Marie-Noëlle Hébert ne fait pas une entrée en douce. Pour sa première œuvre, elle a choisi la mise à nu. Le titre, d’abord, peut difficilement laisser indifférent. La grosse laide prend le parti de la confrontation avec ce qui nous a tenus à l’écart pour une raison ou une autre, ici un corps qui ne convenait pas aux standards. Entièrement travaillé au crayon de plomb, cet ouvrage, ne serait-ce que pour l’habileté de sa dessinatrice à illustrer avec un grand réalisme l’intensité des émotions, vaut mille fois le détour.

Pour votre première bande dessinée, vous plongez tête première dans un récit personnel coup de poing. Comment avez-vous transcendé l’histoire intime pour en faire une œuvre littéraire et artistique?
J’ai commencé mon projet au printemps 2013. La première étape a été de rapatrier mes archives personnelles sur le poids et l’estime de soi depuis ma naissance, puis de les classer. J’ai regroupé les faits, interrogé ma famille; c’était une véritable obsession. Je voulais savoir à quel moment j’avais commencé à être consciente de mon corps. Le processus qui a suivi a été beaucoup plus créatif, puisqu’il fallait que j’illustre mon histoire. Très vite, Marie-Noëlle est devenue mon personnage. Je la mettais en scène dans des souvenirs choisis. L’idée de faire La grosse laide était d’enlever un poids de mes épaules. À la fin, quand il a fallu mettre au propre, le détachement était fait, il ne restait qu’à faire du beau.

Vos illustrations impressionnent par leur réalisme et leur grande maîtrise. Elles possèdent en même temps une grande force d’évocation. Comment s’est affirmé votre style? Vous réclamez-vous de certaines influences?
Mon style s’est affirmé dans les dernières années à la suite de mon passage au Collège Salette. J’y ai suivi un programme de trois mois en illustration qui m’a permis de prendre conscience de mon coup de crayon, de mes forces et de mes faiblesses. Ça a été comme une révélation pour moi. Un de nos profs nous avait dit qu’il fallait dessiner tous les jours, et je l’ai écouté. Je me suis beaucoup améliorée pendant cette période. C’est en lisant Jane, le renard et moi que j’ai décidé de faire ma bande dessinée. J’étais tellement impressionnée par le rendu des illustrations d’Isabelle Arsenault. Elle a utilisé le crayon graphite et ça m’a donné envie de faire ma BD avec mon médium préféré.

Qu’est-ce qui vous a donné le plus de fil à retordre dans la réalisation de La grosse laide?
Le travail préparatoire a été très difficile émotionnellement. En replongeant dans des choses que j’avais oubliées, des souvenirs douloureux me revenaient en pleine face. À l’époque, je n’avais pas réglé mes conflits avec mes parents et j’étais en colère contre eux. La grosse laide nous a permis de nous retrouver, je crois.

Dessiner les planches finales aura été un marathon infernal. J’ai fait tout ça en travaillant à temps plein dans un domaine qui n’a rien à voir avec l’illustration. Pendant six mois, toutes mes fins de semaine et soirées étaient consacrées à l’exécution des dessins. En plus, j’ai déménagé! Je n’ai jamais été aussi fatiguée. Je gardais mon objectif en tête pour ne pas lâcher.

Pour vous, qu’est-ce que le dessin permet d’exprimer que le texte ne peut pas, et vice versa?
À l’origine, ma bande dessinée n’avait aucun texte. À la seconde version, j’en ai ajouté beaucoup, puis j’en ai enlevé, j’en ai rajouté et encore enlevé. C’est le dessin, mon médium de prédilection. Bien écrire n’est pas naturel pour moi. Avec Tristan, mon éditeur, on a voulu rester le plus proche de l’émotion d’origine, proche du langage parlé. Le dessin me permet d’exprimer le mouvement, mes sentiments, ma sensibilité. Je me sens libre quand je dessine, je ne pense pas aux contraintes et aux règles. J’ai l’impression que mes illustrations n’ont pas besoin d’être comprises. C’est l’émotion ressentie par celui qui les regarde qui est importante, et celle que je vis en les faisant.

Photo : © Julie Artacho

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