Janine Sutto : Toute une vie à lire

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    Par Isabelle Beaulieu


    Nul doute que si la petite Janine Sutto n’était partie de la France à l’âge de 9 ans pour s’établir avec sa famille au Québec, son destin n’aurait pas été le même… et le nôtre non plus. Celle qui joua avec splendeur et entièreté les plus grands rôles de notre théâtre et de notre petit écran marque profondément l’histoire culturelle du Québec. Mais si elle endosse tous les rôles, elle fait montre d’une grande simplicité qui témoigne d’une personnalité généreuse. C’est avec une voix enthousiaste et vibrante que Madame Sutto mena de joie ferme cet entretien téléphonique, introduit ainsi : « J’ai commencé à lire à l’âge de 7 ans et j’en ai maintenant 93, vous vous imaginez! » Bref, voici toute une vie à lire.

    « J’ai tellement lu dans ma vie, c’est hallucinant! J’ai une pièce entière, jusqu’au plafond, qui est pleine de livres! » Il n’y a pas de doute, nous sommes tombés sur la bonne personne parce qu’en matière de livres, Madame Sutto en connaît un rayon! « Je dois lire un livre par semaine. J’ai mes lectures faciles, j’ai mes lectures historiques et j’adore les biographies. C’est vraiment ma passion », ajoute Madame Sutto, expliquant qu’elle apprécie que ce genre permette une vue d’ensemble sur toute une époque et qu’on y croise plusieurs personnes. Elle cite De Gaulle mon père, écrit par Philippe De Gaulle, qu’elle peut relire en le trouvant encore captivant, ainsi qu’une biographie sur Joseph Kessel, dont la vie de journaliste et de romancier l’a fascinée.

    Sans transition, elle enchaîne, comme pressée de ne pas avoir le temps de tout dire : « J’ai aussi mes périodes de policiers ». Ainsi, elle nomme Henning Mankell, dont elle a lu tous les polars. « Et j’ai lu dernièrement Le dernier Lapon [d’Olivier Truc], qui se déroule en Laponie, vous savez, ce pays terrible où il y a quarante jours de nuit, où la vie est tellement dure. » En fait, elle voue une grande admiration aux bons auteurs de séries noires en imaginant tout le travail de recherche qui se cache derrière. « Nous, on a notre Chrystine Brouillet qui écrit bien », dit-elle en précisant avoir beaucoup aimé le dernier de l’auteure québécoise.

    Question de souffle, de style
    Puisque les titres se bousculent au portillon, elle poursuit sans plus attendre : « J’ai adoré le livre de Claude Jasmin, Anita, une fille numérotée! Je trouve ça tellement bon! Il y a de ces styles, parfois. J’aime les auteurs avec des phrases courtes, beaucoup de verbes. Je ne serais pas très bonne pour À la recherche du temps perdu! » Et puis, au Québec, a-t-elle d’autres chouchous? « Ah! Ben oui! Naturellement! Je suis une fan du livre annuel de Michel Tremblay. Il a un beau style, Michel, c’est court, il ne se perd pas dans trente-six détails. » Parlant de Tremblay, on ne peut passer à côté de la dramaturgie. « Cette année, il y a eu cette petite pièce qui est, à mon avis, une grande pièce, à La Licorne : Tu te souviendras de moi de François Archambault. Leméac l’a éditée. C’est remarquable. Je l’ai à côté de moi. Je la relis beaucoup. C’est drôle, c’est émouvant. Formidable ça! », explique celle qui est également fervente de l’œuvre de Michel Marc Bouchard.

    Comme elle était de la création des Belles-Sœurs en 1968, qui, à l’époque, avait suscité la controverse, on se questionne sur son opinion par rapport au texte lorsqu’elle en a pris connaissance pour la première fois. « Je ne les connaissais pas du tout, ces deux-là, Michel Tremblay et André Brassard. Ils m’ont envoyé un texte comme ils en ont envoyé à beaucoup de comédiennes. Mais moi, je dois dire que je les ai appelés tout de suite. J’ai trouvé que, dans cette pièce qui, d’abord, ne me choquait pas du tout, il y avait un souffle. Et j’ai eu raison : il ne faut pas oublier qu’on a joué les Belles-Sœurs sept semaines à Paris [C’était en 2012, où Madame Sutto a repris son rôle d’Olivine Dubuc]. Et ça, c’était étonnant parce que les Français se levaient, ils applaudissaient, ils nous parlaient, c’était hallucinant. À un moment donné, je me disais : “mais qu’est-ce qu’ils disent?” Ils nous disaient : “Encore, encore!” Écoutez, le dernier soir ils vendaient les marches d’escalier! »

    La passion de l’histoire
    Boulimique de livres, Madame Sutto s’emballe maintenant pour les romans historiques. « J’adore l’histoire. J’avais la grande passion que mon père m’avait passée de Napoléon. Alors ça, vous ne pouvez pas me coller sur Napoléon! » Puis, elle parle avec bonheur de La Panthère de Stéphanie des Horts. « C’est l’histoire de l’empire de Cartier, vous savez, le joailler. Ça, c’est passionnant! Alors là, on côtoie tout le monde : Chanel, Cocteau, Hemingway… »

    Lorsqu’on lui demande si elle possède un auteur préféré, d’emblée, Madame Sutto élude la question, expliquant qu’elle en a trop et refusant ainsi de n’en choisir qu’un seul. Elle avoue cependant être fan de Françoise Giroud, dont elle a tout lu : « Je la connais, sa biographie par Laure Adler. Très, très bon, même si elle a des côtés terribles. C’est parce qu’elle avait un grand amour et puis… » Il faut lire. Il y a encore ce livre, Le grand voyage de la vie, les enseignements d’un père à son fils, écrit par un journaliste italien, Tiziano Terzani, « un spécialiste de la vie ». Presque un livre de chevet, qu’elle relit très souvent.

    Mais il y a aussi Profanes, de Jeanne Benameur, « un livre que je vous recommande »; Les péchés de nos pères de l’Américain Lewis Shiner qui traite du racisme; le Québécois Jacques Poulin qui met souvent des libraires dans ses livres… Mais où prend-elle toutes ces idées de lectures? Entre autres, elle trouve l’inspiration dans la chronique de Danielle Laurin du Devoir et elle adore fréquenter les librairies. « J’habite Côte-des-Neiges. Il y a Renaud-Bray et en face il y a Olivieri. Je les trouve tellement courageux d’être en face! On est très bien là, ils nous font venir tout ce qu’on veut. On a un dossier et, à un moment donné, on a un livre gratuit, bon, parfait! » Elle prend donc plaisir à fureter dans les allées, parfois « juste pour voir ce qui vient de sortir. Des fois, il n’y a rien qui me tente; d’autres fois, il y en a plusieurs, alors ça, c’est fatal! »

    Crédit photo : © Julien Faugère/TVA Publications

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