Perle des écrits féministes débusquée dans la programmation des éditions Remue-ménage, Filles corsaires appartient aux plumes qui engagent dans la douceur, qui ne retiennent du réel que ce qui peut être amélioré, qui éveillent les consciences sans laisser au travers de la gorge le goût aigre de l’animosité. Sa créatrice, Camille Toffoli, répond avec esprit à nos questions au sujet de son recueil.

Vous êtes cofondatrice de la librairie féministe L’Euguélionne, en plus d’être une écrivaine qui n’hésite pas à donner à ses textes une portée politique. Quelle importance a pour vous l’engagement de la parole?
En travaillant comme libraire, j’ai réalisé combien l’accès à la publication représente un privilège : publier un livre exige beaucoup de moyens, et ce processus n’est pas accessible à tout le monde. J’essaie de garder ce constat en tête lorsque j’écris. Je ne prétends pas que mes textes représentent les points de vue de la majorité des personnes issues de communautés marginalisées, loin de là, mais j’essaie de cultiver une sensibilité aux réalités des autres lorsque je réfléchis.

Quelles raisons se cachent derrière le choix du titre Filles corsaires?
Filles corsaires est le titre de la chronique que j’ai tenue pendant trois ans dans la revue Liberté, dont les textes ont été le point de départ de ce projet d’essai. C’est une référence au recueil d’essais Écrits corsaires de Pasolini, un artiste et un intellectuel que j’ai beaucoup lu pendant mes études en littérature, même si je ne suis pas en accord avec toutes ses prises de position, et dont j’admire les réflexions incarnées et originales autour de la question des rapports de classe.

Vous évoquez, dans l’avant-propos, la culpabilité qui vous envahit à l’idée de consacrer du temps à l’écriture et, d’un même élan, de faillir à une autre tâche. Avez-vous une astuce pour vaincre ce réflexe d’autoflagellation (je demande pour une amie)?
Je trouve toujours ça difficile de prioriser l’écriture au profit de mes engagements militants, amicaux, familiaux, etc. Je n’ai pas de recette miracle pour vaincre la culpabilité que tu évoques, mais j’ai réalisé que ces autres sphères de ma vie m’inspirent des réflexions riches sur le plan féministe, elles sont partie intégrante de mon travail, même. Le mythe de l’écrivain ou de l’écrivaine qui réfléchit en huis clos et qui trouve dans la solitude un état parfait pour penser a certainement ses limites.

Les textes consignés dans Filles corsaires font souvent incursion dans l’intimité, la vôtre et celle d’autres. Pourquoi accorder autant de place à ces histoires puisées dans les bas-fonds du quotidien?
Je considère qu’une réflexion féministe devrait toujours puiser dans le vécu, dans le personnel (autant, sinon davantage que dans la théorie). Les oppressions de genre, l’hétéronormativité, et tous les autres types de rapports de force qui sous-tendent une dimension identitaire ont des effets concrets sur le quotidien des gens, informent leurs manières d’être. Il va de soi, à mon sens, que ce quotidien doit être envisagé lorsque vient le temps de développer des points de vue critiques.

Photo : © Chloé Charbonnier

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