Depuis plusieurs années, la voix de Catherine Perrin résonne sur les ondes d’ICI Première de Radio-Canada pour nous informer, nous enrichir, piquer notre curiosité, alimenter nos discussions en compagnie de ses invités. Ces temps-ci, on l’écoute le dimanche entre 14h et 16h à l’émission Du côté de chez Catherine. Si bien qu’on a un peu l’impression qu’elle fait partie de la famille.

Jamais la mère de Catherine Perrin n’a failli à ses devoirs, bien au contraire, mais comme le dit elle-même notre invitée, « elle aimait infiniment mieux lire que de faire à manger ». Ce qui a fait en sorte qu’elle a su nourrir sa progéniture aussi bien de corps que d’esprit, même si parfois les repas étaient plus simples parce qu’elle avouait n’avoir pas vu le temps passer, accaparée qu’elle était par sa lecture. « J’ai des souvenirs extraordinaires au chalet l’été, des après-midi de pluie au complet, les trois filles, ma mère, des fois des amis qui se mêlaient à ça, et un feu, chacun installé avec un livre. » Une sorte d’alcôve bienfaisante au cœur de la grisaille, une zone feutrée de silence où néanmoins les liens se tissent et où les êtres sont rassemblés. Les livres de Marguerite Yourcenar sont d’ailleurs un legs de la matriarche qui, elle, a pu les lire presque en simultané avec leur date de parution originale.

Puis les suggestions sont venues d’amis, certaines sont venues ébranler Catherine Perrin, qui au lieu de s’en plaindre, en redemandait. Kundera, Kafka et Dostoïevski, notamment, auront eu l’heur de lui donner un autre regard sur les choses. Il y a aussi des œuvres qui revêtent une importance particulière parce qu’elles concordent avec une époque charnière que le livre vient ancrer encore plus profondément dans la genèse de l’individu. « Quand je suis venue m’installer à Montréal, c’est à peu près à la même époque où Monique Proulx a publié Les aurores montréales et j’avais l’impression que ce livre m’ouvrait les yeux sur ma nouvelle ville, qu’il m’aidait à comprendre pas juste les lieux physiques mais la sociologie, la psychologie des Montréalais. » Quand elle étudiait au Conservatoire de musique (pour ceux qui ne le sauraient pas, Catherine Perrin est aussi claveciniste), ses lectures se sont en quelque sorte naturellement orientées vers le théâtre classique qui faisait écho à son apprentissage de la musique baroque. Shakespeare, Molière, Racine sont tous venus éclairer sa compréhension du monde ancien.

Les grands dérangements
Catherine Perrin a fréquenté avec bonheur les mots de Paul Auster, La trilogie new-yorkaise et Le voyage d’Anna Blume lui revenant tout de suite en mémoire. « J’aime être saisie par un univers, par une voix. Je n’aime pas nécessairement l’expression “être emportée” parce qu’il y a des gens qui cherchent beaucoup l’évasion. J’aime ça, mais j’aime aussi être dérangée. » À ce titre, Nancy Huston ne l’a pas laissée en reste. Elle a suivi cette auteure dès le début de l’âge adulte et se rappelle par exemple La virevolte, l’histoire d’une femme qui quitte ses enfants pour s’adonner à la danse, sa passion, qui l’avait véritablement troublée. « Je reste convaincue que la fiction peut cerner des immenses vérités, au-delà de la réalité du documentaire, elle peut mieux dessiner le contour intime des choses. L’humanité se définit et évolue grâce entre autres à ce pouvoir qu’elle a de se raconter à travers la fiction. » L’animatrice sera bientôt de l’autre côté du miroir puisqu’elle publiera son premier roman à l’hiver prochain aux éditions XYZ. Nous avons pu apprendre que le Centre-Sud de Montréal camperait le décor et qu’on y verrait un musicien classique devenu musicien de métro.

La veine historique n’est pas nécessairement ce que Catherine Perrin préfère, mais plonger par exemple au cœur de Rouge Brésil de Jean-Christophe Rufin l’a certainement charmée. Après avoir écrit Une femme discrète qui portait sur sa mère, l’animatrice entend parler par son entourage de Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan. Quoique résolument plus littéraire par rapport au sien qui s’inscrit davantage dans le récit documentaire, ce livre qui traite de la maladie et de la mort de la mère de l’auteure a trouvé plusieurs résonances chez Catherine Perrin.

L’an passé, on lui a demandé d’animer les tables rondes des finalistes du Prix littéraire des collégiens, ce qu’elle refera cette année. « J’ai trouvé que c’était un privilège d’avoir ce rendez-vous-là et de me plonger dans les œuvres de cinq voix si différentes, exprime-t-elle. Ça rendait la comparaison difficile, mais ça rendait la rencontre extrêmement intéressante. » En guise de rappel, les finalistes de l’an dernier étaient Lula Carballo avec Créatures du hasard, Dominique Fortier pour Les villes de papier, Karoline Georges et De synthèse, Kevin Lambert avec Querelle de Roberval et Jean-Christophe Réhel pour Ce qu’on respire sur Tatouine, ce dernier ayant finalement été couronné. Quelques nouvelles voix féminines ont aussi capté l’attention de Catherine Perrin. Elle a adoré Nirliit de Juliana Léveillé-Trudel, Kuessipan de Naomi Fontaine, pour ne s’en tenir qu’à celles-là. Quand elle n’a pas le temps de s’aventurer dans un roman, elle va du côté du théâtre pour lequel elle a toujours gardé son goût pour la lecture, mais elle aime aussi la forme brève de la nouvelle. Récemment, elle est retournée vers les œuvres courtes de Stefan Zweig dont elle se promet un jour de lire aussi les grands romans.

De par sa profession, l’animatrice a eu l’occasion d’interviewer de nombreuses personnes, mais si elle avait l’occasion de rencontrer l’écrivain Haruki Murakami, elle en profiterait pour éclaircir quelques mystères à son sujet. De l’auteur, Les amants du Spoutnik et Kafka sur le rivage l’ont sans équivoque captivée, tandis que d’autres de ses œuvres l’ont laissée perplexe. De cette ambiguïté sont nées quelques questions que les circonstances d’un tête-à-tête pourraient élucider. Justement, lors de ces rencontres issues de son travail, elle a pu discuter avec le sociologue Guy Rocher et son biographe Pierre Duchesne à propos du livre Guy Rocher (t. 1) : 1924-1963 Voir — Juger — Agir. « Pour moi, c’est une leçon de tout ce que je ne sais pas des années 60. J’ai trouvé ça absolument extraordinaire, je me dis, mon dieu, une chance que ces gens-là ont existé. » L’essai Le grand retour de John Saul sur la réapparition des Autochtones dans la sphère publique l’a également beaucoup intéressée.

Catherine Perrin avoue candidement avoir pleuré lors de l’annonce de la fermeture de la librairie Le Parchemin, située en plein cœur du métro Berri-UQAM à Montréal, devant laquelle elle passait tous les jours. « J’ai vraiment un parti pris pour les libraires indépendants, qui résistent encore. Je les remercie d’exister. » Au gré de ses déménagements, elle repère la librairie indépendante la plus proche de chez elle et la fait sienne. Avant c’était Raffin, maintenant c’est Monet et La Maison de l’Éducation. Elle prend aussi plaisir à se laisser guider par le hasard, ce qui l’a dernièrement amenée à lire La femme aux cheveux roux d’Orhan Pamuk qu’elle a beaucoup aimé. Au moment où l’on se parle, elle termine Ta mort à moi de David Goudreault. C’est pour le travail, mais ça s’adonne être un réel délice. Il faut dire que sous l’influence d’un bon livre, Catherine Perrin ne répond plus de rien.

 

Photo : © Radio-Canada

Publicité