Rodolphe Lasnes: Écrire le monde

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Circuler en touk touk entre une plage chaude et une forêt aux parfums inoubliables, déguster les mets exotiques des marchands ambulants, dénicher une petite auberge aux charmes indéniables, le tout, un cahier de notes à la main : oui, rédiger des guides de voyage est un métier de rêves. Mais gare aux idées reçues : s’il s’agit de voyages, il s’agit avant tout… d’affaires!

En fait, s’il se déplace en touk touk, c’est pour la rapidité de la locomotion; s’il déguste un bâtonnet de poulet à la coriandre à même la rue, c’est faute de temps pour s’asseoir calmement dans un restaurant; et si les charmes de l’hôtel sont notoires, il aura peu de temps pour en profiter, trop occupé à retranscrire ses notes avant de s’endormir. Dès le lendemain, de l’aube à la tombée de la nuit, le rédacteur devra affronter une autre journée fort remplie. Rodolphe Lasnes, auteur de guides de voyage mais aussi de fiction (voir encadré), a accepté de nous dévoiler les dessous d’un métier marginal que plusieurs rêveraient d’exercer.

 

Déjouer l’horloge

« Pour moi, c’est clair que c’est un métier rêvé, mais il ne faut pas avoir une vision idéaliste : ça reste avant tout un travail », explique Rodolphe Lasnes. Pas de conjointe en bikini à ses côtés, donc, lors de ses excursions en Amérique latine. « Quand je travaille sur le terrain, ça n’a pas beaucoup d’intérêt pour elle. Je me lève tôt, je cours toute la journée, je me couche tard, je travaille le soir sur mon ordinateur. Ce n’est pas un rythme de vacances! » Et afin d’illustrer son propos, il explique que pour lui, visiter une plage se résume bien souvent à une saucette d’un maximum de cinq minutes!

Des visites éclair qui imposent un boulot monumental, à défaut de n’avoir que quelques semaines pour découvrir une région complète ou un pays entier, autant sur les plans gastronomique, hôtelier, culturel ou du plein air. Mais comment conseiller plus de cent hôtels et autant de restaurants alors que le rédacteur ne peut dormir plus de nuits qu’il y a de nuitées à son séjour et qu’il peut difficilement manger plus de trois repas par jour? « Non, je ne mange pas dans tous les restaurants et non, je ne dors pas dans tous les hôtels : ce serait tout simplement impossible! Généralement, je change d’hôtel toutes les nuits pour en essayer le plus possible, mais sinon, j’en visite énormément sans y dormir. Il y a des astuces pour vérifier rapidement si un établissement est convenable, propre, accueillant et confortable ou pas. Je demande souvent à visiter une chambre, si possible en matinée, puisque c’est le moment où l’on voit comment les femmes de chambre nettoient, le moment où il y a plein de portes ouvertes qui permettent d’observer si c’est propre, etc. » Côté restauration, celui qui adore manger ne se fie pas qu’à ses propres papilles : « Des fois, je me poste à la sortie d’un restaurant et je demande aux clients ce qu’ils en ont pensé. Sinon, on découvre beaucoup d’établissements sur place, en parlant avec les gens ou grâce à l’office du tourisme. Les propriétaires de « Bed and breakfast » discutent, autour du petit-déjeuner, avec leur clientèle des restaurants ou activités : il s’agit d’une précieuse source d’information pour moi! »

 

Les vraies affaires : de la conception à la paye

Que ce soit pour la mise à jour d’un ouvrage ou pour la création d’un nouveau guide, le spécialiste en évaluation touristique doit fouler le terrain avec ses propres souliers de randonnée. Internet, guides concurrents, forums, offices du tourisme, courriers des lecteurs : les sources d’information sont multiples pour le rédacteur qui doit se préparer solidement avant son départ. « Le voyage en tant que tel ne représente que 30% du travail à faire », explique l’expert qui se déplace notamment pour valider les informations trouvées au préalable, mais également pour enrichir ses connaissances de nouvelles adresses incontournables. Pour dénicher de petits joyaux, Rodolphe Lasnes, qui parle français, anglais et espagnol, soutient l’importance de parler la langue du pays : « Il faut avoir une certaine aisance dans la langue locale. Je me verrais très mal aller faire un guide en Russie ou en Allemagne. Je n’accepterais tout simplement pas le contrat. On doit mettre dans un guide de voyage des détails que le lecteur, en tant que touriste, ne pourrait pas avoir autrement puisqu’il ne parle pas nécessairement la langue locale. »

Et combien ça paie, tout ça? Arrive-t-il à vivre avec environ deux guides écrits par année? « Comme tout travail dans le domaine de l’édition, ce n’est pas là qu’on se fait le plus d’argent, bien que ce soit un métier de passion! Pour ma part, je complète en écrivant des articles de tourisme pour des quotidiens. » Il ajoute cependant que le voyage en tant que tel est payé à 100% par l’éditeur, soit le billet d’avion et une indemnité quotidienne pour les autres dépenses : « Si je me paie un hôtel à 70$ la nuit, le lendemain, je devrai plutôt tester une auberge de jeunesse à 30$, pour faire la moyenne. C’est à moi de gérer le tout pour arriver à la fin! Ensuite, l’éditeur, avec la collaboration de l’auteur, évalue le nombre de semaines – ou de jours – de rédaction à faire. Cela devient une paye complètement complémentaire au voyage ». Et, en tant que travailleur autonome, cette façon de gérer temps et salaire a également ses bons côtés : « Ça me permet, entre deux contrats, de me garder du temps pour la fiction. Quand j’ai fait assez de guides, c’est ma récompense d’écrire des romans! »

 

Bible du voyageur

Étonné de voir que les gens qui partent en tout inclus à Cuba en connaissent parfois très peu sur le pays qui leur offre son sable chaud, Rodolphe Lasnes allègue qu’un guide de voyage n’est pas bon qu’aux backpackers de 20 ans. « Un guide donne aux touristes l’occasion de visiter un endroit par eux-mêmes, sans se plier aux dictats des agences de voyages ou des tours organisés qui laissent peu de place aux petits recoins donnant une meilleure idée de la réalité du pays. » Sans être des essais, les guides contiennent des parties historiques et politiques qui sensibilisent les voyageurs aux différences culturelles auxquelles ils seront confrontés. Ainsi, même pour l’amateur de tout inclus à Varadero, la lecture peut s’avérer fort enrichissante, suffisante en tout cas pour le pousser à franchir les portes de son hôtel à la recherche d’une expérience plus complète.

De plus, l’auteur souligne l’importance de connaître son lectorat, l’éthique de la profession et surtout son mandat : « Il faut se mettre à la place de tous les lecteurs possibles. Du coup, il faut penser aux routards à petit budget, mais aussi à ceux qui voyagent en famille ». En effet, certains guides ne mettent pas de l’avant campings et auberges de jeunesse, alors que d’autres n’offrent que des établissements quatre étoiles et plus. « Un guide ne doit pas répondre qu’à mes attentes, qu’à mes goûts. Il faut garder un certain recul, essayer de comprendre ce qui va intéresser le lecteur. Un Français qui visite Montréal, par exemple, ne recherche pas la même chose que la personne de Québec qui y séjourne une fin de semaine. » Attention, donc, de mettre dans vos valises le guide qui convient à votre style de déambulations touristiques!

 

Genèse d’un auteur de guides de voyage

Installé au Québec depuis 2001, le néo-Montréalais Rodolphe Lasnes a quitté les terres françaises sans se douter qu’un avenir dans le monde des guides de voyage l’attendait dans la Belle Province. Mais comment est-il passé d’une formation en marketing et en commerce international à cet emploi que plusieurs convoitent? « J’ai voulu changer de carrière; et faire des guides de voyage répondait à mes deux passions : l’écriture autant que le voyage, mais c’était un peu idéaliste comme métier ».

Alors qu’il travaillait à la librairie Ulysse de Montréal depuis un peu plus d’un an paraissait son premier roman, Extraits du carnet d’observation de la femme, chez Leméac. Le libraire ayant fait la preuve qu’il était à même de gérer un projet d’écriture de plusieurs centaines de pages et que, outre sa passion pour les voyages, il avait un réel talent d’écriture, l’éditeur d’Ulysse lui a laissé sa chance, chance qu’il sollicitait depuis quelque temps déjà. C’est donc en 2007 qu’il fut envoyé, pour un mois, en Alberta et en Colombie-Britannique afin de travailler à la mise à jour du guide sur l’Ouest canadien. Une première expérience qu’il a adorée; une porte d’entrée dans le monde des guides de voyage, certes, mais aussi dans le monde tout court…

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