Que se passe-t-il quand un érudit universitaire passionné de vulgarisation rencontre une vulgarisatrice éminente passionnée par l’érudition pour échanger sur la sexualité? Quelle place accorder aux grandes œuvres classiques en éducation? Tel est cette fois notre programme.

C’est une rencontre inattendue que celle de l’universitaire Michel Dorais avec l’écrivaine et comédienne Janette Bertrand, réunis le temps d’un ouvrage pour parler de sexualité (Vous croyez tout savoir sur le sexe?).

Une rencontre inattendue, certes, mais, il faut aussi le dire, heureuse. C’est sans doute parce qu’ils sont l’un comme l’autre, leurs parcours respectifs le démontrent amplement, passionnés, désireux d’apprendre et capables de vulgariser. Ces grandes vertus traversent les pages de leur ouvrage, qui nous propose, sans tabou et en langage clair, de sortir de l’ignorance où nous sommes bien souvent sur d’innombrables sujets liés à la sexualité.

Il sera ainsi tour à tour question de désir, de la sexualité des jeunes, de celle des célibataires, des couples, des personnes qui se retrouvent un jour seules après avoir été en couple, des personnes de plus de 60 ans et aussi de diversité sexuelle.

Le ton des échanges, dans lesquels Mme Bertrand interroge le professeur Dorais, est particulièrement remarquable. La première pose avec sensibilité et intelligence de nombreuses questions qu’on aimerait poser et le deuxième y répond de manière claire et informée. Mme Bertrand le relance ensuite.

Pour prendre un exemple au hasard, attardons-nous au chapitre sur la question de la diversité sexuelle qui, comme on sait, fait souvent polémique dans les débats publics.

Comment décide-t-on aujourd’hui du sexe d’un enfant si, comme c’était autrefois le cas, le sexe apparent n’est plus le seul critère? demande Mme Bertrand. M. Dorais nous explique alors que cinq critères principaux sont désormais utilisés : les chromosomes, les hormones, les gonades (ce sont les embryons des organes génitaux), les organes sexuels internes et externes. « Chez les enfants intersexués, au moins un de ces éléments est dissonant, rappelle-t-il. Par exemple […] des garçons peu sensibles à certaines hormones vont naître avec des testicules non descendus et un micropénis qui passe alors pour être un clitoris. »

Dorais explique ensuite ce que tout cela implique et comment on a ainsi mis fin à la pratique d’opérer à la naissance les bébés intersexués. Mme Bertrand le relance en lui demandant de distinguer intersexué et transsexué, avant de faire plus prosaïquement porter la conversation, jusque-là plus savante, sur l’inquiétude que certains parents pourraient avoir devant l’attrait pour les poupées de leur petit garçon.

On aura compris que cette alternance entre propos savants et préoccupations plus quotidiennes ou prosaïques fait aussi le charme de cet ouvrage, auquel on souhaite un grand lectorat qui lui fera une belle place dans la bibliothèque familiale.

Par déformation professionnelle et aussi parce que le sujet est à l’ordre du jour au moment où on va implanter un cours d’éducation sexuelle, le dernier chapitre du livre, consacré à ce sujet, m’a particulièrement intéressé. Entre autres idées intéressantes, Dorais avance, avec raison, que « l’école québécoise a pris du retard sur la question à un moment où elle aurait dû, plus que jamais, faire contrepoids à la désinformation que l’on retrouve sur le Web et sur les réseaux sociaux ». Les deux auteurs abordent ensuite, encore une fois avec franchise et sensibilité, de nombreux aspects souvent polémiques de cette nécessaire éducation sexuelle.

Ce qui nous conduit à notre deuxième essai, justement consacré à l’éducation.

Pérennialisme et éducation
Il y a en éducation une école de pensée appelée pérennialiste et qui suggère que l’éducation consiste d’abord et avant tout à mettre les jeunes esprits en contact avec les « grandes œuvres », c’est-à-dire, pour reprendre les mots de Matthew Arnold, avec ce que l’humanité a pensé et dit de mieux, de plus élevé.

Raphaël Arteau McNeil a créé en 2008, à l’Université Laval, un certificat justement consacré aux œuvres marquantes de la civilisation occidentale.

Son livre (La perte et l’héritage), qui prend comme modèle le fameux Discours de la méthode de Descartes, défend cette idée et le fait avec brio.

Il soutient, pour commencer, une thèse forte et qui fera débattre : les membres de la « génération lyrique » (l’expression est de François Ricard) ont pu choisir de rejeter l’héritage culturel et les structures institutionnelles du monde en partie parce que tout cela était au fond stable et permettait ce luxe de penser pouvoir tout réinventer.

Mais pour leurs enfants à eux, pour cette génération à laquelle l’auteur appartient d’ailleurs, la situation est bien différente : c’est qu’elle vit dans un monde instable, privé de repères, en convulsion et n’a pas eu le luxe de choisir de refuser ce dont elle ignore même souvent l’existence.

En éducation, cette génération a alors grandement été privée de ces œuvres qui sont une indispensable composante d’une véritable éducation : ce sont eux et elles, ces déshérités qu’évoque le titre du livre.

Les causes de cette occultation sont nombreuses, mais Arteau McNeil insiste notamment sur une certaine idée de la pédagogie se voulant centrée sur l’enfant, sur l’absence de cette autorité nécessaire à la relation pédagogique, sur une dangereuse réduction de l’éducation à une préparation à l’emploi et sur une volonté de prétendue modernisation. Dans cette perspective, l’éducation par les grandes œuvres « n’enseigne aucun métier, elle touche à tout et ne forme à rien, elle est inutile. Ce n’est pas une véritable éducation. Et c’est ainsi que l’étude des grandes œuvres est […] confinée aux loisirs ».

Le livre propose donc une solide défense et illustration de l’éducation par les grandes œuvres, d’une éducation libérale au sens classique du terme, c’est-à-dire qui libère, en s’efforçant de montrer les bienfaits qu’on peut en espérer.

Vous avez été privé de cette éducation? Elle vous tente? Vous vous demandez par où commencer? L’annexe du livre vous inspirera sans doute, énumérant les œuvres qui ont été étudiées dans le certificat sur les œuvres marquantes de la culture occidentale durant ses dix premières années.

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