Patrick Drolet: Lire et devenir meilleur

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«Toute lecture rend l'être humain meilleur», affirme avec une belle ferveur Patrick Drolet, que le grand public connaît comme comédien, mais qui mène aussi depuis quelque temps une carrière d'écrivain prometteuse. D'ailleurs, ce qui unit ces deux pans de son activité créatrice, c'est assurément cet amour des mots manifeste dans tous les projets qu'il entreprend, un amour qui a poussé Drolet à fréquenter dès l'adolescence certaines oeuvres marquantes de la littérature mondiale, comme il le souligne dans cet entretien.

À l’instar de plusieurs artistes qui ont choisi l’écriture comme mode d’expression, il y a eu dans la vie de Patrick Drolet quelques «livres-chocs» dont la lecture a inspiré l’envie d’écrire, notamment ceux de Thomas Bernhard, son auteur fétiche: «J’ai été très impressionné par le tout premier roman de Bernhard, La cave. J’avais avant cela lu plusieurs de ses pièces de théâtre et je me rappelle m’être dit qu’il y avait quelque chose dans son écriture de vraiment cyclique, on répète beaucoup. Ça donne l’impression qu’il veut entrer dans le souvenir, faire résonner les mots, les idées à l’intérieur du corps. Avant cette lecture, j’avais déjà écrit mais ce n’était qu’un hobby. Depuis trois ou quatre ans, c’est devenu une nécessité.»

Entre ses activités de comédien et sa vie familiale accaparante, le trentenaire réussit tout de même à trouver du temps pour cette nécessité aux deux visages, l’écriture et la lecture. Avec un brin ‘amusement, Patrick se remémore ses années de pensionnat, à l’époque où à défaut de faire partie de l’équipe de football, il était au nombre des «rejets», des intellectuels: «La bibliothèque était sur trois étages: le premier, réservé aux étudiants, ne comportait rien qui puisse débaucher un esprit adolescent. Au deuxième et troisième, cependant, on trouvait tout, de Baudelaire au Marquis de Sade, tout le théâtre antique. Et quand le frère chargé de nous surveiller, qui était assez âgé, regardait ailleurs ou fermait l’oeil une fraction de seconde, on grimpait en haut.» Et pour aller lire quoi? «Mes amis et moi prenions tout ce qui nous tombait sous la main, de L’étranger de Camus aux Paradis artificiels de Baudelaire, en passant par le théâtre d’Euripide. On empruntait les livres défendus, on les lisait dans la nuit, puis on essayait de les rapporter en douce, sans se faire prendre.»

Et plutôt que des prescriptions de professeurs ou d’amis, le hasard a guidé le jeune séminariste sur son parcours littéraire, parsemé des oeuvres de grands poètes français, Baudelaire, Rimbaud et quelques-uns de leurs contemporains, mais aussi de celles d’auteurs américains comme Walt Whitman: «Il y a quelque chose d’extrêmement romantique dans la poésie, à plus forte raison pour un jeune homme qui traverse la puberté et se dit: « Ah, c’est comme ça qu’on peut charmer, séduire les filles!  » J’étais déjà très sensible à cette magie, cette beauté, celle d’un être humain qui manie les mots pour faire passer des émotions. À l’adolescence, je ne pouvais pas saisir l’ampleur des poèmes que je lisais, mais des mots me restaient, mon vocabulaire s’enrichissait, c’était très stimulant. Je ne suis plus le grand lecteur de poésie que j’ai été, même s’il y a encore des choses auxquelles je retourne à l’occasion.»

Le goût du voyage, l’idéal de la précision
«Le roman est venu ensuite, avec ce goût du récit, ce goût du voyage. Je retiens des univers de Tchekhov ou de Zola la capacité de ces auteurs de nous décrire pendant des pages la température qu’il fait ou les vêtements que portent les personnages», poursuit-il. De même, Drolet se rappelle avec émotion le choc que lui avait infligé la lecture de la trilogie d’Agota Kristof: «La violence de ces livres m’avait frappé, surtout à partir du deuxième roman. Tu découvres tout d’un coup jusqu’où la puissance des mots peut aller. Après, comme bien d’autres jeunes artistes, je suppose, j’ai essayé de me retrouver dans les mots des autres. J’ai lu un roman fantastique de James Joyce, Portrait de l’artiste en jeune homme, qui m’a ébranlé.»

Quand on l’interroge sur ce qu’il espère d’un roman, d’une histoire en tant que lecteur, l’auteur de J’ai eu peur d’un quartier autrefois n’hésite pas à répondre: «Je m’attends à être changé. Je pars d’un point A vers un point Z; et sans que ma vie soit transformée du tout au tout, je m’attends surtout à me faire prendre. J’ai envie aussi qu’au fil de la lecture on me mette des bâtons dans les roues, pas nécessairement que la littérature soit lourde et sombre. Je crois tout simplement qu’il y a toujours un danger que le traintrain rende un récit trop confortable, alors que quand le rythme change, quand on nous bouscule, ça me parle beaucoup. Encore que c’est facile de bousculer pour bousculer, de sombrer dans la violence gratuite.»

Sans se faire prier, Drolet enchaîne volontiers avec l’énumération de quelques favoris au rayon de la littérature québécoise: «J’ai eu la chance de découvrir récemment Jean- François Beauchemin, que j’ai côtoyé au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean l’automne passé. J’ai lu tout ce qu’il a écrit, ou presque, dans un court laps de temps. J’ai aussi aimé L’anglais n’est pas une langue magique de Jacques Poulin. Et puis, j’ai bien aimé des jeunes auteurs d’ici comme Alexandre Laferrière (Pour une croûte) et aussi, même si j’ai l’impression qu’il écrit moins, hélas, Maxime-Olivier Moutier (Trois modes de conservation des viandes). J’ai l’impression que je suis vraiment attiré par des auteurs qui ont un regard particulier et une écriture très précise, peut-être parce que je ne suis pas précis. Je vois leur écriture comme un idéal à atteindre.»

Bibliographie :
PORTRAIT DE, ARTISTE EN JEUNE HOMME, James Joyce, Folio, 480 p. | 15,95$
CETTE ANNÉE S’ENVOLE MA JEUNESSE, Jean-François Beauchemin, Québec Amérique, 122 p. | 16,95$
VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT, Louis-Ferdinand, Céline, Folio, 614 p. | 19,95$
L’ANGLAIS N’EST PAS UNE LANGUE MAGIQUE, Jacques Poulin, Leméac/Actes Sud, 158 p. | 18,95$
POUR UNE CROÛTE, Alexandre Laferrière, Triptyque, 120 p. | 19$
TROIS MODES DE CONSERVATION DES VIANDES, Maxime-Olivier, Moutier, Marchand de feuilles, 262 p. | 21,95$

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