Le 28 février dernier, Julien Béziat remportait le Prix jeunesse des libraires du Québec dans la catégorie « 0-5 ans, hors Québec » pour son album Le bain de Berk. Nous profitons du gala du Prix des libraires du Québec qui se déroule le 9 mai pour revenir sur ce prix en posant quelques questions à celui qui signe à la fois l’histoire et les illustrations de cet ouvrage d’exception.

Avant toute chose, nous vous partageons le commentaire de la libraire de chez Pantoute (Québec), Vicky Sanfaçon, qui fait partie du comité du Prix jeunesse des libraires du Québec et qui a, visiblement, grandement apprécié la lecture de cet ouvrage. 

« Les plus grandes aventures sont souvent celles que nous réserve le quotidien. Berk le doudou l’apprendra à ses dépens alors que la routine du bain se transforme en une expédition de secourisme en milieu hostile. Plouf! Par mégarde, le gentil doudou glisse dans l’immense baignoire qui se remplit tranquillement d’eau chaude savonneuse. Catastrophe! C’est le branle-bas de combat sur le rebord du bain alors que les autres jouets monopolisent leurs forces pour sauver leur ami du pétrin. Tandis que Trouillette la tortue n’en finit plus de crier au malheur, hyperventilant bien au sec sur la porcelaine de la baignoire, c’est à Drago le dragon qui n’aime pas la chaleur, Poulpe la pieuvre qui a la trouille de l’eau et Aspiro l’éléphant aspirateur de vaincre les monts de mousse infinis et le terrible tourbillon terrifiant pour secourir le pauvre Berk d’une noyade certaine. Mais ils devraient porter davantage attention, car, entre deux tasses, le doudou en détresse tente de leur transmettre une information des plus capitales : gléglégligliglangleuglin! Quoi? Pas le temps de déchiffrer ce charabia, il faut passer à l’action!

Après le truculent Mange-doudou, la première aventure de notre sympathique héros doudou-canard crasseux et coloré, le petit lecteur est une fois de plus convié à un feu roulant de péripéties loufoques alors qu’il revisite l’heure du bain dans cette histoire inusitée qui le conduit au centre de la baignoire. Dans Le bain de Berk, un album haut en couleur et riche en fous rires, l’auteur et illustrateur Julien Béziat s’amuse à créer un univers dynamique à hauteur d’enfants en mettant en scène les mésaventures de ce quatuor de poltrons drôlement attachants. Pop! Sluuurppp! Plop! De rebondissements en déconfitures, vous rirez des efforts bien souvent infructueux de cette adorable bande de personnages aux couleurs et aux personnalités vitaminées. Page après page, les gags fusent et le rythme effréné de l’aventure est soutenu par une maîtrise efficace des dialogues et une parfaite orchestration des éléments humoristiques du récit qui culminent dans un crescendo mémorable qui saura égayer le lecteur le plus capricieux.

Avis à tous les adultes avides de lecture théâtrale, voici un album tout indiqué pour laisser libre cours à votre Shakespeare intérieur. Plus qu’une simple recommandation, cet album se doit d’être lu à voix haute pour accentuer l’intrigue, le suspense et surtout, souligner les sonorités drolatiques des phrases inintelligibles de Berk. Soyez assuré que vos enfants vous remercieront de vous ridiculiser pour le bien de cette lecture jubilatoire. »

 

Julien Béziat répond à nos questions

La chute de votre album est vraiment inattendue et crée immédiatement une vague de rires. Est-ce important, selon vous, que chacun des albums dédiés à la jeunesse ait une chute à la fin de leur histoire?
Les albums jeunesse ne doivent pas nécessairement être construits sous la forme d’une narration avec une chute, cela dépend vraiment du type de récit et du choix de l’auteur. Dans Le bain de Berk, la dernière phrase permet en effet d’éclairer toutes les péripéties précédentes, et donne enfin un sens aux formules incompréhensibles de Berk. Tant mieux d’ailleurs si tout cela fonctionne! Et surprend à la première lecture. Mais l’album ne doit pas seulement être un récit à chute, car on pourrait alors vite s’en lasser, comme d’une bonne blague, mais à laquelle on rit une seule fois. J’espère donc que la première lecture donne au contraire envie de relire le livre, pour rire non plus seulement de la chute, mais au fur et à mesure du récit. Connaître la fin est alors un moyen de s’amuser plus encore, il me semble, des différentes situations et réactions des personnages.

Les doudous, dont Berk, reviennent dans vos histoires (en référence au Mange-doudous). Pourquoi aimez-vous travailler avec ces personnages?
Dans cette histoire, seul Berk est vraiment un doudou, les autres sont plutôt des jouets de bain, mais ils ont, c’est vrai, la même fonction. D’abord il faut dire que les doudous, peluches, figurines… accompagnent les enfants et sont souvent au centre de leurs histoires, celles qu’ils inventent chaque jour, dans leur chambre, dans leur bain ou n’importe où d’ailleurs! Dans le livre, je fais donc comme eux, j’utilise ces personnages pour raconter une histoire. Et puis, leurs formes ou leurs couleurs me permettent de les associer à des idées, des sensations, des fonctions… Par exemple dans Le bain de Berk, il me fallait un personnage qui incarne la peur : la tortue, avec sa tête qui rentre dans le corps, me semblait alors tout à fait adaptée. Je me souvenais d’ailleurs d’un personnage de tortue craintif dans Robin des bois (le film de Disney) qui cachait ainsi sa tête. De même pour aspirer l’eau, j’ai pensé assez rapidement un animal à trompe; pour trouver l’eau trop chaude, un dragon, etc.

Aviez-vous – ou avez-vous encore  vous-mêmes des doudous qui vous ont inspiré l’aspect de ceux que vous inventez dans vos histoires?
J’utilise parfois des figures qui existent : la tortue ressemble par exemple à un jouet de bain qu’on trouve souvent, ou certains personnages du Mange-doudous sont inspirés de ceux de la chambre de mes enfants. Mais la plupart du temps, je les invente ou adapte leur forme à leur fonction dans l’histoire. Ce ne sont donc pas vraiment des souvenirs d’enfance!

Dans cet album, vous adoptez le point de vue de l’enfant et le laissez savoir dès la première page et la première phrase. Cela vous permet-il, selon vous, de connecter plus rapidement avec votre lecteur que si vous adoptiez un autre point de vue?
Le récit commence en effet comme un clin d’œil au Mange-doudous, avec un enfant comme narrateur (fille ou garçon, on ne sait pas…) et une formule parallèle : « L’autre jour, un truc terrible est arrivé dans ma baignoire, c’est Berk, mon doudou, qui me l’a raconté ». La forme même de l’histoire est ainsi celle d’un échange : un enfant raconte au lecteur ce que son doudou lui a déjà raconté. Le récit passe donc d’une voix à l’autre. L’enfant n’est pas seulement celui à qui on lit ou raconte une histoire, il devient à son tour conteur. Le texte de l’album a d’ailleurs été pensé pour être lu à haute voix, donc pour quelqu’un. On peut alors souhaiter que les frissons et les rires partagés soient un moyen d’accéder dès le plus jeune âge aux joies la lecture.

Vous écrivez et vous dessinez à la fois vos albums. Qu’est-ce qui s’impose à vous en premier lors de votre processus créatif? L’image ou l’histoire? Le texte ou les couleurs?
Toujours des images, ou plutôt des histoires à travers des images. Je commence aussi très souvent à partir de lieux particuliers. Le bain de Berk se déroule ainsi dans un espace bien connu pour les très jeunes enfants : la baignoire. Le bain, avec ses sensations de bien-être, de chaleur rassurante, mais aussi ses aventures. C’est un espace privilégié de développement de l’imaginaire, bien des histoires apparaissent dans le bain, bien des images aussi : bord de mer ou plongeoir de piscine, mer de brume ou océan déchaîné.

Le choix d’une unité de lieu fait ainsi de l’album un petit théâtre où les espaces familiers se transforment en terrains d’aventures et de découvertes. Cela demande alors un travail de mise en scène, où les changements de point de vue (plan d’ensemble et gros plan, plongée et contre-plongée, champ et hors-champ) permettent d’évoluer différemment dans des espaces pourtant simples et bien connus. À partir de là, l’histoire se construit peu à peu, et le texte commence à arriver, s’ajustant aux images, et inversement.

À travers l’histoire, des questions apparaissent alors : par exemple le souci de l’autre (qu’est-ce que les personnages sont prêts à faire pour sauver Berk?) ou le problème de la communication avec les autres (Attenblionblebleblibliblanblebin…). Mais ces questions arrivent au fur et à mesure de la construction du récit, je ne me dis pas clairement dès le départ que je vais faire un livre qui va aborder tel ou tel problème.

Avec quels médiums travaillez-vous?
Cela dépend vraiment des livres. Dans mes albums, les techniques changent, car elles sont au service de l’atmosphère souhaitée, des sensations à provoquer. Le choix définitif des outils graphiques se fait ainsi assez tard, une fois que le découpage est clairement en place. Certains de mes livres ont ainsi été réalisés à l’encre, à la peinture acrylique et au crayon de couleur, avec des techniques numériques ou mixtes.

Le bain est un espace intéressant d’un point de vue graphique : transparences, reflets, buée, mousse,… et la technique qui m’a paru la plus adaptée a finalement été numérique : après différents essais, j’ai trouvé que l’ordinateur répondait bien à une mise en couleur qui devait jouer avec des zones lisses (carreaux, texture de la baignoire, caoutchouc des jouets, etc.) et des reflets (mousses, éclats lumineux, etc.). Par ailleurs, c’est un outil de mise en scène, tout peut bouger jusqu’à la fin, les points de vue, les cadrages, etc. C’était donc assez pratique pour un livre qui se passe entièrement dans une baignoire.

Vous avez remporté le Prix jeunesse des libraires du Québec. Une telle reconnaissance outre-Atlantique vous plaît-elle? Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
Évidemment, c’est un grand plaisir, et une vraie reconnaissance! Et puis lorsque je vois que c’est Isabelle Arsenault qui a obtenu le prix équivalent dans la catégorie Québec, je suis encore plus heureux d’avoir la chance d’être à ses côtés dans ce palmarès, car j’admire son travail depuis très longtemps…

Que signifie pour vous « être un écrivain jeunesse en 2018 »?
Cela dépend comment on interprète cette question, et j’ai sans doute l’impression d’être plus un auteur illustrateur qu’un écrivain. Disons que, d’un point de vue personnel, cela signifie un plaisir et une chance : je publie des albums depuis 2011, environ un tous les deux ans, en travaillant avec la même éditrice (Odile Josselin, chez Pastel/L’école des loisirs). Je peux me permettre de prendre le temps de faire des livres parce que j’ai un autre métier : je suis aussi enseignant chercheur en arts plastiques à l’université de Bordeaux Montaigne. Je n’ai donc pas besoin de vendre des albums pour vivre, et Odile Josselin est quelqu’un de très ouvert et agréable, je m’entends très bien avec elle et j’ai une vraie liberté de création. Par ailleurs, c’est une chance d’être à L’école des loisirs, les équipes sont à l’écoute et très professionnelles, il y a un vrai suivi des auteurs, et un travail de valorisation des livres.

D’un point de vue plus général, le métier d’auteur illustrateur jeunesse est pourtant tout sauf facile. D’abord parce que les droits d’auteur sont très faibles, plus faibles qu’en littérature générale par exemple (6% ou 7% du prix du livre dans le meilleur des cas, à partager entre auteur et illustrateur). En France, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse joue un rôle essentiel pour la reconnaissance du métier, et aide les auteurs : c’est par exemple grâce à la Charte que les rencontres, interventions et ateliers sont aujourd’hui rémunérés de manière à peu près égale pour tous. Il y a ainsi eu de vraies avancées grâce à des actions collectives, mais il reste encore beaucoup à faire pour que « être écrivain jeunesse en 2018 » ne soit pas synonyme de difficultés quotidiennes pour vivre de ce métier.

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