Marie-Ève Lacasse : Peut-être est-ce ça, l’amour?

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Comment l’amour survit-il au temps? se demande Marie-Ève Lacasse dans Peggy dans les phares, incandescente reconstitution de la relation ayant uni dans le secret l’écrivaine Françoise Sagan et la mannequin Peggy Roche.

« Le roman attendra, parfois écrire c’est ne pas écrire. »

La phrase, qui surgit à la page 84 de Peggy dans les phares, n’est, en apparence, qu’une sagace remarque sur le rythme de travail qu’a préconisé pendant toute sa carrière Françoise Sagan – elle préférait souvent à sa machine à écrire l’ivresse d’une vie immodérément arrosée. Derrière la maxime, que pourront désormais brandir à leur défense les procrastinateurs, se cache aussi une allusion à peine voilée au long silence littéraire de Marie-Ève Lacasse.

Avec Ainsi font-elles toutes (XYZ), la Québécoise alors âgée de 22 ans publie en 2005 un premier roman sous le pseudonyme de Clara Ness. Le chassé-croisé amoureux campé dans le milieu de la musique classique sera accueilli à grand renfort de superlatifs par la presse, et la propulsera illico sur la proverbiale liste des écrivaines à surveiller. Mais les réjouissances ne seront que fugaces. L’année suivante, Genèse de l’oubli essuie de très sévères critiques, qui écorcheront gravement une Marie-Ève Lacasse déjà en proie au doute. Elle évince bientôt complètement l’écriture romanesque de son existence. 

« J’ai été assez malheureuse pendant mes années de non-écriture. Il y avait quelque chose en moi qui criait que je devais absolument y revenir », se souvient-elle en conférence vidéo depuis Paris, où elle vit depuis 2003 et où elle dirige une agence éditoriale. « Je pense que c’est difficile de renoncer à soi. L’écriture était pour moi quelque chose de totalement fondamental, et le fait de ne pas m’autoriser à y retourner a engrangé beaucoup de mélancolie, de frustration, de douleur. »

Comment Marie-Ève Lacasse réenchantera-t-elle sa relation avec ce qui avait depuis toujours été son oxygène? Remercions deux femmes, répondant toutes les deux au nom Roche.

La première s’appelle Peggy, et a laissé derrière elle peu de traces, malgré le primordial rôle d’amante, d’amie et de confidente qu’elle aura tenu auprès de Françoise Sagan pendant vingt ans. Intime de l’œuvre du « charmant petit monstre », Marie-Ève Lacasse n’apprend pourtant l’existence de Peggy, mannequin, styliste et journaliste de mode, qu’en visionnant Sagan, biopic réalisé par Diane Kurys en 2008.

Et l’autre Madame Roche dans tout ça? « Au moment où je commençais à m’intéresser à Peggy, j’amorçais aussi une histoire d’amour avec une Roche, et donc, le premier soir où je la rencontre, pour la draguer, je lui dis : “Roche comme Peggy Roche?” Elle ne savait pas du tout qui c’était », se rappelle Marie-Ève en étouffant un éclat de rire mêlé de tendresse et de gêne, au sujet de celle qui deviendra sa fiancée. « Un jour, elle me dit : “Tu vas faire autre chose que d’écrire un simple article sur Peggy Roche [comme Marie-Ève l’envisageait d’abord], tu vas écrire un roman et si tu réussis à le publier, je t’épouse”. » Stimulante proposition.  

Entre vérité fausse et vraie
Roman incandescent, d’une écriture conjuguant élégamment effervescence et gravité, Peggy dans les phares contemple, fasciné, ce rempart face à la dureté du monde qu’aura été l’amour pour une Peggy Roche hantée par les fantômes de la guerre et une Françoise Sagan accro à la drogue.

Afin d’assembler les morceaux du casse-tête de la vie peu documentée de son héroïne, Marie-Ève Lacasse se transforme en enquêteuse, visite l’Irlande et Saint-Tropez, rencontre des dizaines de personnes ayant fréquenté son sujet et glane la moindre phrase lui ayant été consacrée. Elle élabore à partir de ce qu’elle récolte une « vérité fausse et vraie qui est la [s]ienne ».

« Je me demandais comment les gens font pour s’aimer longtemps, explique-t-elle. C’est ma grande hantise. Comment fait-on pour aimer quelqu’un pendant dix, quinze, vingt ans? Forcément, il n’y a aucun manuel. C’est quelque chose devant lequel on est désarmé. Il y a beaucoup de films, de romans qui parlent de coups de foudre et des premiers instants, mais on parle peu des histoires qui durent. Pour moi, c’est un creuset fictionnel extraordinaire. »

Malgré la fascination des médias français pour l’auteure de Bonjour tristesse, qui faisaient le récit de chacune de ses frasques et de chacun de ses nombreux séjours à l’hôpital, l’homosexualité de la mythique écrivaine n’aura jamais été révélée publiquement. Il en allait du souhait d’une Sagan redoutant plus que tout de contrevenir aux convenances bourgeoises, pense Marie-Ève.

« C’est aussi pour qu’elle puisse demeurer solide que leur histoire est restée secrète », ajoute-t-elle, tout en s’étonnant que les biographes de Sagan aient choisi de ne pas raconter même par-delà sa mort cette part majeure de son intimité, qui n’avait pourtant jamais fait de doute aux yeux de ses amis. « Il y a toujours eu une femme dans la vie de Sagan », disait l’écrivain Bernard Frank.

Marie-Ève Lacasse est-elle parvenue à découvrir une recette infaillible afin qu’un amour résiste au temps? « Pas dans l’histoire de Peggy et Françoise en tout cas! Ce qui est sûr, c’est qu’elles avaient besoin l’une de l’autre. Peut-être est-ce ça, l’amour? On n’est pas là que pour l’émoi, mais aussi pour un secours mutuel. Peggy protégeait Sagan des dealers, des parasites, et dans cette organisation qui leur appartenait, elles ont réussi à maintenir quelque chose de fort. Sans la passion, un amour peut survivre, oui, mais les espérances doivent être stables. »

Il y a aussi sans doute quelques fécondes bribes de réponses à cette question insoluble dans la proposition lancée à Marie-Ève par sa fiancée. « J’avais une énorme pression sur les épaules, il fallait que j’écrive ce roman, et là où elle est géniale, c’est qu’elle maîtrise beaucoup mieux que moi les ressorts amoureux. Quand on valorise chez l’autre ce qu’il est déjà, ce qui compte le plus pour lui, on crée un terreau assez favorable pour la naissance d’une longue histoire d’amour. » Les noces auront lieu le 24 juin.

Photo : © Claude Gassian/Flammarion

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