Quelle étrange petite bête que L’essoreuse à salade, roman ironique tombé entre nos mains cet automne et qui raconte le quotidien d’un narrateur qui, après avoir essoré la salade, décide de déménager dans le débarras à l’arrière de sa cuisine. Une femme prendra alors sa place autant dans l’appartement qu’auprès de sa copine. Les événements s’enchaînent, l’essoreuse à salade n’étant jamais bien loin… Un roman champ gauche, qui occasionne plusieurs sourires et pour lequel l’auteur a accepté de répondre à nos questions. 

Vous accordez à l’essoreuse à salade un rôle secondaire — bien que peu présent — dans votre roman. D’où est venue l’idée d’articuler un roman autour de cet accessoire?
En relisant le premier jet du roman, je me suis aperçu que j’avais écrit plusieurs passages où l’essoreuse à salade apparaissait. Ça fait partie de ma méthode de travail : j’écris beaucoup, parfois sans réfléchir au plan que je me suis fait, je me relis et je coupe ensuite. Au lieu de supprimer un de ces passages d’essorage qui aurait pu paraître redondant, j’ai décidé de faire de l’objet le pivot central de mon histoire. Sachant dès le départ que le livre serait absurde et ironique, l’idée d’utiliser l’essoreuse à salade comme titre m’a fait rire. Ça ne voulait rien dire, mais c’était intrigant. En même temps, en y repensant après coup, l’essoreuse est très figurative puisque chaque fois qu’un personnage s’en sert, un changement majeur se produit dans l’attitude de l’utilisateur. C’est un peu comme si l’objet brassait l’histoire et inversait les rôles — est-ce que ce ne sont que des salades?

Vous faites une utilisation peu commune — et fort réjouissante! — des parenthèses : il y en a beaucoup et elles nous permettent d’avoir accès à un niveau supplémentaire de conscience du narrateur, qui s’y dévoile encore plus que dans la narration « de base » du roman. Pourquoi ce choix original?
J’aimais beaucoup l’effet de rythme que la parenthèse permet de créer lors de la lecture. On lit, on est au cœur de l’action, et la parenthèse nous arrête soudainement, nous permet de prendre une distance avec ce qui se déroule réellement. Ça ajoute des couches de réalité à l’histoire, un peu comme si elle était annotée en temps réel par un deuxième narrateur. D’un côté plus pratique, je voulais créer un effet original dès le départ, un livre qu’on referme et à propos duquel on se dit : « Mais qu’est-ce que je viens de lire là ? » Les différents effets de ponctuation servent à procurer ce sentiment de surprise tout au long de la lecture.

Vous avez étudié la contrebasse. Votre personnage joue de cet instrument (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il se réfugie dans le débarras, pour s’adonner à son art en toute liberté). Quelle part de vous y a-t-il dans le narrateur?
Évidemment, le fait que le narrateur soit musicien n’est pas un hasard. J’ai voulu me servir du roman pour passer à autre chose et décrire la fin de mon parcours musical (même si on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve). Aussi étrange que cela puisse paraître, la scène de la vente de la contrebasse était l’élément central de mon plan. Dans le passé, j’avais déjà essayé d’écrire cette scène sans jamais y parvenir. En l’abordant avec humour et ironie, j’ai enfin pu passer par-dessus cette étape (et aussi régler mes comptes avec le concerto de Bottesini — une œuvre magnifique mais décourageante). Le reste de l’histoire appartient à la fiction. Le narrateur demeure toujours en décalage avec les événements; c’est quelque chose qui me fait toujours bien rire, ironiser sur tout et sur rien.

Votre narrateur nage entre un ton ironique et sarcastique, tout en gardant les deux pieds sur terre dans un pragmatisme déconcertant. Quel est le plus grand défi d’écriture lorsqu’on choisit d’utiliser ce ton?
Je dirais que la plus grande difficulté était de garder une constance dans la pertinence du ton. Au fil du livre, le narrateur aurait pu changer maintes fois d’attitude en réaction aux divers événements. Je voulais cependant pousser l’exercice jusqu’à la fin et voir jusqu’où je pouvais tenir le coup. Il m’a fallu plusieurs réécritures du roman pour parvenir à maintenir le ton juste jusqu’à la dernière page, mais j’ai adoré travailler ce texte — et il me fait toujours autant sourire.

Vous publiez chez différents éditeurs (pensons aux récents Le pourboire chez Triptyque et Le triangle des berceuses chez Del Busso Éditeur). Pourquoi?
J’ai un bon rythme d’écriture et une réelle envie de toucher un peu à tout. Je ne vois pas pourquoi je me limiterais à une publication tous les deux ou trois ans alors qu’il est possible de publier à gauche et à droite avec des éditeurs de qualité. Chacun d’eux me permet de créer dans un style particulier (même si dans chacun de mes titres on reconnaît mon écriture). J’essaie seulement d’être conséquent, transparent et honnête avec chacun d’eux. Je vais choisir mon éditeur en fonction de la direction littéraire visée par le manuscrit. En travaillant avec différents éditeurs, ça me permet d’élargir mon lectorat tout en continuant à publier fréquemment des ouvrages.

Vous êtes également poète. Ainsi, est-il vrai de dire que pour vous, l’écriture, quelle que soit sa forme, est un véhicule pour partager une idée? Sinon, qu’est-ce qui vous fait choisir une forme plus qu’une autre? Qu’est-ce qui relie toutes vos œuvres entre elles?
L’écriture est ce qui me maintient terre à terre. Je l’utilise pour resserrer le réel autour de moi. Les idées et les thèmes que j’aborde dans mes livres me permettent de me poser et d’observer la vie telle qu’elle est. Au départ, lorsque j’écrivais uniquement de la poésie, je cherchais à m’exprimer tout en faisant rire, sourire et réfléchir. Plus tard, lorsque j’ai voulu développer plus longuement sur divers sujets, la poésie ne suffisait plus. Non pas qu’elle ne peut pas tout dire, je crois qu’elle le peut, mais simplement que je n’y arrivais pas. Mais en changeant l’angle d’approche et le style littéraire, je suis parvenu à écrire exactement ce que j’avais en tête. Un peu comme un peintre qui change de style à travers ses séries de toiles. Le but est toujours d’exprimer le plus clairement possible ses idées.

Pour ce qui est de relier mes livres entre eux, je dirais que le ton humoristique et ironique est toujours présent dans mon exploration du quotidien. J’essaierai toujours de faire sourire et de divertir en pointant les choses ordinaires pour les rendre extraordinaires. Le quotidien, c’est sortir de chez soi pour mieux y revenir.

Photo : © Guillaume Chagnon

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