Les 25 ans de L’Oie de Cravan

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Les éditions québécoises L’Oie de Cravan célèbrent leurs 25 ans d’existence. Cette maison des plus originales aime le beau risque. Elle publie des auteurs audacieux qui redéfinissent les formes et qui n’ont pas peur de sortir des sentiers battus. Poésie, bande dessinée, recueil de nouvelles, plusieurs genres sont à l’honneur de cette étonnante maison d’édition créée et dirigée par Benoît Chaput, lui-même poète, et qui a bien voulu répondre à nos questions. Champagne pour cet éditeur qui persiste et signe en langue excentrique.

 

 

Remontons dans le temps. Parlez-nous de la fondation de la maison d’édition L’Oie de Cravan et de sa ligne éditoriale.

L’Oie de Cravan a été fondée en février 1992 avec la publication de mon premier recueil Loin de nos bêtes. C’est un ensemble de circonstances, pas une décision claire et consciente, qui ont mené à ce moment. Avant L’Oie, j’avais étudié en communications, en cinéma et je travaillais comme monteur. Comme beaucoup de gens, j’avais l’impression que la poésie c’était pour les autres. Et puis un jour, je devais avoir 25 ou 26 ans, j’ai emprunté un livre à la bibliothèque de l’UQAM : La Citerne, les poèmes complets du surréaliste belge Louis Scutenaire. J’étais tombé là-dessus parce que son nom était associé au peintre René Magritte qui me fascinait. Ce recueil de plusieurs centaines de pages me semblait incompréhensible mais en même temps, il m’attirait. J’y voyais un profond mystère. Puis, un jour, une nuit plutôt, le déclic s’est fait. Je n’arrivais pas à dormir et, dans le demi-sommeil, j’ai ouvert le livre et lu un poème. Je me souviens comme si c’était hier de cette émotion, ce grand frisson : je comprenais tout! J’ai lu deux ou trois autres poèmes et la magie a opéré à nouveau. Le lendemain, c’était moins facile. Mais j’ai compris alors que la poésie était accessible dans un certain état de disponibilité, en se faisant un peu confiance. Je me suis mis à lire beaucoup de poésie, des surréalistes surtout. Quelques années plus tard, je me suis rendu à Bruxelles où j’ai fait la connaissance d’Irène Hamoir, la veuve de Scutenaire, elle-même poète qui avait pleinement participé au groupe surréaliste de Bruxelles. Une rencontre déterminante : c’est elle qui m’a encouragé à ne pas douter et à me publier moi-même. Au retour de ce voyage, j’ai décidé de rassembler mes textes et j’ai demandé à plusieurs amis artistes d’illustrer les poèmes. J’ai tâché de faire un beau livre, non coupé, à l’ancienne. J’ai financé l’impression en vendant une centaine d’exemplaires à l’avance, par souscription. Je n’ai envoyé que deux ou trois livres en service de presse, dont un à Jean-Pierre Issenhuth, alors critique de poésie au Devoir, redouté car il n’aimait presque rien. Le 14 mars 1992, j’ai acheté Le Devoir et c’était là : un article de Issenhuth qui s’intitulait Eurêka! et qui était extrêmement positif pour le poète et l’éditeur. Je n’en croyais pas mes yeux. L’ego gonflé comme un ballon, je me suis cru poète et je me suis cru éditeur. C’est si amusant que je n’ai pas cessé de jouer le jeu depuis.

Ce premier article a suscité plusieurs envois, puisque mon adresse était là, et j’ai publié en décembre de cette année-là le deuxième livre de L’Oie, des paroles du chanteur Frank Martel. C’était le début de cette aventure qui dure encore aujourd’hui.

Pour ce qui est de la ligne éditoriale, ma plus grande influence est sans aucun doute le surréalisme. Comme les surréalistes, j’apprécie une poésie qui frappe l’inconscient, qui fait souvent appel aux animaux et surtout qui se veut décloisonnée pour toucher la vie même. Je dis souvent que L’Oie de Cravan publie des livres pour la poésie, plutôt que juste des recueils de poésie. J’ai donc publié des livres d’images, des nouvelles poétiques, des aphorismes, un livre de recettes d’alcools du XIXe siècle et, évidemment, des recueils. Ce qui compte, c’est que l’objet-livre entier soit poétique. Mon souhait le plus cher, même s’il est difficile à réaliser, est de faire de l’édition d’une façon différente qui soit elle-même poétique.


Pourquoi le nom L’Oie de Cravan?

Il provient d’un bestiaire écrit par Louis Scutenaire, un texte qui contient un hommage subtil au poète et boxeur Arthur Cravan, mort sur un bateau dans le golfe du Mexique. Il s’agit de cette citation qui se retrouve à la fin de tous les livres de L’Oie : Les Oies de Cravan naissent des mâts pourris des navires perdus au golfe du Mexique.

Mais, surtout, je trouve que c’est un beau nom, qui vole sur les ailes du mystère.

Quels sont les plus grands défis d’une maison d’édition de niche comme la vôtre?

Comment concilier la passion de la poésie, des beaux livres, avec les exigences du commerce? Comment ne pas sombrer dans l’habitude, comment garder le feu sacré? En d’autres mots : comment rester un amateur professionnel? J’aime agir avec lenteur, prendre tout le temps qu’il faut pour aimer un texte, le laisser mûrir et devenir livre alors que tout autour est vitesse. Il y a un équilibre à retrouver sans cesse, une ligne fine sur laquelle marcher : ce n’est pas toujours facile.

Pouvez-vous nous parler des activités prévues entourant les 25 ans de L’Oie?

Il est important pour moi de souligner que si L’Oie de Cravan est une maison que j’anime seul, c’est loin d’être un travail solitaire. L’Oie n’aurait jamais existé sans la collaboration étroite de plusieurs personnes, de Maïcke Castegnier à Myriam Gendron, en passant par Isabelle Mandalian, Gigi Perron, Myriam Cliche, Simon Bossé… Il est impossible de les nommer tous. Je voudrais que cet anniversaire soit le plus inclusif possible. Que les lecteurs, les libraires, les auteurs soient tous de la fête. Nous allons commencer par trois soirées de musique et poésie, avec certains de nos auteurs québécois et américains, les 20-21-22 avril à Montréal (voir horaire ci-dessous). Les libraires seront invités. En même temps, nous proposerons une mise en place de nos livres en librairie, pour les rendre plus visibles. Plus tard dans l’année, il y aura des surprises et nous finirons le tout en beauté au Salon du livre de Montréal par la publication d’un catalogue historique de L’Oie.

Fête de L’Oie en avril

20 avril, Sala Rossa : Glenn Jones et Michael Hurley en concert.

21 avril, La Vitrola : Lancement du recueil de poèmes de Byron Coley. Lectures de Byron Coley accompagné de Glenn Jones, de Charles Plymell accompagné de Bill Nace, Concert de Bloodshot Bill. Hommage à Geneviève Castrée par les libraires Julie Delporte et Daphné B. Concert du groupe Avec le Soleil sortant de sa Bouche.

22 avril, La Vitrola : Lancement de l’anthologie En temps et lieux de Patrice Desbiens. Concerts de Myriam Gendron, Travelling Headcase, Urbain Desbois, Cou Coupé. Lecture de Patrice Desbiens.

Qu’est-ce qui vous a guidé et qui vous aiguille encore dans le choix des manuscrits que vous décidez de publier?

Tout simplement, des coups de cœur. Au moment de leur publication, j’ai aimé follement tous les livres publiés. Je cherche des textes, des images, qui me surprennent. Il n’y a pas de ligne claire, plutôt quelque chose d’intuitif qui, je crois, se reconnaît quand on regarde le catalogue de L’Oie.

Qu’est-ce qui vous rend le plus fier de ces 25 dernières années?

Fier de tous ces livres, de toute cette poésie qui est là, comme autant de bouteilles à la mer, attendant qu’on les ouvre.

Afin de finir l’entrevue en beauté, avez-vous un vers, une phrase d’une des œuvres publiées chez vous que vous aimez particulièrement et que vous voudriez nous partager?

Voilà une question difficile. Il y a tant de vers que j’aurais aimé citer : du Geneviève Desrosiers ou du Patrice Desbiens et tant d’autres. Mais je vais citer Pierre Peuchmaurd, ce poète français décédé en 2009, qui était mon ami et qui est encore au centre de l’esprit de cette maison d’édition. C’est un court aphorisme. Une question toute simple, un peu mystérieuse, qui nous ramène à l’enfance, à une nostalgie qui est aussi un défi pour l’avenir.

« Tu te souviens, quand tu étais plus grand que les arbres? »

(Fatigues, aphorismes complets, 2014)

Site de L’Oie

Thématique L’Oie de Cravan

 

Benoît Chaput, le fondateur de L’Oie de Cravan  
Crédit photo : Hélène Frédérick

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