La collection jeunesse de Leméac, très appréciée par les lecteurs, souffle cette année dix bougies. Trois de ses livres ont déjà remporté le Prix du Gouverneur général et cinq le Prix des libraires du Québec. Pour souligner cet anniversaire, nous avons posé quelques questions à Maxime Mongeon, directeur de la collection, qui exerce son rôle avec sensibilité et humanité.

Après plus de 53 ans dans l’édition pour un public adulte, qu’est-ce qui a motivé la création d’une collection jeunesse?
À ce que je sache, Leméac n’avait pas l’intention ferme de lancer une collection jeunesse. Cette aventure a été le fruit d’une rencontre entre Jean Barbe et moi. À l’époque, Jean assumait la direction éditoriale chez Leméac. Étant également mon éditeur, nous avions l’habitude de nous rencontrer, chez Leméac ou ailleurs, et un jour, parce que j’avais enseigné le français au secondaire, parce que j’avais été conseiller pédagogique, parce que j’étais directeur d’école, Jean m’a lancé, presque comme un défi : Pourquoi ne partirait-on pas une collection jeunesse? L’idée m’a plu.

Par la suite, j’ai aimé l’idée que le patrimoine littéraire québécois — le catalogue de Leméac est exceptionnel à cet égard — s’enrichisse de voix s’adressant aux jeunes. De plus, les livres jeunesse se vendent très bien dans les écoles, les tirages sont importants, et je trouve que ce fort volume permet à la maison de soutenir des voix émergentes dont la pertinence n’a de cesse dans l’édification de ce fameux patrimoine. Ces premières publications n’atteignent pas toutes le seuil de la rentabilité en dépit de leur qualité. Ainsi, le succès de la collection jeunesse contribue à l’essor de certaines voix, en jeunesse ou en littérature dite générale.

J’aime aussi penser que la collection contribue à éveiller à la littérature. Une expérience qui va au-delà du récit et qui laisse les jeunes lecteurs comme saisis ou chavirés, placés face au récit comme devant un miroir, eux-mêmes actifs, réflexifs. Ils pourront ensuite poursuivre avec d’autres auteurs de la maison, les Julie Bosman, Yvon Rivard, Esther Laforce, Michel Tremblay, Wajdi Mouawad, Mélissa Grégoire, René-Daniel Dubois, Marc Séguin, Audrée Wilhelmy, Jacques Poulin, Gilles Jobidon, Mari-Sissi Labrèche, Nancy Huston, etc.

Qu’est-ce qui caractérise la collection par rapport au reste de la production jeunesse au Québec?
La collection s’est fixée grâce à l’empreinte que m’ont laissée mes anciens élèves. Plus particulièrement les plus faibles, qui avaient été regroupés dans des classes de doubleurs. Pour les accrocher à la lecture, je devais trouver des romans forts. Des romans que j’aimais et que j’étais capable de défendre, et c’est ainsi que j’ai fait lire Louise Dupré, Ying Chen, Maxime Olivier Moutier, mais aussi Charles Bukowski, Paul Auster, Agota Kristof. Je me souviens d’un élève peu motivé qui a découvert le plaisir de lire avec certains contes de Bukowski. J’avais avisé mes élèves : si jamais un parent se plaint, je remballe ma bibliothèque! Je n’ai jamais eu de problèmes.

Ces jeunes m’ont démontré qu’ils étaient tout à fait sensibles à l’écriture. Qu’ils n’avaient pas besoin de tout comprendre pour apprécier un roman — moi-même en lisant certains romans je ne comprends pas tout. Qu’ils étaient capables de lire n’importe quoi, et pas seulement des livres expressément écrits pour eux. Que le format comptait peu, qu’il s’agisse d’une plaquette ou d’une brique. C’est donc en pensant à mes anciens élèves que l’âme de la collection est apparue, bien plus qu’en observant l’ensemble de la production jeunesse au Québec.

Ainsi, il m’est difficile de caractériser une collection encore si jeune, car non seulement c’est a posteriori que je peux tenter d’y répondre, mais j’avoue que je souhaite que la collection soit vivante et capable d’évoluer. Par exemple, quand j’ai reçu le premier manuscrit de Jonathan Bécotte — à l’origine un recueil de poésie — je n’ai pas su quoi faire. J’avais bien sûr été touché par cette écriture sensible et si juste, mais ma première réaction avait été de dire que ça ne cadrait pas avec la collection. Après réflexion, je me suis ravisé. Pourquoi refuser ce texte si je l’aimais? La directrice générale de l’époque, Lise Bergevin, m’avait toujours encouragé à rester fidèle à ma propre sensibilité, à me fier à mon instinct, et elle a endossé tous mes choix. Ainsi, la collection a pris une certaine couleur avec l’arrivée de Bécotte et cela teinte maintenant les manuscrits que nous recevons.

Tout de même, si j’avais à n’en dire qu’une phrase, je dirais un jardin sans architecture, où chaque titre répond à sa propre logique, à sa nature imprévisible.

Découvrir des voix est exaltant. Comme j’aime le dire, je ne choisis pas une histoire quand je lis un manuscrit, mais un auteur. Une personne dont l’écriture me touche. J’ai besoin de sentir que je me trouve devant une oeuvre qui s’étendra dans le temps. 

Après une décennie de publication, quelle est votre plus grande satisfaction?
Je ne peux m’empêcher d’exprimer d’abord une satisfaction personnelle. J’ai appris mon métier. Ma seule expérience se résumait aux éditeurs que j’avais eus chez Leméac (quatre éditeurs pour trois romans!). Grâce notamment à Jean-François Sénéchal, Patrick Isabelle, Simon Boulerice et Linda Amyot, avec qui j’ai évolué de roman en roman, j’ai développé une approche basée sur la nécessité de livrer toutes ses impressions, toujours avec bienveillance, et de laisser l’auteur réfléchir et tenir compte ou non de mes commentaires. Cette façon de faire a d’ailleurs eu une influence sur moi ailleurs que dans l’édition.

Quant à la collection, je reconnais que je suis fier du chemin parcouru par des auteurs qui n’avaient jamais publié avant de venir chez Leméac. Découvrir des voix est exaltant. Comme j’aime le dire, je ne choisis pas une histoire quand je lis un manuscrit, mais un auteur. Une personne dont l’écriture me touche. J’ai besoin de sentir que je me trouve devant une oeuvre qui s’étendra dans le temps. Ainsi, quand ils gagnent des prix, je me réjouis de cette reconnaissance du milieu. Mais honnêtement, ce qui me plaît le plus, au fond, c’est quand l’auteur n’attend plus simplement le bonheur d’être reconnu ou qu’on lui dise que la première version de son texte est extraordinaire, mais qu’il découvre un bonheur plus grand, plus profond, quand il dépasse ce qui l’avait satisfait et qu’il transcende ses propres limites. Ce bonheur, qui exige rigueur, persévérance, doutes, parfois douleur, fait de l’écriture une nécessité irrésistible. L’expérience de publier, bien que pertinente et valorisante, ne vaudra jamais celle de fréquenter ses forêts intérieures.

Votre proposition s’adresse aux adolescents. Est-ce qu’une collection pour les plus jeunes pourrait être envisagée à court ou moyen terme?
L’idée me séduit depuis déjà quelques années, mais je ne force rien. Récemment, j’ai approché quelqu’un pour se joindre à moi, mais la personne voulait se consacrer à ses autres projets. Si la collection actuelle est née d’une rencontre, entre Jean Barbe et moi, j’aime penser qu’il en sera de même pour la prochaine collection. Faire avec quelqu’un d’autre ce qu’on fait pour moi. Offrir carte blanche. Je ne crois pas que ce type de rencontre puisse être provoquée. Elle s’imposera d’elle-même et je saurai alors que le moment sera venu de nous lancer dans cette aventure.

Les livres que vous publiez dans la collection abordent souvent des sujets délicats ou difficiles. Avez-vous eu des échos ou des témoignages de la part de certains de vos lecteurs?
Les lecteurs échangent surtout avec les auteurs. De mon côté, les échos proviennent surtout des libraires, des bibliothécaires et des enseignants. Essentiellement, ils ressentent les textes de la même manière que les jeunes — des textes écrits sans aucun impératif commercial. Et certains de ces adultes s’étonnent d’aimer autant ces textes jeunesse. Peut-être est-ce parce que la littérature n’a pas d’âge. Plusieurs des auteurs de la maison ne se limitent pas à écrire pour les jeunes. Ils écrivent ce qu’ils ont à sortir du ventre et on voit ensuite quelle est la meilleure collection, adulte ou jeunesse. François Gilbert, Biz, Aline Apostolska, Linda Amyot, Patrick Isabelle, tous ont publié pour les adultes. Ça aussi, c’est une satisfaction. Constater que les auteurs jeunesse ont la même envergure que les autres.

Publicité