Les libraires craquent: littérature québécoise

Le destin c’est les autres

Plongez dans les débuts d’une jeune étudiante au moment où elle entame des études sur le Moyen-Orient à l’Université de Durham en Grande-Bretagne. Un jour, ses amis et elle sont témoins de l’arrestation d’un de leur collègue, Marwan, ne se doutant pas des raisons qui justifient cet événement soudain. Ce n’est que plusieurs années plus tard que la protagoniste découvrira enfin la vérité sur cet individu. Ce fut pour moi une lecture des plus captivantes, dont la toile de fond présente à la fois un suspense politique et le récit personnel de l’autrice, Claudine Bourbonnais. J’ai d’autant plus apprécié la façon dont celle-ci expose les différentes perspectives qui englobent le conflit israélo-palestinien et nous y sensibilise.

Noir deux tons

Deux ans après Territoire de trappe, gagnant du prix Roman du Salon du livre du Saguenay—Lac-Saint-Jean en 2022, Sébastien Gagnon et Michel Lemieux nous reviennent avec un nouveau livre écrit à quatre mains. Mettant en scène Jacques et René, des couvreurs de toitures entre deux âges dont les pérégrinations dans un quartier chic d’une petite ville du Lac-Saint-Jean finiront par causer quelques remous dans la petite vie tranquille de ceux qui y habitent, ce petit roman se lit comme un charme, mêlant habilement humour potache, critique sociale, érotisme assumé, moments de grâce, pudeur masculine et scènes d’action qu’on croirait tirées d’un film des frères Cohen. Un très agréable moment de lecture.

Michelin

À la fois tendre et cinglant, ce monologue introspectif sonde les intrications de l’identité, de la santé mentale, de la classe sociale, de la filiation et de la masculinité. L’évocation d’une enfance dans une ferme en Montérégie offre une perspective à la fois amusante et perspicace sur une famille aussi chaotique que magnanime. Michelin, alter ego fantasmé du narrateur, fait figure de double hypothétique, version inexplorée de lui-même dont il lui faudra se libérer pour embrasser pleinement une identité que la quarantaine semble avoir fragilisée, voire remise en question. Délicieusement désinvolte, alliant un humour teinté d’autodérision et juste ce qu’il faut de tendresse mélancolique, Michel-Maxime Legault explore avec éloquence les complexités du chemin qui mène vers soi. Excellent.

Je vous demande de fermer les yeux et d’imaginer un endroit calme

Le très attendu deuxième livre de l’autrice de Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok confirme l’indéniable talent de celle dont la franchise des élans autofictionnels n’a rien perdu de son tranchant ni de sa pertinence en regard des enjeux aussi intimes que sociétaux que sa plume soulève, triture, caresse et confronte. En conférant à la figure de sa mère la rougeur du fil d’Ariane où chercher la trame et les détours labyrinthiques de sa relation à autrui et au monde de même que la pénétrante réverbération du plus ardent des soleils dardant de ses rayons la plus éternelle des neiges, Michelle Lapierre-Dallaire frappe au cœur des cibles mouvantes et voilées qui sont le propre de ce qui la fonde.

Lait cru

Rien de mieux qu’un Alto pour entrer dans des univers intrigants; c’est encore mieux quand il s’agit d’un premier roman et que l’on peut lire une nouvelle voix. Lait cru nous chuchote par bribes deux vies : celle de la ferme et celle de l’hôpital. On saute de l’une à l’autre avec le même élan que celui de la pensée. Les lieux familiers du Québec deviennent propices aux cauchemars, aux manies, aux rires et surtout aux murmures. Entre les traites et les ballots de foin percent les regards de quelques spectres et ceux, aussi, de la famille en fusion avec son labeur. La plume de l’auteur, elle, bruisse comme le blé dans un vent d’automne. Lait cru se jette en nous : c’est un nuage blanc dans du thé.

On couche encore ensemble

Couple dans la vie comme à l’écrit, Francis Juteau et Alice Lacroix nous reviennent avec une suite aussi sensuelle que le premier volet, et ce, à notre grand plaisir. La formule, très efficace, demeure la même que dans le précédent : Juteau écrit de la prose et Lacroix de la poésie, en alternance. On suit donc les aventures érotiques du couple, dans ses hauts et ses bas, alors qu’ils entament une relation à long terme et que la pandémie les oblige à une certaine routine. Le livre transpire d’humour, de fougue, de passion, mais surtout de tendresse et d’amour. Plus encore que de célébrer le sexe imparfait et décomplexé, les auteurs s’éloignent des clichés entourant la sexualité au sein d’un couple. Ils mettent de l’avant l’intimité, le respect et l’exploration des fantasmes sans jugements. Je le répète : au grand plaisir des lectrices et des lecteurs!

Solène en trois actes

Un homme, jamais nommé, navigue entre trois périodes de sa vie. D’ailleurs, le roman s’ouvre sur son troisième acte. Une série de petits chapitres permet au narrateur de révéler petit à petit les personnages, dont la fameuse Solène qui est présente dans les trois actes. Cette femme rencontrée par hasard dans un bar de Joliette aura une importance capitale dans la vie du narrateur. Les surprises du destin et les désirs profonds côtoient les grands événements, comme la mort de Dédé Fortin et le Sommet des Amériques. De plus, le narrateur gravite dans le milieu littéraire, pour notre plus grand plaisir. La structure peut sembler mélangeante, mais tout est maîtrisé. Une fois de plus, Alain Beaulieu impressionne par sa capacité à se renouveler.

La nébuleuse de la Tarentule

Dans ce roman, Mélissa Verreault tisse une toile autour de Mélisa Verreault (une petite lettre qui change tout!), une protagoniste qui lui ressemble sur certains points, où la vérité, les mensonges qui réconfortent, le passé, le présent, les rêves et les bizarreries se confondent. Si la nébuleuse de la Tarentule est visible de l’hémisphère sud, Mélisa l’a-t-elle vraiment observée avec son père? Cette tarentule trouvée dans une boîte, est-elle réelle? Il y a aussi l’interprétation de la Tarentelle à l’école secondaire. Ce livre est truffé de preuves visant à démontrer que ce qui est dit est vrai, alors que l’autrice est une maudite menteuse, comme elle le dit si bien dans sa biographie. Nul besoin d’aimer les araignées pour apprécier ce grand retour de l’autrice.

Frappabord

La guerre est un sujet universel. Depuis des siècles, nous en avons fait une industrie, une machine à tuer bien huilée qui déverse sa salive aux quatre coins du globe. Au milieu de ces rouages, tel un petit insecte, se trouve le nouveau bijou de Mireille Gagné. Dans celui-ci, on y trouve Thomas, un scientifique qui travaille sur des armes biologiques à Grosse-Île pendant la Seconde Guerre, et Théodore, un Montréalais qui vit une intense canicule en 2024 (et une invasion de mouches!). Les efforts de l’un font les malheurs de l’autre. L’œuvre émet une critique claire sur l’industrie de l’armement et son impact sur l’écologie. Digne d’un vrai frappabord, le livre est incapable de nous lâcher. Même après, il continue à nous taquiner l’esprit.

La descente aux affaires

Fred Pellerin, conteur en chef, est aussi l’un de nos plus grands poètes, jouant avec la langue en virtuose autodidacte, génie des lettres patenté à la Brassens, rafistolant les mots comme Godin et Miron pour broder une verve digne de Ferron et de Fréchette. Derrière ses histoires en apparence extravagantes, il aborde toujours avec profondeur un aspect essentiel de l’expérience humaine. Dans La descente aux affaires, il traite de la question de l’argent et plus particulièrement de celle de l’avarice. Son Toussaint est certes plus attachant que le Séraphin de Grignon, il n’en grignote pas moins chaque jour son capital temporel à compter ses écus, à calculer les bénéfices de la tromperie et à épargner les heures qui ne procurent de joie que si elles sont partagées.

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