Parcourir la feuille de route de Michel Rivard revient à repasser en revue quarante ans de la scène musicale au Québec. Que ce soit avec le groupe Beau Dommage ou en solo, il a tracé un chemin poétique qui a fait plusieurs émules. Symbole de la chanson québécoise, il n’en continue pas moins de se renouveler en offrant ces temps-ci L’origine de mes espèces, un livre-disque qui le rapproche plus que jamais de l’écriture.

On ne peut que l’imaginer, puisque l’entretien se fait par téléphone, mais Michel Rivard nous assure que chez lui, d’où il nous parle, il est entouré de livres. Classés dans des bibliothèques, empilés sur des tables ou disséminés un peu partout dans son appartement, les bouquins accompagnent le poète de la chanson depuis longtemps. « Ce sont des amis fidèles que j’aime avoir autour de moi », admet-il. Du plus loin que sa mémoire puisse remonter le fil du temps, les livres ont été des objets chéris. Des contes traditionnels que lui lisaient ses parents aux fameux Tintin qui ont marqué plus d’un jeune de sa génération, Michel Rivard a gardé une affection particulière pour l’album L’opéra de la lune de Jacques Prévert qu’il possède encore et dont il prend soin comme de la prunelle de ses yeux. « Des amis de mes parents l’avaient rapporté de France. Le petit garçon de l’histoire s’appelle Michel et il est toujours dans la lune, alors je me suis beaucoup identifié au personnage! », explique-t-il, amusé. Il était aussi un grand lecteur d’une collection de bandes dessinées qui portait le nom de « Classiques illustrés », qu’on pouvait retrouver à côté des comics et qui reprenait de grandes œuvres de la littérature, comme Hamlet, Les trois mousquetaires ou Moby Dick.

C’est ainsi que les livres ont continué à nourrir à foison l’imaginaire de l’auteur-compositeur-interprète. Certaines perles se sont démarquées durant son parcours de lecteur, comme Conte d’hiver de l’Américain Mark Helprin. « C’est un livre fascinant, plein de beauté et de rebondissements. Je classerais ça dans le réalisme magique, c’est-à-dire que c’est une histoire qui se passe sur cent ans dans une espèce de New York mythique qui est parfois plus grand que nature », explique notre invité. Ce roman de plus de 1 000 pages en format poche présente entre autres un cheval blanc qui vole, un cambrioleur amoureux, une femme qui collectionne les mots et qui parle à un coq, tous s’enchâssant dans une histoire émaillée de détails oniriques.

Michel Rivard a aussi un faible pour l’univers de Romain Gary, surtout lorsqu’il est Émile Ajar. « C’est un auteur que j’ai relu plusieurs fois. Ce qu’il a fait avec le langage, comment il s’est réinventé, comment il a trouvé une écriture à la fois poétique, humoristique, avec des tournures de phrases absolument extraordinaires et des histoires touchantes qui font réfléchir, ça comble tout ce que j’attends d’un livre », estime-t-il. Notre-Dame de Paris d’Hugo et Madame Bovary de Flaubert ont également été lus plus d’une fois par le chanteur. À chacune des lectures, il acquiert une nouvelle compréhension qui vient s’ajouter aux précédentes. Tous ces livres agissent comme de « l’inspiration inconsciente », croit Rivard. Quand vient le temps d’écrire ses chansons, les univers visités à travers les livres et qui avec le temps ont mûri en lui sont nécessairement partie prenante et contribuent à sa propre création.

Tarzan en Islande
Plus récemment, les œuvres de la Québécoise Dominique Fortier l’ont conquis. Les villes de papier, qui revisite la vie de la poète Emily Dickinson, et Au péril de la mer, qui investit l’aura du Mont-Saint-Michel, l’ont certainement marqué. « Ce sont des petits livres mais chaque phrase s’ouvre sur vraiment quelque chose de grand », dit-il. Lors d’une rencontre avec l’auteure il n’y a pas très longtemps, ils se sont rendu compte qu’ils étaient ensemble dans un même cours de création littéraire donné par Yvon Rivard il y a de cela plusieurs années. Il a aussi de très bons mots pour Éric Plamondon et sa trilogie « 1984 » qui rassemble les existences, reconstituées par fragments, de Johnny Weissmuller, alias Tarzan, de l’écrivain Richard Brautigan et d’un des créateurs d’Apple, Steve Jobs. Hors Québec, il a tout lu, depuis la parution de Rosa Candida, de ce qu’a écrit l’Islandaise Auður Ava Ólafsdóttir. « J’aime beaucoup l’esprit de la nordicité qu’on retrouve chez elle, avec l’étonnement à chacun de ses romans ; son dernier d’ailleurs, Miss Islande, c’est un chef-d’œuvre », dit sans ambages Michel Rivard. Ce livre, qui a d’ailleurs reçu le prix Médicis étranger cette année, retourne en 1963 pour suivre le rêve d’une jeune fille qui aspire à écrire alors qu’on lui suggère plutôt de poser sa candidature au titre de Miss Islande. Quant aux nouvelles de l’Américaine Amy Hempel, elles le renversent ni plus ni moins. « Je ne sais pas comment elle fait, je la trouve extraordinaire. J’aime tellement la forme que prennent ses nouvelles et sa maîtrise de son écriture qu’elle me donne le goût éventuellement d’avoir le courage de publier un recueil de nouvelles », dit celui qui a fait paraître cette année le livre-disque L’origine de mes espèces. Le chanteur avait envie d’un spectacle théâtral où les chansons viendraient marquer la trame narrative. Une fois la forme choisie, son histoire familiale lui est apparue comme une matière riche à exploiter. Le processus fut parfois difficile, jalonné de surprises, parsemé de doutes et « surtout cathartique », précise le créateur, très heureux au final du résultat.

Élévation
Rivard constate qu’il est avant tout un lecteur de fiction. Peu importe le genre, pourvu qu’elle concerne « la vraie vie dans ce qu’elle a de magique ». Les heureuses coïncidences, le merveilleux au cœur de l’anecdotique, c’est ce qu’il préfère. Il aimerait bien, si l’occasion se présentait, discuter avec Christian Bobin, dont il a tous les titres. Ils sont tout près et parfois il en prend un pour lire un passage au hasard ou pour le traverser d’un seul tenant. « Il y a une douceur et une spiritualité dans son œuvre qui élèvent et j’aimerais ça parler avec lui pour qu’il m’explique d’où il part pour arriver à ce type d’introspection », avoue notre libraire invité.

Quand il a eu à offrir un livre en cadeau, son choix s’est souvent arrêté sur Pierre-Auguste Renoir, mon père, un livre sur le peintre écrit par son fils, le réalisateur Jean Renoir. Considérant cette biographie comme l’une des plus belles qu’il a lue, elle est d’autant plus précieuse qu’elle lui avait été conseillée par son grand ami cinéaste aujourd’hui disparu, André Melançon. Chez lui ou en tournée, le musicien se fait un plaisir de visiter la petite librairie de quartier et de prendre, parfois au hasard, un livre, sans autre raison qu’il aura simplement réussi à happer son attention par sa couverture, son poids, son format. Il a découvert comme ça dans une librairie de Paris L’Oratorio de Noël de Göran Tunström, qui est devenu un grand roman pour lui.

Sur sa table de chevet encombrée trône « Le fleuve », la tétralogie de Sylvie Drapeau, dont il est sur le point d’achever la lecture « magnifique », selon lui. Blonde de Joyce Carol Oates, une biographie fictive de la vie de Marilyn Monroe, lui plaît aussi beaucoup. Comme c’est une auteure qu’il découvre, il se réjouit de savoir qu’elle a plusieurs dizaines de titres déjà à son actif! Aussi, Choix de poèmes (pas trop longs) de Michel Garneau confirme à nouveau l’admiration qu’il a pour l’œuvre de cet écrivain. Enfin, Le temps scellé du cinéaste Andreï Tarkovski, un ouvrage où s’entremêlent notes de travail, réflexion sur l’art et la société et idéaux du réalisateur, le captive tout à fait. Pour Rivard, les écrivains, ceux qu’il a lus comme ceux qu’il lui reste à découvrir, sont là « pour offrir une alternative au discours ambiant », ce qui lui apparaît plus que nécessaire pour contrer ce qui fait, comme le disait un certain Shakespeare, « beaucoup de bruit pour rien ». Ouvrons un livre et le monde ira déjà mieux.

Photo : © Marie-Claude Meilleur

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