Double standard au pays des chroniqueurs littéraires

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On dirait bien que l’inégalité n’a pas de frontières. Même dans le domaine des arts, milieu qui devrait favoriser des perspectives ouvertes et donner à voir ce qui ne l’est pas d’office, une juste représentativité semble difficile à observer. Alors qu’au Québec le groupe Femmes pour l’équité au théâtre (FET) demande que les femmes aient plus de place sur scène (en 2016-2017, seulement 26 % des textes et 34 % des mises en scène présentés dans les théâtres montréalais sont créés par des femmes), une même tendance se remarque en ce qui concerne les critiques littéraires. Il y a peu, on a vu la même chose en matière de cinéma et d’arts visuels.

La disproportion se voit aussi ailleurs, par exemple en Australie. Bien que là-bas 67% des écrivains soient des écrivaines, elles attirent beaucoup moins d’attention que leurs homologues masculins. Pendant qu’on se penche sur l’œuvre littéraire d’une femme, trois livres écrits par des hommes sont étudiés.

Veronica Sullivan, directrice du prix Stella, une récompense qui s’attarde à honorer les écrivaines australiennes, explique les conséquences d’un tel déséquilibre : « Que ce soit par accident ou non, une cause ou un effet de révision des processus, la tendance pour les critiques masculins à examiner les auteurs masculins plutôt que les auteurs féminins perpétue les préjugés culturels qui suggèrent que l’écriture des hommes est universelle et l’écriture des femmes est réservée aux femmes. » Les univers et préoccupations que l’on retrouve dans les écrits de femmes ne seraient donc pas d’un grand intérêt pour les hommes? Simone de Beauvoir avait bien raison de parler de l’autre sexe, celui, superfétatoire si l’on exclut la nécessité de la reproduction, qui vient après le masculin, sous-entendu le sexe absolu.

Même constat dernièrement de la part de l’écrivaine, traductrice et professeure québécoise Lori Saint-Martin. Celle-ci mentionne que d’octobre à décembre 2016, dans le cahier Livres du journal Le Devoir, 68% des comptes rendus concernaient des livres écrits par des auteurs masculins et que la page couverture affichait sept fois sur huit un homme comme auteur. « Impossible d’imaginer que les livres des hommes sont réellement sept fois plus nombreux ou sept fois meilleurs que ceux des femmes », s’indigne Lori Saint-Martin. Demeure malgré tout l’état de fait. Si les chroniqueurs du Devoir (70% sont des hommes en 2015) ne choisissent peut-être pas délibérément de couvrir en plus grand nombre les ouvrages écrits par des hommes, nous sommes obligés de constater que les oeuvres des hommes prennent avantage dans l’inconscient. « […] on a bel et bien affaire à un parti pris collectif et individuel, conscient ou non, en faveur des productions des hommes, implicitement considérées comme plus importantes, plus universelles et plus dignes d’attention. »

Cette iniquité a ses répercussions. Comme dit précédemment, en parlant moins des femmes, on reconduit la primauté masculine et consolide l’idée que les œuvres des écrivains valent qu’on s’y attarde davantage que celles des écrivaines. Aussi, pour établir une carrière littéraire et exister dans la durée, il faut avoir été lu, recensé, analysé, critiqué, suggéré. Alors seulement on peut espérer à une reconnaissance.

Il ne s’agit pas de pointer des coupables, mais de prendre conscience de la situation afin d’ouvrir nos œillères et de changer nos paradigmes.  

Sources :
DayLife 
Le Devoir

 

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