Arlette Cousture : Ces plaisirs interdits

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On savait déjà que pour Arlette Cousture, auteure des monumentales sagas Les Filles de Caleb et Ces enfants d'ailleurs, écrire est un véritable plaisir, voire une passion essentielle. Mais pour celle qui a gagné son premier prix de littérature à huit ans et son deuxième à douze, la lecture est un bonheur tout aussi nécessaire, même si elle lit avec la même rigueur qu'elle s'impose dans l'écriture. À preuve : de son propre aveu, elle ne s'aventure dans les pages d'un bon livre qu'armée de stylos pour annoter et souligner…

Vous rappelez-vous du premier livre qui vous ait marquée ?

Et comment ! C’était un petit album illustré intitulé L’Escapade de Paulo, mais je ne me rappelle pas du nom de l’auteur. Il faut dire que j’étais très petite à l’époque, c’était avant l’âge scolaire. Ça racontait l’histoire de ce petit garçon qui faisait une fugue avec son chien, mais qui se ravisait à cause d’un gros orage. Terrifié par le tonnerre, il fondait en larmes, perdu, sans aucune idée de la manière de retourner chez lui. Heureusement pour lui, le facteur qui passait par là a pu le ramener. J’étais jalouse de Paulo, qui avait eu le courage de s’enfuir, même si je n’avais pas la moindre raison de vouloir m’enfuir de la maison. Je suppose que j’avais déjà, à l’époque, cette envie de bouger qui me travaille encore aujourd’hui.

Et quel rapport avez-vous conservé avec la lecture au fil des années ?

Adolescente, j’avais toujours le nez dans un livre, y compris les livres interdits. Surtout les livres interdits ; à vrai dire, ce sont ceux qui m’ont le plus marquée. Je me rappelle d’avoir lu et beaucoup aimé Moïra de Julien Green, un de ces livres interdits justement, et aussi Proust, Zola, Gide, Saint-Exupéry et tous ces grands noms. Mais les livres dont je garde le souvenir le plus vivace sont Dans un gant de fer de Claire Martin. Jusqu’alors, tout ce que je lisais venait d’Europe et portait la signature d’un mort. Tout à coup, avec Claire Martin, la littérature, c’était la porte d’à côté. C’est elle qui m’a donné confiance, qui a, en quelque sorte, donné à la jeune Québécoise que j’étais la sensation d’exister, d’avoir droit de cité. Ça m’a donné un choc terrible, mais salutaire.

Et puis, je repense à un livre de Robert Merle, La Mort est mon métier, une plaquette de rien du tout mais qui m’avait bouleversée : c’est le journal personnel fictif du directeur d’un camp de concentration. Et je repense aussi à un autre livre, de Constant Virgil Gheorghui, La Vingt-cinquième heure, que j’ai lu comme une réponse à Merle. J’ai toujours eu une préférence pour la littérature « tord-boyaux », plutôt que des trucs gentils. Et quand c’est bien écrit par surcroît…

Quelles lectures ont été déterminantes pour la romancière que vous êtes devenue ?

Je dois dire encore Claire Martin, qui m’a appris qu’on pouvait être québécoise et écrire. Dès l’adolescence, je lisais Anne Hébert (Le Torrent), Gabrielle Roy (Bonheur d’occasion, La Petite Poule d’eau) et les autres grandes figures de la littérature d’ici. Je lisais aussi Hervé Bazin (Vipère au poing) et Dostoïevski (L’Idiot, Le Joueur), qui m’a laissé une impression durable. À seize ans, j’avais déjà décidé que je voulais devenir écrivaine, ce que mon père trouvait invraisemblable.

Et chez quels auteurs avez-vous l’impression d’avoir le plus appris sur votre métier ?

C’est drôle à dire, mais je crois que c’est chez Robert Ludlum. Je les ai tous lus, dévorés même : La Mémoire dans la peau, La Mort dans la peau, et tous les autres. C’est Ludlum qui m’a appris la chute et la relance à la fin de chaque chapitre, à la fin de chaque page, à la fin de chaque paragraphe même. Je pourrais en dire autant de James Clavell, dont j’avais adoré Shogun. Comme chez Ludlum, j’admirais chez Clavell le rythme, la construction, le souffle, les relances… et cet art de créer du suspense avec rien. Remarquez, tout ça, je l’avais aussi remarqué et apprécié chez Charles Dickens, dans David Copperfield par exemple. Et chez Dickens, il y a cet extraordinaire don pour la création des univers solides, concrets.
Vous êtes donc lectrice de polars et de thrillers ?

Absolument. J’ai lu tous les Agatha Christie très jeune et retiens Le Meurtre de Roger Ackroyd et Dix petits nègres comme mes deux préférés. Parmi les auteurs de thrillers contemporains, j’aime assez John Grisham (La Firme, L’Associé), dont les livres m’amusent. Mais j’ai été passablement déçue par le fameux Da Vinci Code de Dan Brown, qui n’est pas plus écrit qu’un scénario de film. C’est efficace, mais en même temps très mécanique, pas assez développé.

Fréquentez-vous vos contemporains en littérature québécoise ?

Je suis présentement en train de lire Lady Cartier de Micheline Lachance, que j’aime beaucoup.

Et quel autre livre attend son tour sur votre table de chevet ?

Il s’intitule Trois fermiers s’en vont au bal, a été écrit par Richard Powers et son sujet m’intrigue, ne serait-ce que parce qu’il me rappelle diffusément celui de mon propre roman J’aurais voulu vous dire William. Dans le livre de Powers, il y a un personnage qui enquête sur le passé à partir d’une photo… En tous cas, j’ai bien hâte de le lire !

Bibliographie :
Les recommandations d’Arlette Cousture
Moïra, Julien Green, Gallimard (épuisé)
Dans un gant de fer : La Joue droite et La Joue gauche, Claire Martin, Bibliothèque québécoise
La Mort est mon métier, Robert Merle, Folio
La Vingt-cinquième heure, Constant Virgil Gheorghui, Plon
Bonheur d’occasion et La Petite Poule d’eau, Gabrielle Roy, Boréal Compact
Le Torrent, Anne Hébert, Bibliothèque québécoise
Vipère au poing, Hervé Bazin, Le Livre de Poche
L’Idiot et Le joueur, Fedor Dostoïevski, Folio
La Mémoire dans la peau et La Mort dans la peau, Robert Ludlum, Le Livre de Poche
Shogun (2 tomes), James Clavell, J’ai Lu
David Copperfield, Charles Dickens, Le Livre de Poche
Le Meurtre de Roger Ackroyd et Dix petits nègres, Agatha Christie, Hachette
La Firme et L’Associé, John Grisham, Pocket
Lady Cartier, Micheline Lachance, Québec Amérique
Trois fermiers s’en vont au bal, Richard Powers, Le cherche midi

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