Urubu est une maison d’édition qui s’est donné comme noble mission de faire découvrir aux Québécois les auteurs latino-canadiens, par le biais d’éditions bilingues ou de traductions d’œuvres de qualité vers le français. Un doux mariage latin entre la littérature francophone et celle hispanophone du Québec. Les éditeurs, Caroline Hugny et Luis Henríquez, nous en dévoilent plus sur les dessous d’Urubu.

 

Votre maison d’édition a pour objectif d’approfondir les liens entre les littératures francophone et hispanophone au Québec. Qu’est-ce qui rapproche, dans la culture ou la littérature, l’Amérique latine du Québec? Pourquoi avoir créé une maison d’édition pour mettre de l’avant le tout?
Le Québec et l’Amérique latine ont en commun leur… latinité! Victor Armony se demandait d’ailleurs si les Québécois ne seraient pas des « Latins du Nord ». Plusieurs traits similaires dans leur histoire rapprochent ces nations des Amériques, qui se caractérisent également par une certaine distance face à l’individualisme au cœur de la culture anglo-saxonne. Des interrogations communes se dégagent dans leur littérature : poids du passé colonial et religieux, mémoire, enjeux autochtones, place des femmes… Par ailleurs les Québécois s’intéressent de plus en plus aux cultures hispanophones et à la langue espagnole, et les immigrants latino-américains sont nombreux au Canada. 

Notre objectif premier était de faire découvrir au public québécois les auteurs latino-canadiens, qui font partie de la littérature nationale mais restent encore dans les marges, puisqu’ils ne sont généralement pas traduits en français. De manière plus large, nous souhaitions aussi faire en sorte que ces cultures si proches aillent à la rencontre l’une de l’autre, se découvrent, se reconnaissent et dialoguent à travers la littérature sur leurs enjeux sociaux et culturels.

 

À qui s’adressent les livres publiés chez Urubu?
Aux curieux, aux voyageurs, aux passionnés des langues, aux immigrants, aux amoureux du Québec et de l’Amérique latine, et, plus généralement, à tous ceux qui souhaitent « d’autres yeux pour voir le monde » (Alejandro Saravia).  

 

Les auteurs latino-canadiens sont-ils nombreux au Québec?
Oui, il existe même déjà ce qu’on pourrait appeler une tradition littéraire latino-québécoise! Celle-ci remonte aux années 1960-70 avec l’arrivée des premiers exilés des dictatures du cône Sud. Il y a ceux qui ont continué à écrire en espagnol au Québec, en gardant des liens avec leur pays d’origine, tout en créant des ponts avec un certain milieu littéraire – et politique – d’ici (par exemple les poètes chiliens Francisco Viñuela et Manuel Aránguiz, qui ont fondé des maisons d’édition, souvent d’ouvrages bilingues, à Montréal). D’autres, à partir des années 1980, ont commencé à percer les frontières de la littérature nationale du Québec en écrivant en français (Gloria Escomel, Marilú Mallet, Sergio Kokis, Mauricio Segura et d’autres). Le début du XXIe siècle a vu une consolidation de cette littérature grâce à des projets divers, comme le magazine Apostles Review, la maison d’édition Lugar Común à Ottawa et les Éditions Urubu à Montréal. Parmi les auteurs contemporains les plus remarquables, on compte Francisco García González (Cuba), Pablo Urbanyi (Hongrie-Argentine) et Alejandro Saravia (Bolivie).

 

Que signifie « Urubu », mot qui donne son nom à votre maison d’édition?
L’urubu est un oiseau typique de l’Amérique latine, une sorte de vautour à la tête rouge et aux grandes ailes noires. Mais depuis plusieurs années, il migre de plus en plus vers le nord et on le retrouve dans certaines régions du Québec – il paraît qu’il y en a parfois qui planent au-dessus du mont Royal! C’est aussi un mot qui, venant de la langue amérindienne tupi-guarani, se retrouve dans de nombreuses langues des Amériques. C’était donc parfait pour illustrer l’esprit de notre maison!

 

Comment choisissez-vous les livres que vous traduisez? D’où vous viennent les suggestions?
Pour la collection bilingue, composée de recueils de nouvelles, nous lançons des appels de textes aux auteurs hispanophones et francophones du Québec, et sélectionnons de façon anonyme ceux qui nous paraissent les plus pertinents.

Pour notre collection principale, consacrée aux romans et aux récits, nous recevons les manuscrits en espagnol ou en français et les sélectionnons à travers notre comité de lecture. Mais nous sommes aussi en relation avec plusieurs maisons en Amérique latine pour acheter les droits de traduction de livres qui nous paraissent intéressants de faire connaître au Québec. Dans le cas de Rouge, jaune et vert, le roman d’Alejandro Saravia publié cet automne, Luis Henríquez, notre coéditeur, avait fait sa thèse sur l’œuvre originale en espagnol! Il s’agit d’un livre phare de la littérature latino-canadienne, que l’on ne pouvait manquer de publier.

 

En quoi l’acte de traduction est un acte important pour la littérature en général?
Dès les origines de l’écriture, la traduction a été un métier essentiel dans les échanges interculturels, notamment par la transmission d’histoires et de mythes d’autres cultures. On peut dire qu’il y a de la traduction dans toute littérature, ou même que toute littérature est de la traduction! (Cervantès a bien compris cela et a su en profiter dans son Quichotte.) On pourrait peut-être se demander pourquoi la traduction ne semble plus avoir le même statut qu’elle avait à d’autres époques… Le travail du traducteur est de plus en plus invisible, en particulier lorsque l’on essaie de rendre également invisibles les différences culturelles. Contrairement à cette tendance, les Éditions Urubu veulent donner sa place au traducteur dans le dialogue interculturel et rendre la différence plus visible, non pas comme un obstacle à la communication, mais comme une richesse dont la société en général peut bénéficier.

 

Qu’entendez-vous par « édition bilingue »? En quoi avoir les deux versions – française et espagnole – peut être intéressant pour un lecteur?
Nos éditions bilingues comprennent des textes dans leur langue originale et leur traduction placée en vis-à-vis. C’est donc très intéressant pour quelqu’un qui cherche à apprendre le français ou l’espagnol, ou à approfondir la connaissance de l’une ou l’autre langue. Les étudiants en traduction ou les traducteurs chevronnés peuvent aussi y trouver leur compte, mais également les curieux, car c’est toujours amusant de jongler d’une version à l’autre pour voir comment s’écrit tel mot ou telle expression, de goûter à la musicalité d’une langue!

 

Parlez-nous de vos deux collections.
La collection bilingue comprend des recueils de nouvelles d’auteurs québécois, francophones et hispanophones, autour d’un thème commun (L’étranger, La ville…). L’idée est de rassembler tous ces auteurs dans un même espace d’ouverture et d’échange.

Les romans et récits de la collection principale envisagent le monde sous un autre angle. Nous souhaitons y publier des auteurs latino-canadiens, franco-canadiens ou latino-américains qui interrogent les grands enjeux et les petites histoires des Amériques, afin de dessiner une littérature continentale, avec ses particularités, ses différences, ses liens parfois étroits. La collection est francophone, composée de traductions et d’ouvrages originaux.

 

Quelles thématiques reviennent le plus souvent dans les ouvrages que vous éditez?
La question de la migration, bien souvent de l’exil, est assez centrale dans la littérature latino-canadienne. Suit le « sentiment d’étrangeté », celui de ne pas appartenir pleinement au monde auquel on vit, le travail de mémoire, le retour aux origines et, plus généralement, toutes les questions liées au dilemme identité/altérité – des thèmes que l’on retrouve d’ailleurs également chez les auteurs francophones de nos recueils! Enfin, l’amour, sous toutes ses formes, ne peut manquer de venir nous faire un clin d’œil…

 

Parlez-nous du récent Rouge, jaune et vert, paru en octobre.

Alejandro Saravia a écrit et publié Rouge, jaune et vert à Montréal, en espagnol, il y a plus de quinze ans – mais le livre vient seulement d’être traduit dans les langues officielles du Canada! C’est un roman foisonnant à l’intrigue éclatée et aux multiples voix narratives. Nous suivons Alfredo Cutipa, en exil à la suite du coup d’État de 1980 en Bolivie, dans ses tribulations montréalaises. Traumatisé par les événements sanglants dont il a été témoin, Alfredo est hanté – littéralement – par divers fantômes, dont celui du Boxeur, un ancien camarade soldat. Pour tenter de conjurer ces spectres, il décide d’écrire un roman, avec l’aide d’un mystérieux personnage, le Scribe. Entre-temps, il tombe amoureux d’une femme qui disparaît subitement, se balade dans le métro, sur la rue Saint-Laurent et au marché Jean-Talon, et a des démêlés tragiques avec le Club des Kurdes de Montréal…      

 

Quel est le plus grand défi de votre maison d’édition?
Comme pour toutes les maisons naissantes – grandir, se faire connaître, et subsister! Nous avons la chance d’être très bien accueillis par le milieu littéraire québécois comme le milieu culturel latino-canadien. Maintenant, il s’agit de continuer à promouvoir ce en quoi nous croyons, et à rechercher des textes qui nous permettent d’accomplir notre mission.

Site des Éditions Urubu

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