Édith Cochrane fait partie de notre télévision québécoise depuis une vingtaine d’années, ayant tenu des rôles dans les séries Les Invincibles, Unité 9, Kaboum et de nombreuses autres. Depuis 2014, on a pu savourer ses réparties pleines d’esprit à l’émission Les enfants de la télé qu’elle coanimait avec André Robitaille. Elle participe parallèlement au projet documentaire C’est plus qu’un jardin où on la voit avec sa famille prendre part à un mode de vie plus écologique. Ce printemps, c’est en tant qu’autrice que nous la retrouvons avec Derrière mon fauteuil (La Bagnole), un album jeunesse illustré par la comédienne Isabelle Brouillette. Entre tout ça, elle ne néglige pas la lecture — lui attribuant l’épithète « essentielle » — et trouve toujours un moment pour s’y arrêter.

Selon notre invitée, les livres sont la promesse d’un temps que l’on se donne, une grande rentrée d’air qui lui permet de laisser de côté ses obligations afin de se connecter à une source régénératrice et inépuisable. Parmi ses plus lointains souvenirs figurent Le dernier des raisins de Raymond Plante et Les filles de Caleb d’Arlette Cousture. Marie-Lune et Marie-Tempête de Dominique Demers lui ont fait verser bien des larmes. « La lecture de 1984 de George Orwell m’a habitée longtemps, se remémore-t-elle. Je m’étais dit que ça ne se pouvait pas un monde aussi gris et désincarné, et maintenant, je trouve que c’est une vision pas si lointaine de ce qui nous attend. » La souveraine liberté que Daniel Pennac, dans son essai Comme un roman, reconnaît aux adeptes des livres a également su plaire à Édith Cochrane.

Penser, apprendre, rêver
Si elle devait elle-même instaurer une liste des droits imprescriptibles des lecteurs et des lectrices, nul doute que le droit à l’enthousiasme en ferait partie. Par ailleurs, lorsqu’un bouquin l’anime particulièrement, elle le donne et propage son engouement. N’ayant plus sous les yeux les titres aimés, notre invitée s’oblige à un exercice de mémoire. Elle se rappelle avec émotion Je voudrais qu’on m’efface d’Anaïs Barbeau-Lavalette, un roman où trois jeunes adolescents confrontés à la pauvreté, à la violence et à l’abandon tentent de survivre. De même, elle n’a que de bons commentaires pour Les villes de papier de la Québécoise Dominique Fortier dans lequel l’autrice s’inspire de la vie et de l’œuvre de la poète américaine Emily Dickinson, âme sensitive, forte et fragile, qui écrivit et vécut dans une quasi complète solitude. Fortier a d’ailleurs remporté le prix Renaudot pour ce livre à mi-chemin entre le récit et l’essai.

Édith Cochrane a souvent visité Amélie Nothomb. Chaque année au moment de la rentrée littéraire automnale, celle-ci fait paraître un nouveau titre, le plus récent en lice étant Premier sang, un roman aussi honoré d’un Renaudot et que l’autrice consacre à son père. « J’aime son regard sur la vie, son hyperlucidité, son audace », explique la comédienne à propos de Nothomb. Elle aime retrouver d’un livre à l’autre le style d’un écrivain ou d’une écrivaine, son caractère, ses univers. Ainsi, elle se laisse volontiers absorber par l’ambiance énigmatique des œuvres du Japonais Haruki Murakami, par l’œil aiguisé de Biz, par la voix touchante de Nancy Huston.

Parfois, elle aime les livres pour leur côté pratique, comme c’est le cas du Jardin vivrier de Marie Thévard, éclairant pour ses préceptes sur la permaculture et l’autosuffisance. D’autres fois, c’est à toute une ligne éditoriale qu’elle s’intéresse, comme celle d’Atelier 10 qui publie la revue Nouveau Projet et de courts essais sur des sujets d’actualité. Trône justement sur le bureau de notre lectrice Faire corps de Véronique Côté et Martine B. Côté, une critique de la prostitution, de son organisation et de sa mise à mal du corps et de l’existence des femmes. L’animatrice cite, encore dans la collection « Documents », Les tranchées de Fanny Britt, un livre composé de textes signés par l’autrice — dont Édith Cochrane ne rate jamais une nouvelle parution — et par différentes femmes autour du sujet de la maternité. Les luttes fécondes de Catherine Dorion, un plaidoyer en faveur du démantèlement des structures régissant nos sociétés et nos vies personnelles, l’a pareillement conquise. Notre invitée nourrit avec une grande curiosité son appétit pour les lectures féministes avec les BD de Liv Strömquist. La bédéiste relève brillamment la notion persistante de « deux poids, deux mesures » entre les hommes et les femmes. Même chose avec les propos engagés et la manière corrosive de Virginie Despentes; dans King Kong théorie, elle remet en question les diktats de l’idéal féminin.

Naissance d’une autrice
Ce printemps, notre invitée s’aventure elle-même dans le milieu littéraire avec l’écriture et la publication d’un premier album jeunesse. Derrière mon fauteuil met en scène avec un imaginaire foisonnant et beaucoup d’humour, « sans jugement ni censure », les péripéties vécues par des objets aboutis derrière un meuble. « Je n’avais pas planifié écrire un livre pour enfants, c’est quelque chose qui s’est passé de façon très naturelle et spontanée, explique la comédienne. Il faut dire d’abord que je baigne dans la littérature jeunesse depuis longtemps, mon plus vieux a 14 ans. » Deux plus jeunes le suivent, la maison est donc remplie de titres jeunesse, ceux de Simon Boulerice et de Marianne Dubuc étant parmi les préférés de notre lectrice. « J’ai dessiné mes idées vite vite un peu tout croche sur le coin du comptoir en brassant le souper et avec les trois enfants autour, continue-t-elle. J’ai pris des photos et les ai envoyées à mon amie Isabelle Brouillette qui dessine bien, mais qui n’avait jamais été officiellement illustratrice, en lui disant de mettre ça au propre et qu’on allait s’en reparler. » Puis la pandémie est arrivée et leur a donné du temps pour mettre en branle le projet. Le métier de comédienne est immatériel et d’avoir aujourd’hui quelque chose de concret entre les mains lui fait très plaisir. Tellement que les deux complices sont en train de créer le deuxième!

Les livres font partie intégrante de la vie d’Édith Cochrane et rien ne laisse présager qu’il en sera autrement bientôt. Elle se tient toujours à l’affût de ses prochaines lectures, soit à travers l’infolettre des Libraires ou en allant voir Jonathan à la Librairie du Square sur l’avenue Bernard, un libraire « merveilleux » aux dires de notre invitée. « Les écrivains essaient de trouver du sens, renchérit-elle. Beaucoup de choses passent par les mots. » Ils sont en effet une source intarissable d’inspiration et contribuent à changer le monde en nous le faisant voir sous différents angles.

Photo : © Julia Marois

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