ponts entre les lecteurs et les livres. Le métier de libraire et d’enseignant est plus important tout de suite que mon métier d’écrivaine. On ne fait pas tout ce qui est en notre pouvoir pour que tout le monde aime lire. On pourrait aller beaucoup plus loin si on s’assoyait et se concentrait sur des trucs simples et efficaces. Je me disais, il faut que je fasse quelque chose de concret, pas juste donner des conférences, pas juste écrire. Pour moi, c’était d’abord de convaincre les parents qu’il faut raconter des histoires à ses enfants. On sait que les enfants devraient s’être fait raconter mille histoires avant d’entrer à l’école et 60% des parents ne racontent jamais d’histoires à leurs enfants. Ils les adorent, et ce n’est pas par paresse, mais ils ne s’en sont pas fait raconter eux-mêmes, alors c’est très gênant d’ouvrir un livre et de lire à haute voix quand personne ne l’a jamais fait pour vous. Ce que je veux, c’est qu’on commence au début, qu’on aille dans un maillon faible : il faut absolument convaincre les parents de raconter des histoires à leurs enfants. Vous savez, c’est dur d’être parent, et raconter une histoire c’est gratifiant.

Les petits Gnoufs ont été créés par je ne sais pas qui et ils sont là pour emmieuter le monde. Il y a d’autres personnages merveilleux qui font plein de choses, on sait par exemple que les nains travaillent dans les mines, eux c’est d’emmieuter le monde. Donc, je trouvais qu’ils étaient des bons porte-parole pour une campagne de ce type-là.

À l’occasion de la Journée des librairies indépendantes (JDLI) le 2 juin, et aussi le lendemain 3 juin, on pourra se procurer le livre exclusivement dans les librairies indépendantes au coût de 1$. Pourquoi avoir voulu offrir cette possibilité?
Ça fait des années que je demande, est-ce qu’on peut donner un livre gratis? Ça se pouvait pas, mais en même temps, on a trouvé une façon, – et pour ça je dois remercier Sylvie de chez Dominique et compagnie – tout le monde (auteure, illustratrice, éditeur, libraire) renonce à des sous et met de l’énergie. Et quand on m’a suggéré que ce soit en librairies indépendantes, je trouvais que c’était formidable parce qu’on remplit un autre objectif, que ceux qui n’ont encore jamais mis les pieds dans ces lieux-là les découvrent.

Pouvez-vous nous nommer quelques vertus de la littérature, spécialement pour les petits?
Dans mon livre Au bonheur de lire, j’en ai énuméré dix. Parmi mes préférées, pour faire plaisir aux parents et pour être efficace, les habiletés de lecture sont encore, depuis cinquante ans, le meilleur indicateur de performance scolaire. Et personnellement, celle que je préfère est que ça rend heureux. Pour moi, la lecture c’est mon amie la plus fidèle, c’est ma maison la plus stable avec les meilleures fondations, c’est mon assurance-bonheur. Je l’ai dit dans Chronique d’un cancer ordinaire, toute ma vie quand j’ai eu des épreuves, ce qui m’a aidé très souvent c’est de savoir qu’il y avait un petit paquet de bons livres qui m’attendait sur ma table de chevet. Et le troisième plus important pour moi c’est que lire est l’art à mon avis qui libère le plus l’imaginaire. Et on en a tellement besoin, pas juste pour créer des poètes, des peintres, des chansonniers mais aussi changer le monde, pour emmieuter le monde, pour trouver des solutions. C’est à grands coups d’imaginaire qu’on crée une société meilleure.

À quand remontent vos plus beaux souvenirs de lecture? Avec quels livres?
J’avais un livre vivant dans ma vie, c’était ma grand-mère. Elle racontait Le petit poucet, Peau d’âne, Barbe-Bleue, etc. et je pensais que c’était elle qui les avait inventés tellement elle était bonne. Parfois je dis en blaguant, j’ai fait un post-doc en littérature parce que je ne suis jamais revenue du fait que ce n’était pas ma grand-mère qui les avait créés. Le premier livre pour enfants que j’ai vu, c’était l’histoire en anglais du Petit bonhomme en pain d’épice, et encore là c’est ma grand-mère qui me le traduisait. Ma grand-mère a réussi à me transmettre ce goût-là avec des moyens réduits, aujourd’hui on a tout ce qu’il faut, il n’y a personne qui ne peut pas trouver un livre pour lui, pour elle. La vie est pleine de défis mais avec un livre, ça ne peut jamais aller trop mal, puisqu’on a toujours une bouée de sauvetage, un lieu de refuge minimalement. Souvent, on entend dire, si c’était si l’fun lire, on ne serait pas obligé d’en faire un tel plat. J’ai déjà donné des conférences où je me demandais si la lecture n’était pas le brocoli de la culture, l’affaire plate bonne pour la santé. Ceux qui n’aiment pas lire, c’est ce qu’ils pensent. Lire demande dès la première seconde où on commence à le faire un effort et un investissement, il faut d’abord apprendre le code, l’alphabet. Dans une société où tout est rapide, où les médias – c’est le sujet de mon post-doctorat – sont conçus pour nous happer, il faut se souvenir que c’est normal que lire ne soit pas toujours le premier élan. Mais quand on le fait et qu’on le pratique assez souvent, ça nous procure, moi j’en suis persuadée, un plaisir plus nourrissant que n’importe quoi d’autre parce que c’est nous qui déterminons la vitesse et qu’il nous reste de l’espace pour rêver.

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