Clémence DesRochers : la fille du poète

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    Notre Clémence nationale a vécu toute sa vie au milieu des livres : ceux de son père, Alfred DesRochers, monstre sacré de la poésie d’ici, dont elle revendique l’influence; mais aussi ceux qu’elle a appris par cœur chez les sœurs, ceux qu’elle a choisis et aimés, ceux de ses amis écrivains qu’elle adore et admire.

    Dans la maison du père

    Au téléphone, l’auteure et comédienne Clémence DesRochers fait montre de la même spontanéité candide que sur la scène. Et lorsque je la questionne sur la place qu’occupait la littérature dans la maison familiale d’Alfred DesRochers, la fille du poète ne se fait pas prier pour replonger dans sa mémoire, avec un brin d’humour. « Des livres, il y en avait plein la maison, se remémore-t-elle. Et quand mon père avait pris un verre de bière ou deux ou trois, il nous récitait à pleine tête des vers de Victor Hugo, de Charles Baudelaire… et d’Alfred DesRochers nécessairement. C’est beaucoup par la voix de papa que la littérature est rentrée chez nous. »

    Et tant qu’à évoquer avec Clémence ses premiers émois littéraires, je me permets d’insister auprès d’elle pour connaître le premier livre qu’elle a lu par elle-même et dont elle se souvient encore aujourd’hui. « Ma grande sœur Jeanne venait de commencer à travailler comme journaliste à La Tribune et m’avait offert à Noël un album de Bécassine. C’est resté un beau souvenir pour moi même si, quand je relis ça, je trouve ça ben plate. Je me rappelle aussi d’un album relié de La Semaine de Suzette, une revue pour jeunes filles finalement très française que j’aimais beaucoup beaucoup, pour les histoires, les petites recettes, les sujets divers. Ma sœur Jeanne m’avait aussi offert un beau sac d’école en cuir, sauf que je n’aimais pas l’école. »

    De son propre aveu peu douée pour les mathématiques (« j’étais bloquée à la règle de trois », raille-t-elle), réfractaire aux règlements stricts du milieu scolaire et carrément allergique aux religieuses qui lui enseignaient, la jeune Clémence n’appréciait que les récréations au cours desquelles elle s’exerçait à faire rire ses consœurs. Cela dit, en digne héritière d’Alfred, elle était première en composition française et affichait dès la petite école un tempérament d’artiste. « Oui, sûrement que l’influence de papa a joué. On pourrait presque dire qu’avec mon don pour la comédie et ma facilité en composition, la voie était déjà tracée pour moi. »

    Et même si ses années à la petite école ne lui inspirent guère de nostalgie, notre libraire d’un jour garde le souvenir ému d’un livre qu’elle avait gagné comme prix. « Je ne me souviens pas du nom de l’auteur, mais j’avais bien aimé Le Voyage du “Ptolémée” [NDLR : il s’agit d’un livre d’Edmond P. Géhu, aujourd’hui indisponible.] Avec ma petite amie Huguette Rousseau, on s’assoyait au pied d’un arbre et je le lisais, ce livre. Huguette a été mon amie proche jusqu’à la neuvième année. Un jour, elle est venue me voir après un spectacle et m’a dit quelque chose qui m’a beaucoup touchée : “Tu sais, Clémence, tu as égayé mon enfance.” Avec le livre, sans doute, mais aussi parce que j’inventais beaucoup de jeux. »

    Mais le vendredi, journée ô combien chère à son cœur parce que la classe se terminait plus tôt, la petite Clémence gardait un œil attentif et fébrile sur l’horloge. « J’attendais impatiemment l’heure d’aller à la p’tite bibliothèque de notre p’tite école pour y emprunter des “Sir Jerry détective”, de Mad H. Giraud, une série de polars pour les jeunes que j’ai tellement aimée. J’avais le droit d’en prendre trois et j’avais une semaine pour les lire. »

    Passant avec juste ce qu’il faut de sarcasme sur Le petit catéchisme, les manuels de bienséance et les guides de la parfaite ménagère dont ses consœurs et elle devaient apprendre le contenu par cœur, elle éprouve encore aujourd’hui beaucoup d’affection pour les Fables de La Fontaine, également au programme de lectures obligatoires à mémoriser intégralement. « Ça, au moins, c’était bien, magnifique même!, opine-t-elle. Avez-vous entendu les enregistrements de La Fontaine et Baudelaire par Luchini, qui les dit superbement? »

    Des amitiés littéraires

    Et puis, Clémence DesRochers se plaît à évoquer les livres de la bibliothèque paternelle dont le titre l’intriguait. « J’avais lu et apprécié Ces dames aux chapeaux verts [de Germaine Acremant], même si le souvenir est assez diffus. » Et la femme de scène et de mots de s’attendrir en repensant aux amitiés littéraires du poète. « J’ai eu le bonheur d’entendre Germaine Guèvremont qui venait lire à mon père son roman Le Survenant, au fil de son écriture. Moi et mes frères et sœurs l’écoutions, assis sur le plancher, elle sur le vieux sofa. On suivait le récit comme un feuilleton, tandis que mon père n’en finissait plus de s’exclamer. »

    Grande admiratrice de J. D. Salinger, notamment pour L’attrape-cœur, notre Clémence est néanmoins d’avis qu’il vaut mieux ne pas revisiter les bouquins qui nous ont marqués, de peur d’être déçus. « Ç’a été le cas quand je me suis replongée dans Le Petit Prince, que j’ai trouvé un peu ennuyant à la relecture », me confie-t-elle. Cela dit, même les lectures nouvelles et récentes peuvent parfois s’avérer décevantes. « J’avais beaucoup aimé Ru de Kim Thúy, mais j’avoue que son nouveau livre, Mãn, ne m’a pas charmée autant. »

    Encore une fois, à l’image de son père dont elle revendique l’influence sur sa vie comme sur sa carrière, Clémence s’enorgueillit de ses amitiés littéraires; d’abord, celle qui l’unit au poète et éditeur René Jacob, un grand amoureux des livres, un érudit dont elle a illustré certains titres, notamment le fameux Dimanches et jours de fêtes. Mais Clémence ne cache pas non plus son amitié pour Georges-Hébert Germain, qu’elle a un peu poussé à écrire son plus récent titre, Jadis, si je me souviens bien… : « Ça fait longtemps que je l’encourageais à s’attaquer à un livre plus personnel, je lui disais “écris donc sur ta mère qui a élevé quatorze enfants, sur la vie que vous avez eue”. Il l’a enfin fait. C’est sûr que ça ne lui vaudra pas le succès de ses bouquins sur Céline Dion, mais je crois que c’est un livre nécessaire. Et très beau! »

     

    PHOTO © Julien Faugère

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