Les libraires craquent: essai québécois

Nos fleurs

Dans sa nouvelle collaboration avec Mathilde Cinq-Mars, Anaïs Barbeau-Lavalette reprend une prémisse déjà abordée dans Femme forêt : « Pour aimer la nature, il faut savoir nommer ce qui la compose. » Elle entreprend donc ici de nous présenter les fleurs et les plantes sauvages communes du Québec, du genre de celles qui poussent tout autour de nous sans trop qu’on les voie : du sureau au mélilot, du plantain au thé des bois. On a envie de lire chaque page à voix haute, tellement la poésie de Barbeau-Lavalette est magnifique. Le tout accompagné des illustrations de Cinq-Mars, qui capturent parfaitement l’esprit de chaque texte. Une petite perle.

Têtes de linotte? Innovation et intelligence chez les oiseaux

On peut croire que seuls les ornithologues s’intéresseront au nouveau livre de Louis Lefebvre. Cependant, il serait dommage de vous en priver si vous appréciez la faune et souhaitez mieux la comprendre. D’ailleurs, l’auteur lui-même sait à peine reconnaître les oiseaux alors qu’il est pourtant l’une des sommités sur leur intelligence! Avec son équipe, il a déniché les témoignages de comportements inusités d’oiseaux, rapportés dans différentes revues scientifiques. L’intelligence étant subjective, on parle plutôt ici d’innovation et d’adaptation, prouvant que les têtes de linotte ne sont pas toujours celles que l’on croit. Un texte certes scientifique, mais à la portée de tous, amusant et instructif, agréablement rythmé et surtout pas ennuyant.

Prendre la mort comme elle vient

Voilà un livre bien sympathique pour un sujet qui l’est un peu moins. À 72 ans, François Gravel est bien conscient que la mort est inévitable et, plutôt que de se morfondre, il décide de s’y intéresser à sa façon. Au fil des pages, il cite de dernières phrases célèbres, raconte des anecdotes, souvent morbides, réfléchit au symbolisme de la mort dans la culture populaire, rend hommage aux disparus des dernières années. Que ce soit de la fenêtre de son appartement à Montréal d’où il peut espionner saint Pierre, ou en admirant les couchers de soleil de L’Isle-aux-Grues, il nourrit son livre de réflexions à la fois touchantes et rigolotes. Un livre qu’on lit en souriant avec une petite larme au coin de l’œil.

Une année de détox vestimentaire : Réflexions sur le prêt-à-jeter

Voilà un essai intelligent et accessible sur le monde de la mode signé Valérie Simard. Elle nous présente le résultat de son année sans achats de vêtements et brosse le portrait d’une industrie qui peine à devenir plus écologique et plus éthique. Les statistiques présentées dans ce livre sont choquantes et même si je n’ai jamais vraiment réfléchi aux conséquences de mes choix vestimentaires, cet essai, sans pour autant prendre un ton moralisateur, m’a ouvert les yeux sur la manière de choisir mes habits. Changer la vision que nous avons de nos vêtements ne se fait pas en claquant des doigts, mais ce livre instaurera assurément un changement de mentalité chez ses lecteurs et les poussera à faire des choix plus éclairés.

Pourquoi je n’écris pas : Réflexions sur la culture de la pauvreté

Benoit Jodoin est né dans un milieu où il avait un accès limité à la culture. La priorité étant de travailler fort, trop souvent à petit salaire, pour payer les factures. Prétendre avoir quelque chose à dire ou à écrire est mal vu. La sensibilité nécessaire à l’écriture peut même être ridiculisée. Dans ce contexte, comment a-t-il réussi à accéder aux études supérieures et aux connaissances? Grâce à une grande curiosité et à des objets culturels méprisés par les hautes sphères, tels les vidéoclips et les livres de développement personnel. Les réflexions de l’auteur se concluent par trois pages d’ouvrages cités. Il devrait écrire davantage, tout comme les nombreuses personnes qui ne le font pas, alors que leur prise de parole est importante.

Hors jeu : Chronique culturelle et féministe sur l’industrie du sport professionnel

En 2014, Florence-Agathe Dubé-Moreau apprenait une nouvelle qui allait changer sa vie : son conjoint, Laurent Duvernay-Tardif, venait d’être recruté par les Chiefs de Kansas City. Lancée dans cet univers pensé et géré par et pour les hommes, la jeune historienne de l’art s’est mise à observer et à analyser les dynamiques en cours dans les coulisses de ce sport. Les femmes sont partout dans la NFL, malgré une culture extrêmement sexiste et dévalorisante. Elle pose donc un regard critique et tendre sur le travail invisible des femmes de joueurs, les athlètes à part entière que sont les meneuses de claque, et finalement les entraîneuses, directrices et arbitres qui font office de pionnières encore en 2024. Fascinant, ce livre est plus qu’un essai féministe sur l’industrie du sport professionnel, c’est aussi un plaidoyer pour un milieu représentatif de la complexité du monde.

La Méditerranée et l’Atlantique

La colonisation de l’Amérique a été le sujet de nombreux livres. Par contre, très peu sont ceux qui, comme le fait avec maestria Nicolas Faelli, abordent la question de la colonisation européenne sous l’angle de la connaissance et de l’utilisation des sources littéraires de la Grèce antique dans les écrits des penseurs français et anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. Faelli montre que les Anglais poussèrent la réflexion sur le concept de colonie plus loin que leurs homologues français avec, entre autres, la notion du Commonwealth. Cet écrit captivant révèle également comment au XVIIIe siècle les auteurs grecs anciens comme Thucydide et Platon s’immiscèrent, bien involontairement, dans les affaires politiques du plus grand empire et dans celles de ses treize colonies, bientôt indépendantes. De Mézeray à Jefferson en passant par Hobbes, un parcours unique dans la pensée colonialiste de grands littéraires.

Errances

Errances est à la fois un livre d’art et de poésie où les auteurices illustrent de mystérieuses images. Le tout est précédé d’une savante introduction de l’artiste, expliquant l’histoire de ce langage pictographique propre aux oubliés, aux effacés. Suzanne Cloutier a voulu mettre en avant des signes qui apparaissent sur les murs des villes : ces symboles sont des messages que se laissent entre eux les nomades et itinérants, pour indiquer un endroit dangereux, un voisinage agressif, ou bien, à l’inverse, où ils peuvent espérer trouver un bon accueil, une soupe chaude, un endroit où dormir sans danger. Une humanité des interstices se dessine dans ces signes. C’est beau et émouvant.

Chambres fortes

Onze auteurices écrivent sur leur rapport à l’œuvre et aux thèmes développés dans l’essai Une chambre à soi de Virginia Woolf, dont la version originale est parue en 1929. Près de 100 ans plus tard, force est de constater que tous et toutes n’ont pas accès à un lieu pour écrire et à de l’argent pour pourvoir à leurs besoins physiologiques et psychologiques. Les textes prennent des formes variées, parfois loin des œuvres publiées antérieurement par ces auteurices, allant de l’essai à la poésie, les plus surprenants étant les adresses à Virginia Woolf. Les thèmes de la confiance, du silence et du temps sont récurrents. Impossible de lire ces textes et de ne pas ressentir une irrésistible envie de créer et de posséder un lieu à l’épreuve des éléments.

Au square Gardette

Rober Racine propose la biographie de son amitié avec le compositeur Claude Vivier, assassiné en 1983 par Pascal Dolzan, un homme de 20 ans qu’il avait ramené à son appartement du square Gardette. Claude Vivier, doté d’un patronyme doublement vivant, a influencé le parcours de Rober Racine, bien avant leur première rencontre en personne en 1978. L’auteur se questionne sur les liens entre la créativité et le meurtre, allant jusqu’à écrire qu’une seule lettre différencie les mots création et crémation, ce qui fait frissonner. Il se lance à la recherche du meurtrier, un être insaisissable qui a plus de points en commun avec Claude Vivier qu’on pourrait le croire. Une lecture troublante, documentée, impossible à mettre de côté, qui met en valeur les œuvres de Racine et de Vivier.

Suivez-nous

53,000FansJ'aime
19,520AbonnésSuivre
1,008AbonnésSuivre
12,345AbonnésSuivre

Populaires cette semaine