Les libraires craquent: poésie et théâtre

La dernière cassette : Un portrait d’André Brassard

Voici une pièce qui fera date dans l’histoire de la dramaturgie québécoise. Olivier Choinière a littéralement ressuscité son mentor André Brassard pour nous offrir un éblouissant chant du cygne d’autant plus émouvant qu’il doit s’élever d’un quotidien sordide, diminué et dépouillé de la sublimation à laquelle le célèbre metteur en scène s’était entièrement dévoué jusqu’à s’en brûler les ailes. Devenu une parodie de lui-même de laquelle il se joue à la façon du clown triste, Brassard qui-tutoie-la-mort tâche de se souvenir de Brassard à-qui-la-vie-sourit. L’idée vient de la pièce de Beckett, La dernière bande, mais Choinière l’exploite génialement en faisant réécouter les enregistrements du jeune Brassard à celui de la fin.

Appartenir

Fort de cinq recueils de poésie, Hector Ruiz nous revient avec Appartenir, l’image même de la maîtrise du mot juste. Parfois par poème, et d’autres fois par lettre, le poète se dévoile avec timidité, mais aussi une grande franchise qui rend le tout très sensible. « Dans une taverne, avec les habitués, nous discutons de la nécessiter de faire bouger les âmes. » En plus, il y a du soccer, que demander de plus?

Puberté

La poésie d’Annie Lafleur a ceci de particulier qu’elle est à la fois très frontale, très rythmée, voire musicale, mais néanmoins réfléchie et, à défaut d’être apaisante, violemment sereine, quoique toujours au seuil du point d’ébullition. Ce nouveau recueil ne fait pas exception à la règle, abordant l’ingratitude, la naïveté et les désillusions propres à cet âge que tout un chacun traverse de façon plus ou moins heureuse. Une poésie aussi franche que libérée, voire libératrice, donc; on aurait tort de s’en priver.

Fille méchante

Ce livre nous change de la poésie à laquelle nous sommes habitués. Il aborde autant le travail du sexe, la consommation, les relations difficiles et fragiles que la solitude. Juliette Langevin apporte les sujets avec autodérision et nous plonge dans l’émotion avec chaque texte écrit. J’ai adoré ce recueil qui apporte vraiment un vent nouveau et d’évolution. Fille méchante sort du moule conventionnel et parle de sujets encore tabous dans notre société. Cette œuvre est magnifique, bien représentée, audacieuse, vulnérable, et j’aime l’aspect dérangeant qu’elle peut représenter pour certains. Ce livre démontre que la poésie n’a pas besoin d’être toujours douce, belle, polie et gracieuse; il est surprenant, magnifiquement bien apporté, trash mais beau à la fois.

Cariacou : Manuel de chasse à l’usage des poètes

Il y a beaucoup de formes différentes dans le livre d’Olivier Lussier. Si la partie « guide » est particulièrement visible dans la section « Manuel pour chasser le cerf de Virginie », une pléthore d’autres textes particulièrement bien titrés se présente à nous. Poèmes, confidences et réminiscences offrent tour à tour des moments d’une grande vulnérabilité. Je ne sais pas si Cariacou saura convaincre un ou une néophyte de la chasse d’obtenir son permis de code F (ou A pour arc/arbalète) pour ensuite aller se geler dans le bois, mais ce sont de belles perles de timidité dévoilées. Personnellement, je sais quel livre je vais mettre dans le canot, quand j’irai installer mes salines. Après tout, plusieurs grands auteurs américains ont commencé leur carrière en publiant dans des revues de chasse et pêche. Olivier Lussier a seulement décidé de passer directement au gros gibier : le livre.

Ismène

De l’Antigone du dramaturge français Jean Anouilh à celle de la cinéaste québécoise Sophie Deraspe, on ne compte plus les réécritures de la célèbre pièce de Sophocle. Si ces dernières se sont surtout intéressées à sa flamboyante héroïne et à la résistance sans compromis qu’elle oppose à son oncle Créon, la dernière pièce de Carole Fréchette donne la parole à un personnage relégué trop souvent au second plan : sa sœur Ismène. Car celle qui est présentée comme lâche et peureuse pourrait au contraire nous montrer la voie à suivre dans nos sociétés marquées par la montée des extrêmes. Cet habile monologue présente une Ismène mue par un amour aussi fort qu’Antigone, mais aiguillée par la déesse de la paix Eirené. Celle-ci mettra tout son cœur à tempérer les ardeurs de l’une et de l’autre pour mettre fin à ce qui conduit sa famille à sa perte depuis des millénaires : l’excès. En espérant que la pièce soit bientôt montée au Québec!

Fusibles en microdoses

Marido Billequey rend un hommage figuratif et brutal aux femmes-fusibles. Ce titre, Fusibles en microdoses, est évocateur de plusieurs choses : la fragilité des femmes par la violence qu’elles subissent, l’énergie fulgurante qu’elles doivent gérer avec parcimonie afin de satisfaire autrui et du point de rupture vécu par les femmes qui n’en peuvent plus. Ce recueil se veut comme un électrochoc pour tous ceux qui le lisent et qui veulent comprendre davantage l’instabilité des femmes subissant des abus et qui se relèvent en faisant confi ance de nouveau. C’est le livre-objet phare de l’automne de cette année. Les illustrations et le design graphique viennent transcender l’œuvre e la poétesse.

Crâbe

« La propreté n’a jamais été signe de sagesse », avance Pedneault dans son dernier recueil, comme un pied de nez au célèbre adage de Montesquieu selon lequel « [l]a propreté est l’image de la netteté de l’âme ». Véritable expédition dans les méandres de la maternité, de la métamorphose et du déracinement humain, Crâbe, deuxième recueil de l’écrivaine nord-côtière Emilie Pedneault, offre un aperçu sincère et authentique de son univers poétique, un espace cru ancré dans un territoire aride. Entre réconfort et émotion, cette lecture porte à réfléchir, à sourire, et peut-être même à verser une petite larme autour d’un chocolat chaud.

Run de lait

La pièce de théâtre documentaire de Justin Laramée Run de lait nous informe, nous fait rire, nous fâche et vient nous toucher au plus creux de notre estomac. En bref, si tous et toutes n’ont pas la chance de la voir sur scène, sa lecture devrait être, au minimum, obligatoire pour l’obtention du diplôme de français de secondaire 5; mais bon, c’est peut-être le gars de village qui parle.

La promesse du pin gris

Voilà un superbe nouveau recueil de Mathew K. Williamson, qui m’avait déjà éblouie avec son roman Et ce bruit, toujours. Au fil des poèmes, l’homme cherche sa place dans une nature polymorphe, doute et se questionne. Les craintes, les deuils (« je veux/écrire un testament à toutes/les saisons ») et les regrets (« le chagrin de ne plus m’émerveiller/devant mes tempêtes ») se dissolvent dans l’amour des choses simples; l’apaisement vient au contact du vivant (« dans l’ombre une abeille butine/sans attendre de compliments ») et il reste l’espoir que fait naître le pin gris, qui a besoin du feu pour naître. Les magnifiques illustrations d’Émilie Pedneault, tout en délicatesse, accompagnent superbement les images fortes et vivantes créées par les mots.

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