Nous vous annoncions au début décembre (ici) que Christiane Vadnais remportait le Prix des Horizons imaginaires pour Faunes (Alto), prix dédié à un auteur d’une œuvre relevant des littératures de l’imaginaire d’ici. Ce prix possède comme caractéristique d’avoir un jury entièrement composé d’étudiants au cégep. En plus de mettre en lumière une œuvre incontournable, ce prix permet ainsi à des jeunes de se pencher sur la critique littéraire, leur permet de s’exercer à mettre en mots leur appréciation – ou non – d’une œuvre.

Chaque année, un concours se déroule en marge du prix, soit le concours de critique littéraire du Prix des Horizons imaginaires. Le jury de ce concours était formé d’Ariane Gélinas (auteure de SFF et chroniqueuse en littératures de l’imaginaire notamment pour la revue Les libraires), Hélène Gadé (chargée de projet à la Fondation Lire pour réussir) et Mathieu Lauzon-Dicso (coordonnateur du Prix des Horizons imaginaires). C’est ainsi avec bonheur que nous vous présentons la plume de grande qualité de Maude-Lanui Baillargeon, qui remporte les honneurs avec son texte « Faunes : le règne de la faim et des brins d’espoir ». Si les critiques soumises ne portaient pas nécessairement tous sur le roman de la gagnante, celle-ci s’attarde à l’œuvre de Christiane Vadnais pour en dresser un portrait tout en profondeur et en intelligence, dans une forme originale et novatrice.

Avant de vous laisser vous plonger dans cette critique, spécifions que Maude-Lanui Baillargeon est étudiante au Cégep de Sainte-Foy, à Québec, où elle étudie en Arts, lettres et communication, profil Littérature et création. Visbilement, elle a un bel avenir devant elle!

 

Faunes : le règne de la faim et des brins d’espoir

Faunes, ça a commencé comme ça : je t’ai tenue entre mes mains, légère, et je n’ai pas su comment te lire. Je tenais une bibitte étrange à plusieurs pattes, et j’ignorais où elle m’emporterait. J’ai terminé ta lecture, tout s’agitait autour de moi, tout était « vivant » et je me suis dit que je m’étais trompée, que je ne t’avais pas lue de la bonne manière. J’étais un peu contrariée, persuadée d’être passée à côté de quelque chose, fâchée de ne pas avoir reçu le mode d’emploi, mais tu n’étais pas moins belle. Faunes, je te lirai encore et j’ai déjà hâte de me laisser surprendre par tout ce qui m’a si doucement glissé entre les doigts.

« L’être humain de notre temps, malgré toutes ses victoires, continue de craindre les animaux féroces. » (p. 39)

Pendant que je suffoquais entre ta bruine et tes lourdes perles de pluie, je sentais pourtant une vive légèreté m’envahir. Je ne pouvais qu’être apaisée de te voir remettre l’être humain à sa place d’une manière délicatement violente. Nous nous sommes crus forts, grands. Nous nous sommes donné tous les droits sur ce monde qui nous héberge généreusement. Nous pensions avoir domestiqué la nature, mais nous avions tellement tort. Aujourd’hui, avec des milliers d’autres âmes, tu m’as semblé dire : « Non. Tu es tout petit. Rien ne t’appartient. Mais si tu acceptes d’être infiniment petit, tu comprendras que tu peux fondre, te déconstruire, perdre des plumes au passage, ou en gagner, et renaître. Tu peux survivre. Tu as une extraordinaire capacité à t’adapter à ce monde si tu assimiles suffisamment rapidement que le contraire est impossible. La nature ne s’accordera pas à toi. Elle reprend ses droits. »

Entre tes pages, l’être humain, prisonnier de son rapport au temps qui file à toute vitesse, se trouve brusquement confronté à la lenteur de la nature. Il se retrouve dans le calme angoissant, presque insupportable, pour lui qui ne connaît plus le silence. La nature est secouée par les changements climatiques, et sa force se révèle plus effrayante que rassurante. Sa puissance nous alarme autant qu’elle nous émerveille. Il y a beaucoup de ça dans Faunes, à travers tout ce qu’il y a de terrifiant, il reste difficile de ne pas être fascinés et charmés à la fois par cette violence qui gronde partout autour de nous.

Faunes ne se laisse pas mettre dans une case, elle nous défie de tenter de l’y insérer. C’est une œuvre libre et sauvage, dont le cri est très contemporain, tout en restant incontestablement singulier. Je m’adresse à cette création comme à un être, parce que, pour moi, Faunes est avant tout un personnage. C’est une entité, un mélange de tous les humains et animaux qu’elle renferme. Faunes est un être qui se rappelle, soudainement, son animalité. Heather dévore jusqu’à en avoir mal. Cette femme qui condamne Ed dans l’enclos des lions vibre de peur. Laura, dans un aquarium, pousse de toutes ses forces pour donner la vie à un inconnu né de sa chair. Ensuite, elle fuit la mort, l’ursus maritimus; le temps de la survivance. La maladie envahit les corps et les esprits. Plus rien ne semble charmant ou beau, tout est brut, sale, animal.

« C’est dans le confort que naissent les films catastrophes. » (p. 39) Ça, Christiane Vadnais l’écrit et elle le sait. Voilà sans doute pourquoi, alors que son histoire nous érafle de sa rudesse, les mots qui la racontent ne sont que douceur. Comme la brume, son écriture nous enveloppe tendrement, la force de ce qu’elle évoque n’en est que plus brutale. Sa plume a quelque chose de la sensualité animale : elle plane dans le ciel nuageux, glisse sur les sols humides et court sur les terres arides. Je ne peux qu’admirer la manière dont l’autrice, du début à la fin, nous tient fermement entre son pouce et son index. Elle nous secoue entre réalité déroutante et ce qui n’est pas réel, pas encore. On s’égare quelque part entre rêve et cauchemar. Dans Faunes, selon moi, efficacité et littérarité s’entremêlent, ne forment qu’un. Comme quoi, quand on maîtrise l’art de choisir les mots, on n’a pas besoin de plus de 136 pages pour bouleverser. J’aborde l’œuvre comme un être, mais il y a en effet quelqu’un derrière cette œuvre, quelqu’un dont on n’a pas fini d’entendre parler. La voix de Christiane Vadnais est velours et fermeté, elle résonne haut et fort à travers les vents et le froid. J’ai hâte de l’entendre à nouveau.

Si le froid n’a pas d’odeur, si aucun parfum ne lui survit; il ne fait probablement pas si froid à l’intérieur de Faunes. Œuvre prégnante, elle laisse derrière elle des arômes de marécages, de vie, de peur et d’espoir.

Par Maude-Lanui Baillargeon

 

Pour voir le texte gagnant de l’an dernier, c’est par ici : http://revue.leslibraires.ca/actualites/les-prix-litteraires/la-laureate-du-concours-de-critique-du-prix-des-horizons-imaginaires-2019

 

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