Michel Phaneuf: « Il y a des vins qui vibrent… »

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En 25 ans de Guide du vin, Michel Phaneuf a vu le vin gagner en popularité et en qualité, tout en se débattant entre l'attachement au terroir et le modèle industriel. Conversation avec un œnophile convaincu qui se réjouit de toujours découvrir des vins vivants, distinctifs et accessibles.

Sous sa robe rouge et noire, il se révèle à la fois accessible et nuancé, avec du caractère et une belle finesse. Le Guide du vin 2006, 25e du nom, reflète bien le point de vue clair et affirmé de Michel Phaneuf sur le monde des petites et grandes bouteilles, et aussi le travail assidu et presque constant qu’il exige de son auteur.

Le résultat est certes apprécié. En 25 ans, selon les Éditions de l’Homme, plus de 700 000 exemplaires du guide se sont écoulés. Les critiques le redisent chaque année, même ceux qui ont leurs réserves: le principal ouvrage de ce type, pour le Québec, c’est celui de Phaneuf. Bref, une sorte d’incontournable qui arrive avec le Beaujolais nouveau, mais qui a nettement plus de profondeur. Pour ce 25e anniversaire, l’auteur du Guide s’est également payé la traite en réunissant le fruit d’une passion parallèle: la photographie. Voyageur du vin traverse, en douze sections thématiques, basées avant tout sur une vaste collection personnelle de photos, les vignobles du monde entier où l’auteur a pu s’arrêter depuis la naissance de son autre ouvrage: «Ça me change des notes de dégustation», note-t-il au passage, avec un plaisir évident d’avoir mené à bien un projet d’un autre genre.

Un goût d’authentique

Au fil de son premier quart de siècle, le Guide du vin est devenu pour son auteur une façon de rendre compte de l’évolution du monde du vin, de conseiller ceux qui découvrent cet univers fascinant et surtout, de rendre compte d’une idée du vin qui s’est précisée et affirmée au fil des ans. Au début de l’aventure, raconte Michel Phaneuf, «je me disais: « Ce n’est pas mon opinion qui compte, c’est la qualité objective du produit ». Mais ça ne peut pas tenir. On ne peut pas tout aimer.» Au fil des ans, il a choisi son camp et présente donc une certaine philosophie du vin qui favorise la diversité, l’expression du terroir et le travail d’artisan: «Je préfère défendre l’idée d’un vin naturel et authentique. Un vin sans addition, sans masque, sans intervention trop forte. J’aime que les vins soient tels qu’en eux-mêmes.»

«Le vin est intéressant dans sa diversité, et pour entretenir cette diversité, il faut être le moins interventionniste possible. Il y a des choses qui se passent à un endroit qui ne peuvent pas se passer ailleurs. On ne peut pas tromper Mère Nature», poursuit Michel Phaneuf, en exprimant une sympathie particulière pour des pays comme le Portugal, la Grèce, voire le Liban, où des traditions viticoles bien établies continuent d’enrichir le monde du vin de saveurs et de nuances qui ne pourraient exister ailleurs.

C’est là que Michel Phaneuf trouve son vrai plaisir d’amateur de vin. Dans des cuvées distinctives, dotées de personnalité et d’un je-ne-sais-quoi évanescent qui surgit presque sans crier gare. «Il y a des vins qui vibrent… des vins qui nous interpellent. C’est difficile à dire», lance-t-il, sur un ton qui souligne bien que même un vieux routier comme lui peut éprouver encore de la joie provoquée par de belles surprises et de l’inattendu.

Le paradoxe industriel

C’est d’ailleurs en termes de mesure et de quantification que Phaneuf devient agacé et parfois virulent face au monde du vin. Le développement de ces vins industriels, génériques, bien faits, certes, mais sans caractère particulier et trop calculés, est pour lui une façon de dénaturer l’essence même du vin. Il déplore l’omniprésence de ces vins «qu’on n’a même pas besoin de goûter pour savoir ce que ça goûte». Des vins boisés au copeau de chêne, travaillés en «bombes» fruitées, avec des levures achetées plutôt qu’indigènes, de façon à produire un goût prévisible et attendu. L’approche a été fortement inspirée par les vins industriels australiens, exemple parfait de ces vins racoleurs, voire excessifs, avec des marques souvent vendues à coups de millions de bouteilles. Une véritable menace pour la «diversité viticulturelle», pour Michel Phaneuf.

Toutefois, l’auteur et chroniqueur à L’Actualité reconnaît le paradoxe que ces approches interventionnistes ont créé en améliorant la qualité générale du vin, elles ont contribué à augmenter le nombre des amateurs. Reste à savoir si cet intérêt suscitera une plus grande curiosité et une envie de comprendre les nuances du terroir et des cépages indigènes qui confèrent leur caractère aux vignobles du monde. Ou si les prix indécents demandés par certains producteurs intimideront les gens en donnant une image faussement élitiste et inaccessible du fruit de la vigne et du travail des hommes.

L’effet du temps

«Les années viennent plus vite qu’avant», avoue par ailleurs Phaneuf, quand on lui demande ce qui a changé pour lui, au fil d’un quart de siècle de diffusion de la connaissance des vins. En effet, goûter, apprécier et commenter 2000 vins par année, ce n’est pas une mince affaire. Et d’année en année, le guide prend ainsi des allures de marathon continuel, ce qui amène l’auteur à évoquer l’idée d’une «formule allégée.»

Chose certaine, assure-t-il, «il faut que le guide continue. Les lecteurs sont très fidèles. C’est un motif d’encouragement». D’autant plus que ce pionnier du genre (le guide Phaneuf est venu au monde à peine trois ans après celui du très réputé Hugh Johnson) n’est plus seul sur le terrain. Les François Chartier, Jean Aubry, Jacques Orhon et compagnie ont publié de nombreux guides et livres, les émissions et chroniques sur le vin font partie du paysage dans presque tous les médias, écrits comme électroniques. Bref, le fait de demeurer la première référence au Québec constitue un compliment sur la qualité du Guide. Au fil des ans, Michel Phaneuf se réjouit d’avoir vu le nombre des gens curieux du vin se multiplier, tandis que les amateurs avaient la bonne idée de rajeunir: «Quand j’ai commencé, c’était un cercle assez fermé. On revoyait toujours les mêmes têtes. Quand je donnais des cours, à l’âge de 25 ans, les gens étaient plus vieux que moi. Maintenant, dans les salons du livre, un peu partout, je rencontre beaucoup de gens dans la vingtaine.»

Des amateurs en herbe qui ont peut-être découvert le vin en feuilletant d’abord le Guide du vin de leurs parents…

Bibliographie :
Le Guide du vin 2006, Éditions de l’Homme, 496 p., 26,95 $
Voyageur du vin. Regard photographique sur les vignobles du monde, Éditions de l’Homme, 144 p., 29,95 $

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