Peut-on parler de tout en littérature jeunesse? De deuil, de souffrance psychologique, d’agression, de tuerie? Et si tout était une question de point de vue? Regard sur quelques auteurs qui semblent attirés par des thèmes plus sombres, mais qui savent jouer avec les angles pour en parler avec originalité.

Susin Nielsen est une habituée des thèmes difficiles. Avec Ma vie (racontée malgré moi), par Henry K. Larsen, elle a abordé d’une façon fort originale le thème des tueries dans les écoles secondaires. Alors que Patrick Isabelle et Simon Boulerice ont aussi abordé ce thème, ils l’ont respectivement fait en choisissant le point de vue du bourreau et de la victime dans les romans Eux et L’enfant mascara. Susin Nielsen est plutôt partie du frère du meurtrier, celui qui reste quand l’autre s’est suicidé, celui qui vit avec ses souvenirs, le poids de la perte. Et c’est l’angle qui fait tout. Ainsi, si les médiateurs ont plus de crainte de mettre Eux ou L’enfant mascara (tous deux publiés chez Leméac) entre les mains des jeunes adolescents, Ma vie (racontée malgré moi), par Henry K. Larsen paraît moins effrayant puisque le sujet est abordé indirectement.  

Dans Les optimistes meurent en premier, son nouvel opus, Susin Nielsen parle cette fois de la culpabilité d’une adolescente qui se sent responsable de la mort de sa jeune sœur et qui s’est réfugiée dans son rôle de fille parfaite, capable de tenir le fort à la maison, de recoller les pots cassés. Désormais seule enfant de ses parents, elle est prise avec la terrible responsabilité de survivre, ce qui inclut de prévenir toutes les catastrophes possibles et les éviter à tout prix. Puis, Jacob arrive dans sa vie et elle a envie de croire qu’elle peut de nouveau être heureuse. Seulement, c’est bien connu, les optimistes meurent en premier; si elle baisse sa garde, elle pourrait bien ne pas y survivre. C’est le deuil qui est au centre de ce récit terriblement humain dans lequel les personnages sont nombreux à vivre avec des secrets bien enfouis, des culpabilités qui les rongent.  

Chez Hurtubise, pour son premier roman en littérature pour adolescents, Amélie Panneton a aussi choisi d’aborder un thème difficile, soit celui des agressions sexuelles. Elle le fait toutefois d’un point de vue assez inhabituel, soit celui du témoin. Emmanuelle n’a pas juste surpris la scène, elle est aussi la toute nouvelle copine du frère de l’agresseur, ce qui la place dans une position difficile. Comment réagit Thomas – son copain – face à la situation? En fait, quelle réaction devrait-il avoir? Est-ce normal qu’il n’en parle pas? Amélie Panneton a d’abord écrit une histoire d’amour sensible et ponctuée de phrases poétiques avec ce roman, Comme une chaleur de feu de camp, mais qui permet ensuite aussi au lecteur de découvrir la réaction de l’entourage des victimes d’agression. L’auteure en profite pour aborder la question de la dénonciation. Noémie, l’adolescente qui a été agressée, n’a aucune envie d’aller raconter son histoire, mais si elle ne dénonce pas son agresseur, il restera en liberté…

Antoine Dole est un autre auteur qui aime s’attaquer à des sujets durs. Il n’hésite d’ailleurs pas à mettre en scène des adolescents torturés et une certaine cruauté. Dans Naissance des cœurs de pierre, paru chez Actes Sud, il frappe un grand coup avec un récit double. D’un côté, il y a Jeb, jeune garçon de presque 12 ans qui vit dans un univers ultra réglementé d’où les émotions sont proscrites. Pour intégrer le Programme, il doit subir des tests, mais le garçon sait bien qu’il est trop sensible, incapable de prendre le dessus sur ses sens, sur sa curiosité.

De l’autre côté, il y a Aude, adolescente forcée d’intégrer un lycée chic par ses parents. Rejetée, ridiculisée, elle ne trouve de réconfort qu’en Mathieu, un surveillant. Rapidement, la jeune fille découvre toute l’intensité des sentiments amoureux. Mais aussi leur douleur – Mathieu tenant plus du loup que de l’agneau. La lecture est douloureuse parce que le lecteur a de l’empathie pour les deux personnages principaux qui vivent d’intenses moments de souffrance, et on ne peut que saluer le talent de l’auteur qui joue avec les codes des récits dystopiques pour créer l’effet de surprise – la finale laissant absolument sans voix.

Quand on parle de maîtrise du point de vue, on pense aussi à Patrick Isabelle, qui a clos cet automne sa trilogie (Eux, Nous et maintenant Lui). Alors que les deux premiers tomes ne nous offraient que le regard de « lui », le dernier élargit la perspective du lecteur en lui permettant de découvrir les impressions, les pensées des personnages en périphérie, dont celui de « l’autre », l’intimidateur du premier récit. « Un narrateur au “je” me limitait beaucoup sur plusieurs aspects puisqu’il s’agissait d’un narrateur qui, même s’il semblait honnête, était biaisé et décrivait sa réalité comme lui la voyait », explique Patrick Isabelle. En effet, le kaléidoscope qu’il crée dans sa finale apporte une profondeur au reste du récit, mettant en lumière certaines ombres volontairement restées au départ dans l’ombre, ce qui participe à la force du récit. 

Du côté des albums
Dans les albums pour enfants, le choix du point de vue y est aussi pour beaucoup dans la présentation des thèmes plus difficiles, comme celui du deuil, que Marie-Andrée Arsenault aborde pour la deuxième fois en trois publications. Tout juste paru chez Isatis, Mingan les nuages est un récit écrit à hauteur d’enfant – une petite fille racontant l’histoire de la mort de son chat. Très touchant, poétique et d’une grande justesse, le texte est présenté dans un écrin magnifique, celui des dessins remplis de douceur d’Amélie Dubois. On sent chez l’auteure une volonté de prendre soin de ses personnages, de les accompagner dans les moments difficiles « Ça me laisse croire qu’on sera là pour moi lorsque cela m’arrivera », dit Marie-Andrée Arsenault. C’est d’ailleurs ce qui fait la force de ce récit : il donne l’impression qu’on est enveloppé et aidera certainement les enfants qui vivent réellement un deuil.

Qu’est-ce qu’un thème difficile? Si certains auteurs ne se sentent pas à l’aise d’aborder certains sujets plus sensibles, d’autres n’ont pas froid aux yeux et cherchent simplement l’angle qui leur permettra de toucher le lecteur tout en le faisant réfléchir. Un défi qui n’est pas aisé, mais qui n’est pas non plus inaccessible. Tout est une question de point de vue!

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