Nous pourrions le surnommer le chanteur virtuose, le ténor sympathique ou alors l’artiste lyrique qu’il fait bon écouter encore et encore. Mais l’homme heureux serait sûrement plus à propos puisque Marc Hervieux, en même temps qu’il sortait dernièrement Nostalgia, son dixième album, a publié un premier livre sous le titre Bon vivant! (Flammarion Québec), avec le point d’exclamation qui donne le ton à l’ensemble de l’œuvre : un bouquin surprenant qui magnifie tous les plaisirs, des plus grands aux plus petits et qui vient de récolter deux prix aux prestigieux Gourmand World Cookbook Awards.

La figure du professeur de français sachant transmettre le goût de la lecture n’est pas un mythe. C’est exactement ce qui est arrivé à Marc Hervieux qui a eu la bonne fortune d’avoir Monsieur Clermont comme enseignant en secondaire 1 et qui lui a fait lire Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges de Michel Tremblay. La mine d’abord déconfite par l’épaisseur du livre proposé, le jeune élève Hervieux a bientôt fait de se réjouir. « Je viens d’un milieu de l’est de Montréal, il n’y avait pas tant de lectures que ça, dit-il. Quand je commence à lire Tremblay, je trouve ça fascinant, le langage est comme celui que j’entends parler tous les jours. C’est vraiment ça qui m’a lancé dans la lecture. » Une fois sur les rails, le lecteur ne cessera d’aller de découvertes en surprises, tantôt charmé par certaines d’entre elles, tantôt profondément bouleversé comme ce fut le cas à l’adolescence avec Au nom de tous les miens de Martin Gray, cet homme qui a vécu plusieurs épreuves, dont la disparition de ses proches par les affres du nazisme.

Il est aussi secoué par Germinal d’Émile Zola qui raconte les vicissitudes du monde ouvrier, semblable à son propre environnement. « Je lis ça et je vois l’injustice, les revendications, et je vois mon père là-dedans tempêter contre la compagnie pour laquelle il travaille », explique notre invité. Il pense aussi à la biographie de Roméo Dallaire, J’ai serré la main du diable, l’histoire du général ayant été témoin des atrocités de la guerre au Rwanda, lue pourtant il y a une dizaine d’années, mais qui laisse encore son empreinte. « Ce que j’aime des lectures, c’est qu’elles nous amènent à réfléchir et qu’elles font toutes seules leur bout de chemin dans la tête », ajoute Marc Hervieux. Elles s’intègrent à nos expériences, prennent leur place dans notre itinéraire, participent à notre émancipation.

D’autres auteurs viennent joncher le parcours de notre libraire d’un jour. Romain Gary avec le livre d’apprentissage La vie devant soi nous fait suivre l’évolution de Momo, un garçon de 10 ans né d’une prostituée et qui possède un bagout et une conscience de la réalité qui lui est propre. Il usera de tout l’amour qu’il réserve à Madame Rosa, sa mère d’adoption, pour la soutenir dans ses derniers instants. L’écrivain italien Alessandro Baricco figure également au palmarès de Marc Hervieux, entre autres avec Mr Gwyn, un roman qui se questionne sur la nature de l’artiste et plus largement sur l’essence de chaque humain : « Nous ne sommes pas des personnages, mais des histoires », y lit-on.

Dans un tout autre registre, notre lecteur a récemment fait la connaissance de l’univers de Patrick Senécal, ce qui au départ ne l’attirait pas particulièrement, mais ça, c’était avant de le lire. Un jour, il ouvre un peu par hasard Les sept jours du talion et est tout de suite entraîné par le talent glauque de l’auteur. Les biographies de toutes sortes sont depuis longtemps parmi les lectures de prédilection du chanteur. Lettres et mémoires de la cantatrice Maria Callas en est un exemple, où l’on y suit la trajectoire de la diva au rythme de sa correspondance et des opéras qui lui ont fait parcourir le monde.

Son livre à lui
On ne pouvait évidemment passer sous silence la parution du propre livre de Marc Hervieux, qui allait le chercher chez son éditeur le jour même de notre appel. « Je suis excité comme un enfant dans un Toys “R” Us. Jamais, au grand jamais dans ma vie je pensais écrire un livre un jour. Donc, c’est comme pousser ses limites au-delà de ce qu’on pensait pouvoir faire », avoue l’auteur. Associant histoires, recettes et musique, Bon vivant! est un volume agréablement hétéroclite qui rassemble des morceaux d’enfance et des souvenirs artistiques, photographies d’archives à l’appui, de l’homme qui semble vraiment s’en être donné à cœur joie avec l’écriture de ce livre. « J’ai tellement aimé ça que j’espère juste en faire un autre! », raconte-t-il, ajoutant qu’il a déjà du matériel en banque pour recommencer l’aventure. Du pouding au pain perdu, nous nous retrouvons tout à coup à lire sur la musique romantique de Puccini, tandis qu’un peu plus loin nous faisons l’apprentissage des musiques qui avoisinent les états de béatitude juste après avoir savouré une moussaka cuite à point.

Ce livre qu’il croyait ne jamais être en mesure de faire trône donc actuellement sur les présentoirs des librairies, un lieu dont Marc Hervieux adore franchir les portes. « Quand on entre dans une librairie ma femme et moi, on se dit : “OK, on s’envoie un texto dans une heure?” » Chacun part arpenter librement les allées à la découverte des prochaines pépites. Les dernières en lice pour notre chantre national relèvent de récits biographiques, mais cette fois-ci nous sommes bien loin de la Callas. « Ça, ça va faire “gars” pas à peu près, avertit-il. J’ai été élevé par un père vraiment fou de hockey et ces temps-ci, j’ai près de moi les biographies de Serge Savard, Henri Richard et Scotty Bowman. » Tout un trio qui lui plaît beaucoup, lui qui, précise-t-il, n’a jamais vraiment joué à ce sport ailleurs que dans sa tête.

Le cerveau de Marc Hervieux carbure avec évidence au plaisir de vivre. Musique, bonne bouffe, famille et amis, et, nous le savons maintenant, livres de tous genres. Peut-être pourrions-nous nous permettre de lui suggérer qu’il intègre ce dernier élément au second tome du parfait Bon vivant? Après tout, lire du Zola avec du saucisson brioché en bouche et du Rachmaninov dans les oreilles, ça doit être pas mal.

Photo : © Dominique Lafond

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