L’Académie suédoise, chargée de l’attribution de l’un des plus prestigieux prix littéraires, est dans la tourmente depuis quelques mois. Dans la foulée des mouvements féministes de dénonciation des actes sexistes, d’agressions sexuelles et de viols, dix-huit femmes ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel, de viols et de tentatives de viols par le Français Jean-Claude Arnault, directeur artistique du centre culturel Forum – Scène de culture contemporaine à Stockholm, lié à l’Académie par des partenariats monétaires et culturels. Dans un premier temps, les liens financiers, notamment les subventions, qui liaient la prestigieuse institution à Forum ont été rompus. Mais outre cette relation entre institutions, Arnault est marié à Katarina Frostenson, dramaturge et poétesse suédoise également académicienne, ce qui engendre depuis quelques jours une danse confuse et maladroite autour de la table de l’Académie.

Depuis la publication des témoignages dévoilés en novembre dernier dans le quotidien Dagens Nyheter, le silence est de mise dans les couloirs du bâtiment de Börshuset. Une omerta qui dure depuis des décennies selon les journalistes. Le bruit d’un membre influent dans la vie culturelle suédoise, qui se targue même d’avoir un rôle dans le choix du Nobel de littérature, et qui agresse des femmes, court depuis bien plus longtemps que novembre 2017. Mais comme malheureusement trop souvent dans les institutions séculaires, il est plus aisé de se taire que de dénoncer. Jusqu’au 6 avril dernier.

Trois des membres élus à vie de l’Académie annoncent leur démission le 6 avril, dont un des doyens, Kjell Espmark, et Peter Englund, ancien secrétaire perpétuel. Une première dans la longue histoire de l’établissement. Tous trois dénoncent la gestion de cette crise, l’hypocrisie de certains et l’absence de remise en question. Kjell Espmark va même jusqu’à déplorer que les académiciens préfèrent leurs intérêts personnels à l’intégrité de l’Académie. L’éviction programmée de Katarina Frostenson, considérée trop proche de Jean-Claude Arnault, surviendra finalement après l’annonce de Sara Danius, le 12 avril. La secrétaire perpétuelle annonce avoir été écartée du poste, et décide également de se mettre en retrait de l’Académie, ce que décide de faire également Katarina Frostenson. Le poste de secrétaire perpétuel est confié à Anders Olsson en intérim, mais les Suédois manifestent leur mécontemement, criant à l’injustice pour Sara Danius, victime collatérale des actes présumés de Jean-Claude Arnault.

Les membres de l’Académie ne peuvent techniquement pas démissionner, étant élus à vie, ils se mettent simplement en retrait et laissent leurs sièges vacants, chose que fait déjà Lotta Lotass et Kerstin Ekman pour d’autres raisons. Avec la « démission » des cinq autres membres, seuls onze sièges sur dix-huit sont mobilisés. Or, pour convoquer un quorum et donc élire un Nobel, il est nécessaire que douze des dix-huit fauteuils soient occupés. L’Académie, par l’intermédiaire de son secrétaire perpétuel intérimaire Anders Olsson, a annoncé communiquer prochainement sur le sort du prix Nobel de littérature. Seul le Roi de Suède, actuellement Charles XVI Gustave, peut modifier les statuts de l’Académie, chose qu’il serait prêt à faire. En attendant, si certains académiciens assurent qu’il y aura bien un prix Nobel de littérature en 2018, la rumeur selon laquelle ce ne serait pas le cas et que deux prix seraient attribués en 2019 enfle. Au vu des difficultés qu’ont les derniers membres à se mettre d’accord sur un sujet ou un autre, le doute est permis.

 

Sources : Le Monde, RFI

 Infographie Nobel

Publicité