À plusieurs égards, la nouvelle année ne s’annonce, hélas! guère mieux que la précédente, mais heureusement, il n’en est rien pour les artisans du neuvième art québécois, qui, forts de l’extraordinaire élan amorcé en 2020, nous offrent une kyrielle de copieux albums. En voici un bref mais non moins éloquent échantillonnage axé sous le signe de la rencontre, question de contrer cette pandémie qui n’en finit plus de nous isoler.

Rencontre amicale
Phénoménal ouvrage de référence, Emmanuel Guibert, en bonne compagnie ne ressemble à rien, sauf peut-être au mythique Hitchcock/Truffaut, car il en a l’aura et la stature. Ce livre, né de l’amitié entre l’artiste français Emmanuel Guibert et le Québécois Jacques Samson, en est le vibrant témoignage. À la fois sémiologue, enseignant (bande dessinée, cinéma, littérature), critique (Les Cahiers de la bande dessinée, Spirale, Neuvième art), cinéaste (Portrait de Benoît Peeters en créateur nomade, Quatorze brèves interviews d’Art Spiegelman, Un chemin avec Edmond Baudoin) et auteur (Lectures en bande dessinée, Chris Ware : La bande dessinée réinventée), Samson, mû tout comme son illustre ami par un souci d’exigence à la base de tous ses projets, ne se contente pas de piloter de simples entretiens portant sur la bande dessinée. La compagnie de Guibert impose mieux. Constitué de cinq segments (repères chronologiques et biographiques, présentation de dix amitiés de l’artiste, les conversations, une analyse de Samson sur L’enfance d’Alan, un texte de Guibert sur la confection de pochettes d’albums de musique), le livre fait la part belle au corpus du scénariste, peintre, musicien et auteur. Tous deux embrassent une démarche tournée vers l’autre — Samson comme courroie de transmission, Guibert en racontant Didier Lefèvre dans Le photographe et Alan dans sa série éponyme publiée à l’Association. La portion conversationnelle donne lieu à de riches et passionnants échanges auxquels le lecteur est convié à titre de témoin privilégié, comme s’il se trouvait attablé avec les deux hommes. Mis en forme par le graphiste de renom Philippe Ghielmetti, Emmanuel Guibert, en bonne compagnie est d’une incandescente beauté. Tant dans l’iconographie que par l’humanisme qui s’en dégage, d’ailleurs. Un livre rare, unique, qui relève de l’orfèvrerie.

Rencontre de soi
L’auteur de la série Radisson (Glénat Québec, en quatre tomes) et de l’album Comment je ne suis pas devenu moine (Futuropolis) nous offre Vers la tempête, le récit coup-de-poing de ses débuts d’auteur, mais surtout, de son entrée tempétueuse dans l’âge adulte. En 2007, le bachelier en bande dessinée de l’Université du Québec en Outaouais natif de Rimouski rentre chez lui afin de se consacrer à son premier projet professionnel de création, ainsi qu’à la pratique du karaté. Son environnement familial toxique sous le joug d’un aïeul et d’un père tous deux contrôlants, sa condition de bègue, ses difficultés relationnelles avec les filles et une rage intérieure assourdissante composent ce musculeux et poignant nouvel opus. Porté par un trait brut et vif, dont l’impulsion vient directement du cœur, et soutenu par un découpage solidement encré, cet album est le plus personnel et accompli en carrière de l’artiste. Ce récit initiatique touche à l’universalité, et nous invite, par le truchement de mécanismes cathartiques, à revenir sur notre propre mythologie. Ici, plus que jamais, l’art enseigne et guérit.

Rencontres amoureuses
Ces dernières années, la bande dessinée québécoise a engendré une pléthore de jeunes autrices de grand talent, dont Cathon (Sgoubidou), Julie Rocheleau (Traverser l’autoroute), Julie Delporte (Journal), Brigitte Archambault (Le projet Shiatsung), Marie-Noëlle Hébert (La grosse laide), Mélanie Leclerc (Temps libre), Mireille St-Pierre (La brume), Mélodie Vachon Boucher (Le meilleur a été découvert loin d’ici), Velm (La première), Caroline Breault (Hiver nucléaire), Camille Benyamina (Les petites distances), Sophie Bérard (Les petits garçons), Boum (Boumeries). S’ajoute à cette liste Valérie Boivin, qui présente en guise de première bande dessinée Rien de sérieux, le touchant récit d’une bibliothécaire trentenaire et célibataire depuis plusieurs années. Pour contrer la solitude et tenter de se caser, elle s’évertue à trouver la perle rare sur l’application Tinder. Ses pérégrinations numériques offrent un récit doux-amer admirablement illustré, qui traite avec éloquence de la difficulté d’entrer en relation en cette ère où « swiper » à droite n’est en aucun cas garant de trouver l’âme sœur.

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