On a vu la comédienne Christine Beaulieu endosser avec brio plusieurs rôles à la télévision, au théâtre et au cinéma. Son plus récent projet l’a aussi menée à l’écriture avec la pièce J’aime Hydro, un docu-théâtre qui l’a conduite, non sans peur, aux quatre coins du Québec.

Ses plus récentes lectures sont au diapason de cette enquête sur Hydro-Québec dans laquelle elle se fait la représentante des citoyens en interrogeant le lien entre les Québécois et la société d’État. Rapports, documents et textes journalistiques sont ses principales lectures des derniers mois, très intéressantes par ailleurs. À titre d’exemple, elle cite la biographie de Jacques Parizeau qui « est absolument extraordinaire, peu importe nos allégeances politiques ». Ces lectures l’ont toutefois sortie de sa zone de confort, elle qui, avant tout, est une grande lectrice de théâtre. Sa bibliothèque personnelle est composée pour la moitié de pièces. En voyage, elle visite les librairies spécialisées et achète des textes de théâtre de partout à travers la planète. En somme, ce n’est pas si surprenant de constater que lorsqu’elle a elle-même commencé à écrire il y a de cela trois ans, les mots se sont d’eux-mêmes placés pour créer la pièce J’aime Hydro pour laquelle, en passant, elle a reçu le prix Michel-Tremblay du meilleur texte dramatique créé à la scène.

Comme le théâtre est un art éphémère, le texte est aussi une façon de vivre ou de revivre ce qui a eu lieu. « J’ai toujours envié l’époque du théâtre expérimental, Jean-Pierre Ronfard, Robert Gravel, et comme je suis trop jeune pour avoir vu leurs shows, au moins je peux les lire. Même chose pour Cabaret neiges noires, j’ai manqué ce rendez-vous-là avec le public, mais la pièce vient d’être publiée, mon dieu merci, au moins je vais pouvoir m’y plonger. » Le texte théâtral permet de revenir sur ce qui a été vécu collectivement et d’y approfondir, dans la solitude et le recul, sa propre réflexion.

Les œuvres marquantes de l’historiographie littéraire de Christine Beaulieu vont donc en bonne partie naturellement vers le théâtre. Le docteur Faust de Christopher Marlowe, contemporain de Shakespeare, l’a particulièrement interpellée par ses constants dilemmes entre le bien et le mal. « Toutes les pièces de Bertolt Brecht m’ont foncièrement rejointe. C’est drôle parce qu’il y en a qui trouvaient des liens entre ma pièce et le travail de Brecht par le fait d’ancrer l’histoire dans l’actualité et par l’effet de distanciation. » Un principe qui réinvente les codes, notamment quand un personnage s’adresse directement au public.

Tout est possible
Hormis le théâtre, la comédienne a été frappée par la lecture de la « Trilogie new-yorkaise » de Paul Auster. « Quand je l’ai lue, j’étais quand même jeune, j’avais 17-18 ans, et c’était un moment où j’étais en train de développer ma manière de réfléchir. Dans ce livre-là, on dirait que tout était possible, il y a un univers tellement éclaté, avec des personnages très réels, mais en même temps complètement surnaturels, dotés d’une réalité augmentée. Il y avait aussi ce type de rapport à l’enquête; j’ai cette curiosité très forte pour la résolution de problèmes et la recherche de solutions. » Ce goût particulier pour le travail d’investigation n’est évidemment pas sans lien avec le théâtre documentaire. Comme une obsession à saisir la véritable nature des choses.

Une des héroïnes favorites de Beaulieu est Jane Eyre de Charlotte Brontë. « J’y reviens toujours, c’est tellement beau la manière qu’elle a d’écrire, ça me mystifie. Il y a quelque chose de fort en même temps que de très sensible. Les personnages ont une belle candeur, ce qui me plaît beaucoup parce que je ne suis vraiment pas attirée par le sarcasme. Dans Brontë, on est dans la sincérité du cœur. » Beaulieu prend le parti de l’amour pour bifurquer vers l’auteur et anthropologue Serge Bouchard qu’elle perçoit toujours investi de sincérité. Elle est captivée par la présence d’érudition sans complaisance qui se dégage de ses écrits. Par exemple, dans Elles ont fait l’Amérique, Bouchard remet au jour les vies de quinze femmes qui ont pour beaucoup participé à construire le continent et qui sont absentes des livres d’histoire. « Quand parfois j’ai des doutes, ces exemples de femmes qui sont venues avant moi me donnent du courage. » Christine Beaulieu a pu l’expérimenter dans la réalisation de son docu-théâtre où elle s’est sentie en état de grande vulnérabilité – « j’ai été une boule d’angoisse », dira-t-elle –, s’étant engagée tant à la recherche, à l’écriture qu’au jeu. « J’ai toujours eu en moi le désir de me réaliser au-delà de l’interprétation. » En lisant la parole des autres, elle puise la force de mener à bien ses motivations et de porter à son tour le flambeau de la création qui mène à l’action.

Elle croit assurément à l’écriture engagée, qui ne se trouve pas seulement dans le documentaire, mais qui peut se déployer à travers les aspects plus sensibles et poétiques de l’écriture fictionnelle. « Il y a beaucoup de femmes dramaturges qui m’inspirent : Annabel Soutar, qui ne recule devant rien, Fanny Britt, Sarah Berthiaume, Catherine Léger, Isabelle Langlois qui écrit pour la télé. » Elle aime se couler dans l’écriture évocatrice de Kim Thúy qui instille un univers d’une grande beauté, pour ensuite s’absorber dans un essai comme Sapiens de Yuval Noah Harari qui s’attarde à décrypter nos origines pour mieux appréhender nos fabulations. « On se prend un peu pour le boutte de la marde, nous, les humains, c’est un problème. La lecture d’Harari est un incontournable en ce moment, on a beaucoup à aller y chercher. » Égale perspective pour La fin des exils de Jean-Martin Aussant qui prône la valeur indispensable du bien commun.

C’est une langue belle
Dépouillé des artifices dont nous sommes constamment bombardés dans notre société d’images, le livre installe un vis-à-vis unique qui laisse un espace de réflexion. La langue est aussi une façon d’envisager le monde. « Notre langue, je l’aime d’amour. Je trouve le français riche, plein de caractère, mais j’aimerais faire un bout de chemin vers les langues amérindiennes. » Elle s’attriste de constater qu’il y a si peu d’influences venues des nations autochtones. Par la littérature, elle espère au moins capter l’essence de ceux qui nous ont précédés, mais dont nous avons vite fait d’occulter le savoir. Non seulement nous les avons privés de leur culture, mais nous nous sommes aussi privés par le fait même. « On parle anglais, espagnol, etc., mais on n’est pas capables de dire un seul mot en innu, c’est complètement absurde. » Elle se promet l’acquisition du Peuple rieur de Serge Bouchard, son préféré, qui rend justement hommage, avec le verbe haut qu’on lui connaît, au peuple innu. Une traversée des origines qui convoque avec sagesse le côté cœur.


Photo : 
© Julie Artacho

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