Marcelle Racine : Retour au pays de Maria

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Le bref séjour du journaliste et romancier Louis Hémon en terre québécoise a engendré la naissance d'une icône de la littérature d'ici : Maria Chapdelaine. Mais l'histoire fictive de cette campagnarde du Lac-Saint-Jean a aussi bouleversé la vie des habitants de Péribonka, notamment celle d'une femme qu'on a prétendu être le modèle de l'héroïne. C'est au destin de cette femme que s'intéresse aujourd'hui Marcelle Racine dans Éva Bouchard : La légende de Maria Chapdelaine, un roman biographique qui s'appuie sur une recherche documentaire rigoureuse et propose une autre lecture de la vie québécoise au début du XXe siècle.

Comment avez-vous fait la connaissance d’Éva Bouchard ?

J’ai découvert son existence plus ou moins par hasard. Éva Bouchard était la grand-tante de mon conjoint, une sorte d’icône dans ma belle-famille. Chez eux, on en savait peu sur elle. Heureusement, elle a encore des neveux et nièces vivants à Québec ; j’en ai rencontré deux qui m’ont grandement aidée et m’ont donné libre accès aux archives familiales : photos, lettres, cartes postales, une masse impressionnante de documents.

Pourquoi avoir choisi de raconter son histoire dans un roman plutôt que dans une
biographie ?

Au début, j’avais l’intention d’écrire une biographie. Mais dans une biographie, la marge d’erreur permise est minime et la forme me semblait trop rigide. J’avais fait du théâtre, j’avais envie de créer des dialogues, de faire vivre mes personnages. Et comme Éva Bouchard a eu une vie relativement tranquille, je me suis sentie autorisée à greffer d’autres histoires à la sienne, comme celle de la publication des romans ou de la disparition de Pointe-Taillon.

En quoi Éva Bouchard se distinguait-elle le plus de Maria Chapdelaine ?

Vous savez, la preuve n’a jamais été faite qu’Éva était bel et bien Maria. Sur ce point, je laisse au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions. Sans doute qu’Hémon s’est inspiré d’elle en partie, mais elle n’était probablement pas son seul modèle. Physiquement, elles étaient très différentes. Et puis, au contraire de Maria, Éva était une femme instruite. Probablement que leur style de vie était semblable ; dans un village comme Péribonka au début du XXe siècle, toutes les jeunes filles avait une vie semblable. Mais Éva Bouchard n’a pas eu d’amoureux, alors que la Maria de Louis Hémon comptait pas moins de trois prétendants !

Mais qu’est-ce qui l’a amenée à accepter son image de muse de Louis Hémon, après s’en être distanciée pendant une dizaine d’années ?

Ça s’est fait graduellement à partir du moment où elle est revenue à Péribonka. Éva avait été tellement harcelée après la publication du livre ! Comme après la mort de son père, elle était devenue propriétaire de la petite maison où avait vécu Hémon, elle recevait beaucoup de correspondance. Elle a commencé à répondre à ces lettres, par désœuvrement sans doute. Mais j’imagine aussi qu’elle s’y est résignée pour se distinguer, d’une certaine manière.

Aux yeux du lecteur contemporain, la controverse suscitée par le livre semble difficile à croire…

Il faut dire que les villageois ont eu l’impression que Louis Hémon les avait espionnés. La plupart d’entre eux étaient peu scolarisés et ne pouvaient même pas lire le livre. Il ne faut pas s’étonner qu’ils aient pu s’indigner de ce que ce Français qui s’était mêlé à eux, qui ne savait pas travailler (Hémon n’était vraiment pas un manuel), qui avait même passé pour un fou, les ait observés à la sortie de l’église, en prenant des notes. Dans le contexte, ce n’est pas difficile à comprendre…

Le fait de plonger dans l’intimité de cette femme a-t-il changé le regard que vous posiez sur elle ?

Quand j’ai entrepris ma recherche, je ne savais pas à quoi m’attendre, j’avais l’impression qu’elle avait été une victime. À force d’interroger des gens qui l’ont connue, et pas seulement des membres de sa famille, à force de lire sur Éva, j’ai découvert qu’elle avait beaucoup de caractère. Je crois qu’elle a été tentée de jouer à la victime, mais elle s’est vite reprise en mains. C’était une femme de tête et c’est ce qui m’a fascinée chez elle.

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