Boucar Diouf : La vie comme une histoire

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    Conteur, animateur, auteur et océanographe, Boucar Diouf n’a pas son pareil pour expliquer le monde qui nous entoure. Sous son élocution, la moindre parcelle de vie recèle toute une histoire qui révèle sens et beauté. Avec la langue imagée qu’on lui connaît, il nous entretient de ses lectures et, fidèle à lui-même, nous fait voir monts et merveilles.

    Converser avec Boucar Diouf de ses lectures, c’est faire connaissance à la fois avec le savoir et la beauté du monde. Comme il a, selon ses propres dires, le cerveau constamment en ébullition, prendre un livre lui permet de se concentrer, et en ce sens, lire pour Boucar Diouf s’avère une thérapie quotidienne. « Un livre, c’est un GPS pour mes neurones », déclare-t-il avec éloquence.

    À l’époque du secondaire, dans la bibliothèque de la petite ville de son Sénégal natal, quelques livres venus pour la plupart de dons de l’Europe piquent la curiosité du jeune Boucar. « Le premier que j’ai lu au complet, c’est Pêcheur d’Islande de Pierre Loti. Ça a influencé toute ma trajectoire par la suite. » Ce roman, paru en 1886 et rédigé par un écrivain voyageur, parle de pêche à la morue sur les côtes de la Bretagne, des différences de classes qui compliquent les relations, et est soutenu tout au long par une histoire d’amour (puisqu’il le faut bien). « La vie, l’amour, la mort, le poisson, c’est une combinaison qui m’a plu. Je me demande vraiment si ce n’est pas grâce à ce livre-là que je suis devenu océanographe. J’ai l’impression qu’épigénétiquement, il a beaucoup marqué mon esprit. » L’épigénétique est ce phénomène moléculaire qui permet aux cellules de se modifier selon le contexte et les événements vécus. Les gènes ne seraient donc pas le seul déterminant et l’humain, de son vivant, aurait la possibilité d’influencer son parcours et sa biologie. Nous vous avions dit qu’avec Boucar, l’horizon des sujets était infini?

    L’Afrique comme si vous y étiez
    Certaines lectures faites à l’école apparaissent comme des joyaux pour l’homme que Boucar Diouf est devenu, influençant sa vie, mais aussi son écriture. « Les écrivains, ce sont des catalyseurs. » Les romans de l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, qu’il considère par ailleurs comme « un des auteurs qui manie le mieux la langue française de toute la francophonie », sont de ceux-là. « Je suis quelqu’un de nostalgique. C’est pour ça que mon cerveau voyage tout le temps. Dans Le soleil des indépendances, Kourouma nous raconte ce passé, quand les griots avaient un rôle et que les indépendances sont arrivées. C’est une œuvre majeure dans ce qui m’a construit. » Si quelqu’un lui demande de lui conseiller un livre africain, c’est encore vers Kourouma qu’il se tourne, avec Allah n’est pas obligé. « On retrouve là-dedans le côté doux et dramatique de l’Afrique; celle des guerres, des enfants soldats et aussi celle qui garde le sourire malgré tout ça. » L’humour d’Alain Mabanckou, natif de la République du Congo, lui plaît également. De cet auteur, il dit avoir adoré la lecture de Verre Cassé. Il nomme l’écrivaine Fatou Diome, qui vient de la même région que lui, et dont le livre Le ventre de l’Atlantique, son premier roman, l’a beaucoup ému.

    Monsieur Mini-Wheats
    Notre invité précise que 80 % de ses lectures sont scientifiques. Dans le domaine, il lit autant des grosses briques de biologie structurale que des ouvrages plus vulgarisés. Il a toujours été fasciné par les rouages complexes de l’être humain et cherche constamment à les comprendre. « Le comment des choses, c’est probablement pour ne pas me poser les pourquoi. » Pour lui, les explications de la science, c’est de l’art. « Dans une cellule humaine, on trouve toutes les poésies de la planète. La structure qu’on voit dans une cellule humaine, aucun individu n’aurait pu l’imaginer tellement c’est extraordinaire. » Entre littérature et science, il ne choisit pas. Il a besoin des deux pour trouver l’harmonie. « Je le dis tout le temps, je suis un Mini-Wheats. J’ai un côté rationnel et un côté givré. L’échappatoire, c’est quand je dis : “OK, je m’en vais vers la fiction”. Ça, ça me fait du bien. » C’est avec l’entremêlement de ces deux facettes qu’il aime vivre. Que ce soit dans ses livres, ses spectacles, ses chroniques ou lors de l’émission de radio qu’il anime, ce qu’il souhaite, c’est de traiter de la grande histoire en passant par la petite. « Au lieu de parler de Donald Trump et de l’économie, je parle du pygargue à tête blanche qui est l’emblème des États-Unis; je raconte comment cet oiseau a été choisi et comment ça ressemble à l’arrivée de Trump au pouvoir. » Pour Boucar Diouf, le présent a toujours son explication. « Parce que ce qu’on est aujourd’hui n’est pas séparé de l’histoire qu’on a vécue pendant des milliers d’années. » Par le fait même, c’est prendre conscience que nos actions d’aujourd’hui auront une portée dans l’avenir.

    Pour le lecteur qui voudrait apprivoiser la science, il pense tout de suite à l’œuvre de David Suzuki. Il évoque entre autres son dernier livre, Lettres à mes petits-enfants, où le scientifique, au fil de ses confidences, souhaite transmettre ses valeurs à la prochaine génération, dont celle, d’une importance capitale, du respect de la nature. Albert Jacquard et Hubert Reeves font aussi partie de cette lignée inspirante par le « regard multidirectionnel qu’ils ont sur la vie ». Parmi les œuvres récentes que notre lecteur a absorbées avec grand plaisir, on retrouve Sapiens : Une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari. Et pour qui veut s’initier à la théorie de l’évolution, il n’a que des éloges pour le livre Dans l’œil du pigeon de Luc-Alain Giraldeau. Un bouquin parfait également pour les professeurs ou les parents en mal de lectures à proposer aux jeunes de 16-17 ans, tout comme L’équilibre sacré de Suzuki qui, selon Boucar, devrait être un livre obligatoire dans toutes les écoles. « Après cette lecture, ils vont s’engager, j’en suis sûr. Ils vont dire: “Écoute, on a une petite planète bleue qui est irremplaçable et il faut se mobiliser pour la sauver”. » Bref, une lecture qu’il conviendrait de faire lire à tous.

    Acheteur compulsif
    Il va sans dire que Boucar Diouf fréquente les librairies, et quand il y entre, il n’en ressort jamais les mains vides. [Sa librairie de prédilection est celle d’Alire à Longueuil.] Avec un fils de 8 ans qui dévore tout ce qui lui tombe sous la main, il ajoute avec un sourire dans la voix que ça lui coûte cher, mais que ça rend sa libraire heureuse! Laissons-le conclure : «  Si on faisait une étude, je suis sûr que derrière chaque adulte, il y a l’empreinte d’un livre quelque part qui a affecté sa trajectoire. Les livres font partie intégrante de la construction identitaire d’un individu. »

     

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