Lionel Noël : Québec, dans la ligne de tir

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Août 1943 : la Conférence de Québec a réuni dans la Vieille Capitale le président américain, Franklin D. Roosevelt, le premier ministre de la Grande-Bretagne, Winston Churchill, et leur hôte, le premier ministre canadien Mackenzie King, qui mettent la dernière main aux plans du grand débarquement des Alliés en Europe. La table est mise pour un complot ourdi par Hitler, visant à assassiner les chefs d'États anglo-saxons, et que seule l'intervention de quelques valeureux agents pourrait sauver. Fiction ou réalité historique? On ne sait plus trop comment distinguer l'une de l'autre, quand le suspense est aussi magistralement mené que dans Opération Iskra, le deuxième thriller signé Lionel Noël, lauréat du Prix Arthur-Ellis 2000 pour son roman Louna.

Lionel Noël, étant donné vos origines européennes et la génération à laquelle vous appartenez, on devine que cette seconde grande guerre a laissé des plaies pas encore cicatrisées chez vous et vos proches.
Par la force des choses. Ma famille vient de l’Est de la Belgique, d’un coin situé à vingt minutes de la route de l’Allemagne et de la Hollande. J’ai grandi dans une région aux confins des mondes germanique et francophone. Conséquemment, l’histoire de ma famille est marquée par des déchirements historiques et une certaine ambiguïté identitaire, dus au caractère flou des frontières tout au long du siècle dernier, de même que par un certain fatalisme. Mais ça, on en hérite obligatoirement quand on est européen !

En quoi la Conférence de Québec a-t-elle été pour vous un terreau fertile pour cultiver le suspense?
D’abord, parce que c’est une période peu connue de l’histoire québécoise, presque occultée, dirais-je même. Et puis, c’est un sujet en or et, étonnamment, assez peu exploité dans la littérature d’ici, sinon par la bande, comme l’a fait par exemple Georges-Hébert Germain dans son roman Le Château. Dans les ouvrages de référence, on ne trouve que des bribes de cette histoire qui m’a intéressé dès que j’en ai entendu parler, à mon arrivée ici. Je trouvais incroyable le fait qu’aucun historien ou romancier n’ait jamais été séduit par ce sujet.

L’élaboration d’une telle intrigue, qui emprunte son sujet à l’histoire mondiale, a dû nécessiter une somme de recherches considérable.
Oui et non. Mon intention n’était quand même pas d’écrire un roman historique, mais d’utiliser l’histoire comme une toile de fond. Je crois d’ailleurs que le côté roman d’espionnage l’emporte sur l’aspect documentaire. Cela dit, il m’a bien fallu me plonger dans des documents d’époque. J’ai lu, entre autres, les mémoires de Winston Churchill, qui m’est apparu comme l’un des personnages les plus fascinants et ambigus des XIXe et XXe siècles. Tout au long de sa vie, il sentait bien que l’empire britannique s’effritait, comme il percevait l’avènement de l’autre empire, celui des Américains. Il était au cœur de jeux politiques très complexes. Mais la grande difficulté a été d’élaguer dans les détails anecdotiques, pour me concentrer sur les personnages et l’action.

L’une des forces de votre livre, c’est qu’on finit par ne plus savoir où s’arrête la réalité et où commence la fiction. Cette histoire de tentative d’assassinat des chefs des nations alliées par les services secrets allemands, elle prend sa source dans des faits réels ou pas ?
D’une certaine manière, oui. L’espion allemand Walter Olbricht, par exemple, est une pure création, mais on sait que les Allemands utilisaient des agents de ce type pour le genre de mission que je décris. L’opération Casablanca, sur laquelle s’ouvre mon roman, est purement fictive, mais une stratégie similaire a bel et bien été mise en œuvre à Téhéran, où les nazis ont vraiment essayé d’assassiner Staline, Roosevelt et Churchill. Et puis, la découverte des plans du débarquement en Normandie par les nazis est bien réelle, mais j’ai évidemment brodé autour. J’avais la volonté de jouer avec des détails et de brouiller délibérément les pistes.

Il est amusant de lire qu’Edgar G. Hoover, éminence grise du FBI, a pu nourrir des scrupules à l’idée d’user des techniques courantes dans le milieu interlope (« Nous ne sommes pas des criminels », lui faites-vous dire). Quand on sait à quel point l’éthique du bonhomme n’a pas toujours été des plus irréprochables dans la vraie vie…
C’est une touche d’humour, en effet. Tout comme la scène de l’expulsion de Duplessis de sa suite au Château Frontenac qui, pour sa part, est véridique. En réalité, vous l’avez dit, Hoover était un cynique fini et un être épouvantable. Le FBI s’occupait alors du contre-espionnage aux États-Unis, mais Hoover voulait également contrôler les services de renseignement à l’étranger. C’est pourquoi il voyait d’un aussi mauvais œil l’OSS, qui deviendrait un jour la CIA.

D’où vous est venue l’idée de créer cette espionne canadienne-française, Anne Doucet, qui doit déjouer les plans des Allemands ? Ce n’est quand même pas une figure commune dans ce type de romans, d’habitude peuplés de héros masculins sans peur et sans reproche, non ?
En regardant un reportage à la télé sur les Québécois qui ont fait la Seconde Guerre dans les services d’espionnage, j’ai vu une femme qui avait été envoyée en France pour faire de l’espionnage au profit des Alliés. Elle appartenait à ces troupes formées à Oshawa, dans le camp X, pour les services secrets britanniques et aussi pour l’OSS. C’est sûr qu’avec un personnage comme Anne, on peut jouer sur l’effet de surprise à cause de son sexe. Après tout, il est parfois plus facile pour une femme de s’introduire dans certains milieux…

Une espionne serait-elle plus dangereuse, plus efficace qu’un espion ?
Ça dépend. Je crois que le personnage féminin n’aborde pas forcément les
situations de la même manière qu’un homme. Cela dit, Anne Doucet n’est décidément pas un ange ; elle n’a pas froid aux yeux et, surtout, n’a pas peur de tirer quand il le faut.

Bibliographie :
Opération Iskra, Alire
Louna, De Beaumont Éditeur

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