L’autrice et artiste pluridisciplinaire Audrée Wilhelmy, accompagnée de quatorze autres écrivaines, célèbre l’art divinatoire avec la parution, aux éditions Alto, du tout premier oracle littéraire québécois : Clairvoyantes. Entre lieux emblématiques, figures féminines puissantes et objets éloquents, les adeptes de littérature et d’ésotérisme seront plongés dans un monde mystique où ils deviendront maîtres de leur récit.

« Pour moi, la magie, c’est la capacité narrative de l’humain à se créer et à se raconter des histoires, et que ces histoires prennent un sens dans nos vies », nous explique Audrée Wilhelmy, à la tête de ce projet. Et c’est justement en proposant à celui qui entrera dans cet oracle de laisser les récits lui raconter son existence que ce jeu pourra lui permettre, qui sait, d’en découvrir un nouveau sens ou en confirmer la direction.

« L’idée, à travers cet outil qu’est l’oracle, est de permettre l’art divinatoire, le jeu, la rencontre et le dialogue, mais aussi la création de courtes histoires, formées de trois cartes qui se complètent et forment une sorte de microrécit », ajoute l’autrice quant au fonctionnement du jeu. Les joueurs pourront trouver quarante-cinq cartes divisées en trois catégories : figures féminines, lieux et objets. Le lecteur y découvrira des personnages mystiques comme la Louve ou la Sorcière. Il marchera sur les pas de son destin à travers des lieux un brin magiques comme la Forêt ou la Nuit. Il finira par apprendre à déceler les messages divinatoires derrière des objets ordinaires, mais intrigants, comme le Mouchoir ensanglanté ou la Flèche.

Les autrices participantes avaient pour mandat de mettre leur plume au service de trois cartes, une par catégorie. Elles devaient alors en rédiger le texte explicatif, soit l’interprétation, dans une forme qui se rapproche de ce que l’on retrouve dans les oracles traditionnels, mais également le texte de fiction, qui offre une autre avenue réflexive, tout en donnant à Clairvoyantes ses lettres de noblesse en matière littéraire. Car le choix de ces écrivaines a de quoi faire baver d’envie tout amateur de littérature et rappeler que ce projet met à l’honneur, d’abord et avant tout, de talentueuses autrices d’ici : Mélikah Abdelmoumen, Stéfanie Clermont, Hélène Dorion, Louise Dupré, Dominique Fortier, Marie-Andrée Gill, Karoline Georges, Véronique Grenier, Catherine Lalonde, Perrine Leblanc, Catherine Leroux, Chloé Savoie-Bernard, Élise Turcotte, Christiane Vadnais et Audrée Wilhelmy elle-même. Un jeu, donc, comme nouvelle façon de découvrir des autrices d’ici à chérir.

Des voix à l’unisson
Né d’une conversation qui a eu lieu il y a plusieurs années avec Antoine Tanguay, éditeur d’Alto, l’oracle Clairvoyantes a été un moyen pour Audrée Wilhelmy de mettre de l’avant la parole et la création de femmes. « C’était l’idée de brosser un portrait de ces voix de femmes romanesques qui m’intéressait », affirme l’autrice qui a souvent mis ses héroïnes au centre de ses créations, comme l’atteste le personnage de Daã, fille de la forêt vivant selon ses propres codes, dans Blanc Résine, son plus récent ouvrage, ou encore les sept femmes à qui elle donne chair dans Les sangs, sa relecture du conte de Barbe bleue, où elle braque les projecteurs non pas sur l’homme cruel, mais sur ces figures féminines qui s’écartent du rôle de la simple victime.

« Ce projet me rend fière, car il regroupe plusieurs femmes que j’admire. Je suis contente de mettre de l’avant leur parole, je suis contente de la solidarité qui s’est créée pendant ce projet », admet Audrée Wilhelmy. En plus de se réjouir devant l’osmose des talents, les amateurs de littérature pourront s’amuser à tenter de deviner quelle autrice se cache derrière chaque carte (les réponses se trouveront à la toute dernière page du livre d’interprétation). Une dimension de jeu supplémentaire qui vient d’une envie de liberté de création artistique très importante pour l’instigatrice de Clairvoyantes. Au début de l’aventure, Audrée Wilhelmy a partagé l’idée globale de son projet avec ses consœurs, mais leur a donné carte blanche pour créer selon leur propre imaginaire : « Ce qui est satisfaisant, c’est que malgré les contraintes, chacune des voix réussit à briller individuellement », avoue Audrée Wilhelmy avec un sourire admiratif aux lèvres.

Si le féru de littérature notera qu’il n’y a que des autrices confirmées dans ce projet, et peu d’écrivaines de la relève, c’est qu’Audrée Wilhelmy souhaitait, d’abord et avant tout, créer un projet rassemblant des femmes solides dans leur écriture, dont le style était affirmé et établi. Une initiative prise afin de mettre de l’avant l’agilité de chaque écrivaine avec l’écriture de fiction et de l’imaginaire. Afin que les joueurs puissent sentir cette cohérence entre les cartes, le défi résidait aussi dans le choix des autrices. Pour que l’expérience fonctionne, il fallait que les styles d’écriture soient compatibles. « Ce sont aussi des écrivaines qui jouent souvent avec le réel […]. Par exemple, on va avoir Karoline Georges qui d’habitude travaille l’hypertechnologie, on a Mélikah Abdelmoumen qui est davantage dans l’écriture du quotidien, et moi qui suis dans une espèce d’intemporalité », explique Audrée Wilhelmy. Une pluralité de voix, mais une même quête de l’imaginaire qui renforce la logique entre chaque carte.

Le lecteur notera que les autrices proviennent cependant de toutes les générations, et de plusieurs cultures. C’est justement cette hybridation qui intéressait l’autrice à la tête de Clairvoyantes; cette fusion stylistique, cultuelle et générationnelle — qu’on trouve également dans les photographies — pourra ainsi braver les frontières de chaque lecteur. Ainsi, au sens propre comme au figuré, tous pourront (re)trouver leur chemin à travers les cartes et le sens caché qu’elles contiennent.

À vous de jouer
Il est temps de vous livrer à une introspection. Vous ressentez le besoin de mieux vous connaître. Imaginez-vous être à la quête de réponses et tirez vos cartes. Vous piochez la carte de La Chasseresse qui est symbole de la force, de la rage, mais aussi de la solitude. Votre regard s’attardera sur les pieds terreux de la guerrière, sur ses flèches aiguisées et sur son corset porté sous une cape au col à fourrure. « Sa colère doit rester vivante, mais sa flèche doit pouvoir dévier de son parcours et fendre l’obscurité. Parce que sa force n’est pas de tuer, mais de viser juste et de ramener d’autres êtres à la vie », peut-on lire sur la page interprétative de La Chasseresse. Le chemin se poursuit et vous tirez la carte de L’Atelier. « Mais avec un peu de chance, on découvrira dans l’atelier que, justement, c’est là le lieu de l’expérimentation et de cet apprentissage utile entre tous : celui de l’erreur », vous prédit cette carte. L’Atelier étant le symbole de l’expérimentation, il viendra s’entremêler au destin de la Chasseresse et à cette idée que rien n’est immuable et que le changement est ce dont vous avez besoin. Vous clôturerez cette expérience en piochant la carte Balai, élément qui peut sembler étrange et futile, mais qui est signe d’indépendance et de vérité. « Il indique que des outils sont disponibles, que tout se joue entre nos mains, qu’il faut savoir se saisir des occasions : remuer son air, sa vie, dégager de l’espace », pourrez-vous lire à son sujet. Il sera donc temps de vous laisser aller, de faire confiance à votre instinct et de croire que tout changement est un renouveau. Vous serez le phénix qui renaît de ses cendres, car telle la Chasseresse, « [votre] agilité et [votre] habileté à [vous] transformer se sont avérées des forces ».

Le littéraire et le visuel s’entremêlent
Clairvoyantes, ce sont aussi des images riches et esthétiques dignes d’un objet de collection. Grâce aux photographies composées et exécutées par la photographe portraitiste Justine Latour, cet oracle devient une œuvre d’art.

Chaque carte joue avec les perceptions visuelles des joueurs. À la fois trompe-l’œil et issues de l’imaginaire, les compositions créées par la photographe transcendent le réel. Elle y a insufflé ici quelques symboles issus des peintures de Caravage, là quelques touches de mythologie ou des notes d’art contemporain. L’artiste a laissé les symboles s’imposer, par le choix hétéroclite d’objets dissimulés, ou encore par les textures diverses (satin, velours, etc.). Elle a ensuite amalgamé les éléments — flore, métal, plastique, pierres — pour peaufiner son envoûtement. Grâce à des couleurs feutrées, elle offre des ambiances étranges sans jamais être lugubres et donne un écrin de choix pour porter les textes des autrices.

Par exemple, sur la carte Rivière, on peut voir un enchevêtrement de feuilles et de roches disposées sur un grand morceau de plastique souple qui mime l’effet de l’eau. Ce décor se jette vers le tableau d’une vraie rivière donnant l’impression que les deux œuvres ne font plus qu’une.

Afin de pousser l’immersion à un autre niveau, une version numérique a aussi été mise sur pied par l’agence Deux Huit Huit. Pour rendre l’expérience mystique et vivante, le joueur pourra se laisser emporter par la voix de la comédienne Pascale Montpetit fera la lecture du tirage effectué. Le tout sera accompagné par la musique d’ambiance envoûtante composée et interprétée par l’artiste Mykalle Bielinski. Le joueur n’aura plus qu’à se laisser bercer par les sons et la voix afin de s’abandonner vers un moment d’introspection.

Entre objet ésotérique, création littéraire et élément artistique, l’oracle Clairvoyantes est un amalgame innovant qui viendra taquiner la curiosité du public et lui faire explorer son passé, son présent et son futur, tout en lui rappelant, à chaque instant, le pouvoir de la littérature.

 

Photo d’Audrée Wilhelmy : © Audrée Wilhelmy
Photographe du projet Clairvoyantes : © Justine Latour

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