Pour son premier roman, Bénédiction (Marchand de feuilles), Olivier Dufault s’intéresse à l’histoire de son ancêtre Ernest Dufault, connu sous le nom de Will James, une identité inventée. Ce dernier était un personnage haut en couleur, épris de liberté, qui a eu un parcours étonnant, de cowboy à voleur, en passant par dessinateur et cascadeur, entre autres, ce qui fait de lui un être hautement romanesque et magnétique.

 

Qu’est-ce qui vous fascine dans l’histoire de Will James, votre ancêtre?
Au-delà de la grande détermination de Will James, qui a quitté sa famille à l’âge de 15 ans pour aller vivre seul dans un environnement étranger, dont il ne connaissait ni les codes ni la langue, ce qui me fascinait le plus chez le personnage, pendant l’écriture du roman, c’était son imposture. Ce moment où tout bascule, où on ne peut plus revenir en arrière, où le mensonge l’emporte sur la réalité. Il voulait tellement devenir un vrai cowboy qu’il s’est complètement réinventé. C’est la raison pour laquelle Bénédiction se déroule à l’époque de son emprisonnement, en 1915, au moment où le pseudonyme a été mentionné dans des papiers officiels pour la première fois. L’incarcération d’Ernest Dufault dans une prison fédérale du Nevada, sous le nom de William Roderick James, lui a au fond donné une nouvelle existence. Son séjour à l’armée en 1918 ne viendrait qu’entériner cette identité américaine.

Que signifie pour vous le titre du roman, Bénédiction?
Ernest Dufault était un garçon doué, il avait un talent naturel pour le dessin et pour raconter des histoires. Il avait aussi un charisme et un charme redoutables. Il a utilisé ces dons pour arriver à ses fins, et à un moment, ça s’est retourné contre lui. Le titre est donc ironique, un peu comme le poème de Baudelaire du même nom. Cette « bénédiction » l’entraîne dans une existence finalement tragique. Will James est mort seul au monde, entouré d’une cour de rapaces. Tous le fuyaient, l’alcoolisme lui faisait perdre des contrats et l’empêchait d’écrire, son ex-femme n’apprendrait qu’après sa mort qu’il n’était pas orphelin, qu’il venait du Canada, et entendrait pour la première fois chez le notaire le nom d’Ernest Dufault. C’est très triste! Il a fait beaucoup de mal à ses proches, au fond, dans sa vie, comme à lui-même. Tout ça tient d’une existence qui, d’abord bénie, devient maudite. Si j’écrivais un livre sur la fin de sa vie, j’aimerais l’intituler Portrait du cowboy hollywoodien en poète maudit, mais ce titre ne remporterait peut-être pas les suffrages de mon éditrice!

Will James s’inventait un passé, une enfance différente de celle qu’il a vécue; il a même écrit une fausse autobiographie! Est-ce que vos recherches à son sujet ont été complexifiées par cela? Avez-vous eu envie d’écrire son histoire pour, justement, rétablir les faits?
J’ai tenté de recouper le plus de faits inscrits dans Lone Cowboy, son autobiographie largement mensongère ou malhonnête, avec les dires des principaux biographes américains de Will James. Des témoignages de première main, entre autres des lettres écrites par ses proches, sont aussi disponibles dans un fonds d’archives dédié à Will James, à l’Université du Nevada à Reno. Enfin, la lecture attentive des nombreux recueils et romans qui ont fait le succès de cet auteur prolifique m’a permis de mieux approcher le personnage, d’en saisir l’esprit au-delà des témoignages – et de comprendre les enjeux du cowboy (sur le déclin) du début du XXe siècle. Will James souffrait sans doute de mythomanie. Certains amis ou connaissances, en son absence, l’appelaient Bullshit Bill. C’était plus fort que lui, il mentait sans arrêt, même quand ce n’était pas nécessaire. De ce point de vue, on pourrait difficilement s’attendre d’un roman sur un menteur qu’il ne fasse pas sien ce jeu entre vérité et mensonge.

Photo : © Isalaf Photo

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