Certainement éculée, l’expression « enfant prodige du cinéma québécois » n’en demeure pas moins tout à fait vraie lorsque l’on évoque le nom de Karine Vanasse. La jeune femme nous a été révélée dans le film Emporte-moi de la réalisatrice Léa Pool alors qu’elle n’avait que 15 ans. Dix-huit ans plus tard, alors que les beaux rôles se sont succédé tant au Québec qu’aux États-Unis, nous la retrouvons au cinéma dans Et au pire, on se mariera (adaptation du roman de Sophie Bienvenu) aux côtés de la même cinéaste des débuts, interprétant cette fois-ci le rôle de la mère.

Le portrait de lectrice de Karine Vanasse est différent selon l’époque de laquelle on parle. Si l’actrice a connu des périodes plutôt chastes en la matière, elle s’est maintenant remise à la pratique littéraire de belle façon, s’accordant pour dire que le temps consacré à la lecture en est un très précieux. Pendant un bon moment, lire était devenu un effort et il lui était difficile de se laisser absorber pendant quelques heures dans l’atmosphère particulière des livres. Mais le goût de la lecture revient toujours. « Des fois, ça ne prend pas grand-chose, ça prend un bon livre dans lequel on plonge et duquel on n’est pas capable de sortir. » Le roman Nord Alice de Marc Séguin est un de ceux qui l’a propulsée à nouveau dans un rythme de lecture plus soutenu. Elle s’est ensuite offert la lecture des œuvres précédentes de l’auteur. « Ce qui m’a aussi beaucoup aidé à reprendre tranquillement une routine de lecture dans les dernières années, c’est les filles du Fil rouge. » L’offre de cette entreprise virtuelle est claire : favoriser le bien-être par les bouquins. Une fois par mois, elle fait l’envoi d’une boîte-lecture à ses abonnés où s’y trouve un livre, mais également un produit artisanal québécois, une boisson chaude, un mini magazine avec des articles concernant votre lecture, etc. « Je trouve qu’elles ont bien compris que la lecture, c’est un temps qu’on s’accorde pour soi. Quand je reçois ma boîte, je ne l’ouvre pas tant que je ne suis pas sûre de pouvoir tout de suite après m’asseoir et commencer la lecture. » Cette formule lui a permis de découvrir le roman Déterrer les os de Fanie Demeule, un bref mais percutant roman sur l’anorexie vécue de l’intérieur. Karine Vanasse trouve aussi des suggestions à travers l’application Instagram (les poètesNayyirah Waheed et Beau Taplin). Elle y rencontre une communauté de lecteurs et d’auteurs qui favorise les échanges et les discussions.

Le voyage au Japon
Ce qui surgit spontanément parmi les titres marquants de l’itinéraire littéraire de Vanasse est À propos de courage de l’Américain Tim O’Brien, un livre issu de la propre expérience de l’auteur de la guerre du Vietnam. « C’est un récit de guerre qui parle du poids que l’on peut porter quand on ressort de tout ça. » Même si c’est un thème vers lequel elle n’est pas nécessairement portée, la façon dont l’écriture est menée la convainc et la marque. Il y a parfois même des livres qui la rendent mal à l’aise pendant la lecture, mais dont l’impact est pérenne. « J’avais décidé que je partais au Japon pour lire! » Elle avait mis, entre autres, dans ses bagages Les maisons de Fanny Britt et aussi le roman Saufs de Fannie Loiselle, livre qui l’a complètement absorbée. L’histoire se passe à Brossard, alors que la narratrice se trouve à un carrefour de son existence, hésitante quant à son rapport avec son quotidien dans la banlieue. De son côté, son frère Vincent a clairement rejeté ce mode de vie. L’univers, qui se pare en certaines occasions d’accents surréalistes, a déstabilisé notre lectrice. Il faut dire que lire une histoire qui se passe à Brossard tandis qu’on est au Japon et, qui plus est, affectée par le décalage horaire, facilite le dépaysement. « On a tout de suite tendance à dire “j’ai aimé tel livre”  ou “je n’ai pas aimé tel livre”, mais il y a aussi l’effet qui reste après la lecture, les traces qu’elle a laissées. » Même phénomène pour le livre La bête à sa mère de David Goudreault, qui donne au lecteur un sentiment ambigu, entre l’attirance et la répulsion. « Je lisais ça et je me disais mon Dieu, est-ce que j’ai vraiment envie de lire ça? Mais je trouve ça intéressant aussi de se laisser bousculer. Quand un auteur réussit à m’amener dans un endroit où je n’avais pas vraiment envie d’aller, mais qui crée un univers à l’intérieur de moi qui n’existait pas, je trouve ça assez fascinant. » Parmi d’autres livres beaucoup aimés, elle nomme Hiroshimoi de Véronique Grenier, un court roman qui porte le ton de la nature explosive des amours.

Vers la fin de l’adolescence, elle découvre les mots de Monique Proulx. « Le sexe des étoiles, c’est pas mal parmi les premiers livres dans lequel tout d’un coup, il y avait des passages que j’avais envie de surligner, il y avait des mots que j’avais envie de garder collés ensemble. » Une autre Montréalaise, cette fois-ci anglophone, qui imprègne l’esprit de Karine Vanasse, c’est Heather O’Neill avec La ballade de Baby, un premier roman fort remarqué qui raconte l’existence d’une enfant qui erre dans les rues de la ville et qui utilise son imaginaire comme moyen d’évasion. En fait, Karine Vanasse explore tous les genres, évoquant sa lecture de l’essai Sapiens : Une brève histoire de l’humanité. « Je posais le livre à chaque trois pages, complètement émerveillée de là où ça m’amenait. Je suivais l’auteur dans ses réflexions à lui et ça m’amenait dans mes propres réflexions. »

Les quelques mots de la poésie
Le monde en fragments de la poésie n’en est pas moins entier et consistant pour notre invitée. « J’arrive d’aller voir des amis à Caraquet au Nouveau-Brunswick et on a été visiter une librairie en prenant le temps de feuilleter plusieurs livres. La libraire m’a conseillé la lecture d’Herménégilde Chiasson en me disant que ça valait vraiment la peine de découvrir son travail. J’ai acheté Solstices et, effectivement, j’ai l’impression que je vais vouloir lire plusieurs œuvres de cet auteur. » La jeune femme n’en est pas à ses premières armes question poésie. Dernièrement, elle a commandé plusieurs exemplaires du recueil Lowly d’Alan Felsenthal et a été impressionnée par la démarche de l’auteur entendu lors de l’écoute d’un podcast. « Le fait de vouloir écrire de la poésie, mais pas pour ajouter de la poésie de plus, pour essayer d’écrire quelque chose qui va résonner avec l’état actuel du monde. » Elle ajoute que la poésie permet en quelques mots de partir avec une nourriture substantielle, même quand on n’a pas beaucoup de temps. Elle se rappelle de Lettres à un jeune poète qu’elle a trouvé en fouillant dans la bibliothèque de sa mère à l’adolescence et qui l’a longtemps suivie. Et elle s’est récemment fait offrir le recueil L’année de ma disparition de Carole David, qu’elle se promet d’ouvrir d’ici peu. Sans contredit, la lecture semble bel et bien réapparue dans la vie de Karine Vanasse, pour son plus grand bonheur.

Bande-annonce du film, tiré du roman de Sophie Bienvenu Et au pire, on se mariera, publié à La Mèche. 

Photo de Karine Vanasse en vignette : © Julie Artacho

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