Hélène Belleau et Delphine Lobet : Mon cher amour, c’est à ton tour, de te laisser parler… d’argent!

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Vos parents ont un compte conjoint, mais vous, vous préférez ne diviser que les dépenses? Vos amis paient les factures au prorata de leur salaire respectif? Chose certaine, les Québécois sont inventifs quant à la façon de gérer leurs sous, mais également très discrets sur le sujet. Parce que l’économie domestique est un tabou, Hélène Belleau et Delphine Lobet ont décidé de faire œuvre utile et d’aller fouiller dans le portefeuille des Québécois pour voir ce qu’il en est. Leur enquête résulte en un état des lieux surprenant, vulgarisé et complet, compilé dans L’amour et l’argent : Guide de survie en 60 questions (Remue-ménage). 

Au bout du fil, deux femmes rieuses, enjouées, dégourdies et articulées prennent la parole. Hélène Belleau et Delphine Lobet, deux chercheuses en sociologie, changeront peut-être votre façon de parler pécules sous la couette; ensemble, elles souhaitent partager de précieuses – et nouvelles – données sur l’économie domestique qui pourraient avoir un impact sur la société.

Savez-vous jouer à « qui perd gagne »?
Concrètement, de quoi parle ce livre? Les chercheuses nous invitent d’entrée de jeu à nous poser cette question : dans le couple, qui possède, qui a accès, qui contrôle et qui s’occupe de l’argent? À partir de là, on a déjà une vision plus éclairée. Ensuite, elles exposent les façons, révélées par l’étude (voir plus bas), de gérer l’argent (50-50, au prorata, de façon individuelle, sous forme de revenu familial commun, etc.). Mais elles vont plus loin. Que fait-on du plafond salarial de l’un des conjoints? Et dans une famille recomposée, qui doit payer si l’État considère notre « revenu familial » commun? En quels termes – temps ou argent – calculer les tâches domestiques ou les rénovations effectuées? Quelles différences y a-t-il à payer des électroménagers et l’épicerie? Quels risques y a-t-il à rester à la maison le temps d’élever ses enfants? Pourquoi signer un contrat de vie commune? Comment comprendre les législations relatives au Code civil?

Qui perd, qui gagne, comment s’assurer de ne fragiliser aucun des conjoints : voilà les grandes questions auxquelles se frottent le duo Belleau-Lobet.

Comprendre les mécaniques de l’argent et de l’amour
Hélène Belleau, sociologue de la famille, a agi comme experte dans la cause « Éric et Lola », ce procès qui a fait les manchettes en 2012 et qui mettait en opposition un couple, parents de trois enfants, qui se séparait après une union libre de sept ans. La femme demandait alors une pension à l’homme, un multimillionnaire. À ce moment, le Québec recevait une gifle au visage : connaissions-nous si peu nos droits? Avions-nous si peur d’aborder la question de rupture qu’on reléguait au second plan les questions financières plutôt que d’en discuter entre conjoints? La sociologue, qui a ainsi vu de près la dichotomie entre la façon de gérer l’argent dans un cadre familial et un cadre d’affaires, a décidé de fouiller à fond la question. « Dans le cas “Éric et Lola”, le débat était entre les mains d’experts, d’avocats, de juristes. Et je suis loin d’être certaine qu’ils savent comment les gens fonctionnent dans la vraie vie. Si un tel débat revient, je souhaite que les gens puissent y participer très concrètement, pour que ça devienne un débat public et non plus un débat d’experts, nous explique madame Belleau. Comprendre la mécanique de la gestion de l’argent, de même que les mécaniques du rapport amoureux, va peut-être les amener éventuellement à poser plus de questions, à essayer de considérer un peu plus l’économie domestique. » 

Trouver les chiffres, propager les chiffres
Une autre visée de L’amour et l’argent est, nous explique madame Belleau, de démontrer concrètement aux politiciens les impacts de considérer un « revenu familial », alors qu’au Québec, la majorité des couples ne cumule pas la totalité de leur revenu. La conséquence peut être énorme, notamment lorsque les politiques modulent les coûts, par exemple, du service de garde en fonction de ce fameux revenu familial, ce qui est un non-sens pour les ménages recomposés. Mais afin d’illustrer le tout à nos élites politiques tout comme à la population, il fallait avoir des chiffres à l’appui. Cependant, ni au Québec ni au Canada n’existait d’étude qui explorait la gestion de l’argent au sein du couple, de la famille. Aucune donnée recensée, donc, du moins jusqu’à ce qu’Hélène Belleau décide de se pencher sur le sujet. Ainsi, 160 personnes ont été sondées, puis une grande enquête quantitative impliquant 3250 répondants vivant en couple a été effectuée. Et les conclusions de cette vaste recherche sont décortiquées en soixante questions bien précises et bien structurées dans L’amour et l’argent

« Le défi des chercheurs, c’est toujours de faire en sorte que leur recherche soit utile et, bien souvent, ils laissent le soin à d’autres d’en faire quelque chose. Hélène cherchait quelqu’un pour rendre le tout plus digeste pour le grand public, puisque sa volonté était vraiment de pouvoir livrer ces données en raison des changements sociaux qui pouvaient en découler », nous dit Delphine Lobet, avant d’être interrompue par son acolyte : « Pour dire les choses simplement, Delphine a tout réécrit! Je connaissais Delphine, son style d’écriture, et je me disais qu’elle pourrait mettre un peu d’humour et de folie là-dedans. » Et, oui, on se surprend à sourire, maintes fois, à la lecture de cet essai d’économie. Par ailleurs, et ce, toujours dans le but de rendre accessible cette recherche, un documentaire intitulé Amour et argent peuvent faire bon ménage, réalisé par Sophie Bissonnette, est disponible gratuitement à l’adresse amour-et-argent.ca et constitue un excellent complément à l’ouvrage.

Dans un souci d’équité pour les deux parties, les essayistes proposent donc de nous éclairer, nous poussent à nous questionner, en soixante points. Aucun conseil pratico-pratique ici, puisqu’aucune recette magique ne peut être appliquée. Si l’amour entre deux personnes est unique, les arrangements financiers le sont tout autant. Mais prendre une demi-journée pour lire ce livre et bien connaître ses droits, de même que les tenants et aboutissants de nos décisions, et utiliser le prétexte de la lecture pour discuter argent avec notre douce moitié, oui, ça peut changer votre vie.

Photo : © Andrée Allard

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