Klô Pelgag : Le beau délire

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    Klô Pelgag : Le beau délire
    L’artiste Klô Pelgag, de son vrai nom Chloé Pelletier-Gagnon, n’a de cesse de nous dérouter. Comète en totale liberté, elle n’hésite pas à user de poésie et de métaphores pour créer des chansons qui évoquent un foisonnement d’images et nous plongent dans un univers dont seule Mlle Pelgag a le secret.

    Nous avions donc très envie de connaître les préférences littéraires de cette jeune femme sans restriction. Il n’est pas si étonnant de remarquer parmi les auteurs phares de Pelgag la présence d’écrivains qui ont sans cesse repoussé les limites du verbe et de l’imagination. « Je crois que j’ai véritablement commencé à m’intéresser à la lecture à l’adolescence en prenant contact avec des livres un peu psychédéliques. La poésie de Claude Gauvreau, les recueils de Raôul Duguay, les romans de Boris Vian, d’Amélie Nothomb et de Réjean Ducharme, les pièces d’Ionesco. » Qui se ressemble s’assemble, dit le proverbe.

    Mais c’est d’abord la nature entêtée d’Anne Shirley, l’intrépide héroïne de Lucy Maud Montgomery, qui a charmé notre invitée lorsqu’elle était enfant. Sa mère lui rapportait fréquemment des livres de la bibliothèque, ce qui constituait toujours un « grand moment » pour la grande petite lectrice. L’inventivité de la toute jeune Klô Pelgag l’amène à concevoir son propre dictionnaire des rimes, outil pratique pour une carrière croirait-on pressentie d’auteure-compositrice-interprète. Un peu partout, elle laisse quelques stigmates de son souffle créateur, comme les poèmes qu’elle écrit dans les livres de recettes de son père. « Quand j’étais enfant, je voulais devenir poète, brigadière scolaire et clown », dira celle qui n’en est pas à une fantaisie près.

    La vie entière
    Absolument tout ce qui nous entoure est susceptible de nous inspirer, selon Klô Pelgag. Ne reste qu’à ouvrir ses sens et à jouer avec les éléments. « La musique, la création naît de l’acte de vivre, actif ou passif. » Les livres ne font pas exception à ce credo. Elle dit avoir toujours été attirée par l’œuvre de Claude Gauvreau, le roman Beauté baroque l’ayant particulièrement marquée parce qu’il est très personnel et relate le grand amour que l’auteur avait pour sa muse. Comme ce dernier qui est allé jusqu’à inventer sa propre langue, Klô Pelgag transcende la forme du réalisme pour parvenir dans ses chansons à un langage qui invoque les anges.

    Un autre bouquin qui se rapporte à la période automatiste au Québec et qui imprègne certainement la chanteuse est La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette. « J’ai vraiment souhaité que ce livre ne se termine jamais », déclare-t-elle. « Aussi, je suis une grande fan de l’intelligence de plume de Nelly Arcan, particulièrement Burqa de chair qui m’a fait mal tellement sa façon d’écrire est précise, douce, violente, belle… » Et même si elle croit que la meilleure façon de parler avec un auteur, c’est de lire son œuvre, elle aurait bien aimé que l’écrivaine soit encore là, disant que « le simple fait de la croiser me remplirait de bonheur ». Dans un tout autre registre, mais qui n’est pas dépourvu du même élan de virtuosité, l’humour corrosif du roman Karoo du Serbo-Américain Steve Tesich lui a beaucoup plu.

    Ce qui intéresse plus que tout Klô Pelgag, c’est d’être constamment dans la découverte. Elle veut plonger tête première dans une œuvre qui semble l’appeler au détour d’une rangée d’une librairie – elle aime spécialement visiter celles du Port de tête à Montréal et de Tropismes à Bruxelles – et « aime encore mieux lorsqu’un ami m’en prête un avec la promesse qu’il s’agit de quelque chose de formidable ». Par contre, si elle se met à réfléchir au fait qu’elle n’aura pas assez d’une vie pour tout voir, tout lire, elle perd le nord. « J’ai toujours l’impression d’oublier les livres que j’ai lus et lorsque j’imagine la quantité de ceux que je n’ai pas lus versus ceux que j’oublie, j’ai le vertige et j’angoisse, alors je tente de ne pas trop y penser. » Au final, mieux vaut laisser l’instant se déposer et s’en éprendre absolument sans penser à ce qui le précède et le suit. « J’aime retrouver chez un auteur ou une auteure une formulation qui atteint avec justesse une idée qui germait à l’intérieur de moi, mais sur laquelle je ne m’étais jamais attardée par le langage. » En précisant et approfondissant cette pensée, les possibilités se multiplient, le regard s’émancipe. « Ainsi, je crois que l’acte de lire nous amène à développer l’empathie, la critique, la contemplation, la réflexion et toutes ces choses qui nous permettent de construire l’humain que nous sommes déjà et qui ne demande qu’à grandir », dit si justement Klô Pelgag.

    Un peu plus de philo et de poésie
    Si les vertus de la littérature sont si nombreuses, comment semer le goût de lire à travers toutes les propositions, virtuelles et autres, qui accaparent de plus en plus tôt les jeunes? « Je mettrais probablement un peu plus de philo et pas que de la fiction parce que c’est hyper intéressant, les points de vue », suggère notre libraire. Car contrairement à la croyance populaire, les jeunes aiment s’investir, débattre, pour peu qu’on leur laisse l’espace pour le faire et l’espoir qu’il est possible de changer les choses. Et qu’on leur montre l’exemple : « Des biographies pour qu’ils puissent s’identifier à des modèles de femmes et d’hommes aux vies passionnantes. » Et pour faire s’élever les aspirations, quelques soupçons de poésie ne feraient pas de tort, puisque les poètes sont souvent les meilleurs observateurs des sociétés et de ce qu’on appelle, faute de pouvoir mieux la définir, l’âme humaine. « Je mettrais des auteurs de poésie un peu punk comme Denis Vanier afin que les élèves cessent de croire que la poésie est ringarde », parle encore Klô Pelgag. « […] le ciel est un linge sale/pour essuyer cette terre polluée/où nous faisions des châteaux de sable/avec nos mains de bijoux handicapés », écrivait le poète.

    Elle écrit déjà des chansons, il est légitime de lui demander si elle pense écrire un livre un de ces jours. « C’est un peu un rêve que je caresse, mais j’ai tellement de respect pour les auteur.es que je ne m’y risquerai pas avant d’être certaine d’être pertinente et d’avoir assez entraîné le muscle qui relie l’intérieur vers l’extérieur », avance la jeune femme. Elle se nourrit pour l’instant d’images, de sons et de mots.

    Ses plus récentes trouvailles sont David Goudreault, Vickie Gendreau, François Gilbert, etc. Dans l’ordre : truculence, paroxysme et transgression. De quoi continuer à inspirer l’artiste pour quelques jours.

    Ce qui garnit sa table à café ces temps-ci est Personne ne gagne de Jack Black, un auteur-cambrioleur du XXe siècle devenu romancier après s’être évadé de prison. Et pourquoi pas? Également, elle relit la bande dessinée Whitehorse de Samuel Cantin dont le deuxième tome est sorti en novembre dernier, une histoire de documensonge sur les caribous. Après tout, le titre de cet article s’intitule « Le beau délire », non?

    Photo : © LePetitRusse.

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