Christian Girard: Défendre le livre contre vents et marées

81
Publicité

Le livre traverse une période trouble, on le sait. Pourtant, même lorsque les vents soufflent fort et que la terre tremble, certaines structures demeurent inébranlables; on les dirait enracinées jusqu’au cœur du monde. C’est dans le cœur de tous les amoureux de littérature et de culture que la librairie Pantoute a quant à elle planté ses assises, défendant le livre contre vents et marées depuis plus de 40 ans.

Christian Girard n’était pas né, en décembre 1972, lorsque Denis LeBrun et ses acolytes ont ouvert les portes de la première librairie Pantoute, sur la rue Saint-Jean à Québec, pas très loin de l’emplacement de la librairie actuelle. Cela ne l’empêche pas d’arborer fièrement son appartenance à ce château fort culturel, ne ménageant pas les efforts pour perpétuer la tradition de Pantoute en accompagnant les bouquineurs dans le choix de leurs lectures.

Le seigneur des porcheries, de Tristan Egolf, est un de ses « hameçons » préférés. « J’accroche le client en lui suggérant ce titre, pour qu’il prenne goût aux conseils de son libraire », révèle le jeune libraire de 37 ans, qu’on a affublé du titre de gérant du personnel de la succursale en haute-ville. « Je suis la courroie de transmission entre la gérante générale et les gens sur le plancher », résume-t-il.

Sa première mission demeure néanmoins de bien conseiller ceux et celles qui franchissent les portes du 1100, rue Saint-Jean : une mission qui n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire. « Il faut être très attentif et savoir s’adapter au client. Quand je vois quelqu’un entrer sans dire bonjour et aller bouquiner dans un coin, je l’approche plus tranquillement », explique-t-il. Il ajoute que ce qu’il aime par-dessous tout, c’est lorsque le client – séduit par les conseils qu’il a reçus – finit par choisir ses livres en fonction des coups de cœur de SON libraire. « Chez Pantoute, on dépose des critiques signées sur les livres qu’on a aimés et les gens peuvent s’y référer, même lorsque le libraire n’est pas sur le plancher », une pratique qu’il affectionne particulièrement.

Christian embrasse le métier de libraire depuis maintenant plus de dix ans et il en est complètement accro : « Il y a quelque chose de hautement stimulant à travailler ainsi, entouré de livres, d’en prendre connaissance et de les faire valoir à qui ces derniers semblent destinés », déclare-t-il. Il raconte d’ailleurs, dans une entrevue donnée à RueDesLibraires, que le travail de libraire, loin d’être austère, est parsemé de situations rigolotes : « Il arrive parfois que les clients déforment les titres et les noms d’auteurs. Cela donne souvent des résultats pour le moins cocasses. Parmi toutes ces perles de clients, en voici une : un jour, une dame qui cherchait le livre Passages obligés de Joselito Michaud, recueil d’entretiens portant sur le deuil, me pose la question ainsi : “Avez-vous le livre de Joselito, je crois que ça s’intitule Le deuil abrégé?” ».

Une librairie en feu
Comme il a joint les rangs de Pantoute durant l’été 2004, Christian Girard n’était pas là lorsque la librairie a passé au feu, au cours de l’hiver 1980. Le triste épisode aurait pu avoir raison de la jeune entreprise, car le travail des pompiers a transformé cette nuit-là l’inventaire de la librairie en bibliothèque de glace. Heureusement, l’équipe de Pantoute ne s’est pas laissé abattre et a organisé une « vente de feu » pour liquider les livres endommagés par l’eau. Afin de redonner un peu de lustres aux ouvrages, ces derniers étaient préalablement passés dans l’un des nombreux micro-ondes loués pour l’occasion. L’audacieuse vente a littéralement permis à Pantoute de renaître de ses cendres.

À défaut de se remémorer toutes les anecdotes historiques de Pantoute, Christian Girard est très au fait de la renommée de sa librairie et de la valeur de son implication sociale à travers le temps. « C’est, selon moi, une des meilleures librairies au Québec, pour son choix, la qualité de son service et sa participation dans le milieu de la culture », déclare-t-il, ajoutant que « Pantoute ne s’est pas contentée de vendre des livres touristiques dans le Vieux-Québec; elle s’est impliquée pour donner forme au monde du livre tel qu’on le connaît aujourd’hui ».

Il étaie son propos en rappelant l’époque des causeries, la création du Bulletin Pantoute (devenu aujourd’hui le libraire), les émissions littéraires sur les ondes de CKRL, sans oublier l’actuel Studio P, cette salle multifonction où se tiennent plusieurs événements littéraires et culturels. Le rayonnement de Pantoute est tel qu’il a des échos jusqu’en Europe. « On en parle sur les blogues de voyageurs, dans les salons du livre européens… », raconte le libraire. Nos cousins d’outre-mer doivent par ailleurs trouver le nom du commerce bien exotique. Allez, le moment est venu de tout révéler : pourquoi l’entreprise s’appelle-t-elle Pantoute?

Pas un secret pantoute
« À l’époque, le registraire du gouvernement québécois ne considérait pas “pantoute” comme un mot français. Les propriétaires ont donc justifié leur choix en disant qu’il s’agissait en fait de la contraction des noms Pandore, Toutankhamon et Thétis », dévoile le libraire. Il ajoute que, par la suite, on s’est beaucoup amusé à clamer que « si vous ne trouvez pas un livre ici, vous ne le trouverez pas pantoute ». À ses débuts, la librairie se démarquait en effet en important des titres réputés introuvables, parmi lesquels on trouvait beaucoup de BD européennes encore indisponibles sur le marché québécois.

Les propriétaires de Pantoute ont toujours montré une volonté de faire les choses autrement et de s’affranchir des carcans. Ils ont poussé l’expérience jusqu’à confier en 1982 une majorité des parts de l’entreprise à leurs 24 meilleurs clients, établissant ainsi une structure d’entreprise inédite en librairie. Aujourd’hui, la bannière – qui a célébré son 40e anniversaire l’année dernière – a également pignon sur rue dans le quartier Saint-Roch. Les lecteurs « pantoutiens » ont ainsi, depuis 2001, deux adresses pour assouvir leur soif de découvertes littéraires.

Les vents peuvent continuer de souffler, c’est aux portes des librairies Pantoute que l’alizé se brise.

Publicité