Michel Rivard: Une petite lumière de plus…

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Tel le Don Quichotte dont il chantait jadis les exploits, Michel Rivard aura passé du temps en croisade ces dernières semaines avec sa participation au vidéoclip satirique intitulé La culture en péril, qui caricaturait la politique culturelle du gouvernement Harper. Accaparé par la reprise de son spectacle symphonique créé aux Francofolies de Montréal en juillet avec le concours de l'OSM, l'auteur de la célébrissime Complainte du phoque en Alaska a tout de même pris un moment pour nous parler de son autre passion: la lecture.

«Chez nous, les livres avaient pas mal d’importance», se rappelle Michel Rivard avec émotion. Nous n’avions pas une bibliothèque très garnie à la maison, mais mes parents m’achetaient de beaux livres. Ma mère était maniaque de Simenon, elle lisait les Maigret à mesure qu’ils paraissaient. Mon père lisait beaucoup d’ouvrages sur le théâtre. J’ai eu très tôt la piqûre, pas juste pour la lecture, mais aussi pour l’objet livre, qui a toujours occupé une grande place dans ma vie.» Et Rivard d’ajouter en rigolant:
«Même que maintenant, il prend trop de place!»

Depuis près de quarante ans, l’ex-membre de Beau Dommage n’a guère quitté l’avant-scène de notre vie
culturelle collective. Auteur-compositeur-interprète et comédien à ses heures, «Mister Damages» (ainsi que le rebaptisent les conservateurs chargés d’évaluer les initiatives culturelles dans le court-métrage de fiction La culture en péril) se remémore volontiers le premier émoi littéraire qui a, peut-être, influencé sa carrière: «L’opéra de la lune de Jacques Prévert, un livre illustré que des amis de mes parents m’avaient rapporté de Paris à sa sortie, et que j’ai retrouvé l’an dernier, raconte Michel Rivard. En fait, je n’ose plus l’ouvrir parce que la reliure ne tient plus, mais comme je voulais le faire lire à mes filles, j’ai acheté l’intégrale Prévert dans La Pléiade, qui renferme le facsimilé de l’édition originale.»

S’il évoque volontiers des valeurs sûres, Rivard s’interdit de définir le concept autrement que subjectivement: «Pour moi, c’est un livre qui, d’une manière quelconque, va changer ma vie. Évidemment, comme je lis au moins un livre par semaine, je ne veux pas que ma vie change chaque semaine. Peu importe qu’il s’agisse d’un divertissement ou d’un ouvrage de réflexion, j’aime que la lecture affecte ma vision des choses. J’aime l’idée qu’il m’en reste plus que des noms de personnages et les grandes lignes d’une histoire, qu’il m’en reste une petite lumière de plus sur la vie.»

À ses yeux, l’exercice de jouer au «Libraire d’un jour» s’apparente à celui de garnir la proverbiale bibliothèque qu’on emporterait sur une île déserte. «J’y mettrais les romans de Gary sous le pseudonyme d’Émile Ajar: La vie devant soi, L’angoisse du roi Salomon, Gros-Câlin. J’y reviens souvent parce qu’ils ont bouleversé ma perception du langage et des relations humaines. C’est pareil pour Conte d’hiver de Mark Helprin, un autre roman fétiche, qui se passe dans un New York mythique au fil du siècle dernier. Je le placerais dans la veine du réalisme magique de Gabriel García Márquez; c’est un livre très ancré dans la réalité historique de New York et pourtant complètement farfelu.»

Certes, impossible de laisser passer cette allusion au célèbre romancier colombien sans interroger Rivard sur cette œuvre phare du XXe siècle. «Je n’ai pas tout lu García Márquez, déclare-t-il. Seulement Cent ans de solitude, puis L’automne du patriarche et L’amour au temps du choléra. Je l’ai découvert à un moment où je tournais en Europe, célibataire et sans responsabilités: mes années de bohême, quoi! Cent ans de solitude est resté lié à cette époque où je découvrais un autre monde, d’autres façons de vivre.» Sans verser dans l’exégèse du réalisme magique latino-américain, notre libraire d’un jour trouve des échos de cette esthétique chez un romancier populaire bien de chez nous: «Je classerais sans hésiter les Chroniques du Plateau-Mont-Royal de Michel Tremblay sur le même rayon. Cet univers est proche du mien, mais il y a chez Tremblay cette dimension extraordinaire et fantastique qui m’attire.»

Parmi les autres romanciers d’ici prisés par Michel Rivard, il y a Jacques Poulin, dont il cite Volkswagen blues, Les grandes marées et La traduction est une histoire d’amour: «J’apprécie beaucoup l’écriture de Poulin, sa pureté, sa sobriété: il a du style sans donner l’impression d’essayer d’en avoir, et c’est d’autant plus troublant.» Mais, ces jours-ci, il lit le plus récent bouquin de Paul Auster, Man in the Dark, encore inédit dans la langue de Molière: «C’est un écrivain que j’ai connu en français parce que j’avais été séduit par la beauté des livres édités chez Actes Sud. Quand je l’ai lu dans sa langue d’origine, j’ai compris pourquoi je l’aimais tant en français. Ça tient à ce style épuré, cette clarté et cette efficacité de l’écriture qui sert tellement bien son propos.»

Au fil de notre conversation, Rivard remarque lui-même que la plupart des livres qu’il a nommés sont des romans: «C’est vrai que je ne lis pas beaucoup d’ouvrages de théorie ou de réflexion, pas beaucoup de poésie non plus, à part Patrice Desbiens, que j’adore. Il y a des philosophes que j’aime; j’ai relu Alain l’an dernier et j’apprécie André Comte-Sponville, qui me touche toujours par son humanisme.» Ce bibliophage incurable ne croit pas cependant qu’une œuvre, qu’un auteur ait exercé une influence majeure sur sa propre écriture: «Quand j’ai commencé à écrire des chansons, j’étais plongé dans les classiques de la littérature américaine: Steinbeck, Dos Passos que je vénère, surtout pour sa trilogie U.S.A. (42e parallèle, L’an du premier siècle, La grosse galette), etc. Et je m’aperçois que je m’identifiais déjà à cette manière américaine de s’ancrer dans le territoire, tout en restant très attaché à mes racines françaises, en littérature comme en chanson. Aussi, je crois que les romans américains ont subtilement, mais profondément affecté ma manière d’écrire.»

Bibliographie :
L’opéra de la lune, Jacques Prévert et Jacqueline Duhême (ill.), Gallimard Jeunesse, 32 p., 22,50$
Œuvres complètes d’Émile Ajar, Romain Gary, Mercure de France, coll. Mille Pages, 1024 p., 28,95$
Conte d’hiver, Mark Helprin, Stock, coll. Nouveau cabinet cosmopolite, 620 p., 52,95$
Cent ans de solitude (éd. spéciale prix Nobel), Gabriel García Márquez, Points, 466 p., 19,95$
Les chroniques du Plateau-Mont-Royal, Michel Tremblay, Leméac/Actes Sud, coll. Thesaurus, 1084 p., 45,95$
Volkswagen blues, Jacques Poulin, Babel, 336 p., 13,95
Sudbury: Poèmes 1979-1985, Patrice Desbiens, Prise de parole, 64 p., 14,95$
Propos sur le bonheur, Alain, Folio/Essais, 220 p., 14,95$
Petit traité des grandes vertus, André Comte-Sponville, Points/Essais, 448 p., 15,95$
Les raisins de la colère, John Steinbeck, Folio, 640 p., 19,95$
U.S.A., John Dos Passos, Gallimard, coll. Quarto, 1344 p., 60$

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